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Langue

La langue contre les dents du bas

À ma connaissance, tous les ouvrages consacrés au chant, sans exception, conseillent de garder la pointe de la langue à l'avant de la bouche, contre la base (ou le haut selon certains) des dents du bas.
Il serait regrettable que tous les maîtres se trompent. Heureusement, ce ne semble pas être le cas.
Étant donné l'universalité de ce principe, il est par contre étonnant que tant de chanteurs ne le respectent pas. Cela réclame certes un peu de concentration au début, puis un contrôle épisodique, mais l'effort est raisonnable, et le coût presque nul, puisqu'il se limite à celui d'un miroir de taille moyenne. Songeons qu'une telle acquisition peut faire économiser des milliers de francs de cours de chant !

Il est cependant indispensable d'adapter ce principe à la morphologie de chacun, afin de ne pas tirer sur une langue trop courte, et de ne pas grossir une langue trop longue, que l'on fera bien mieux de laisser passer par-dessus les dents du bas, au moins sur la voyelle [a], qui requiert le plus grand dégagement de la cavité buccale. Si l'on craint de laisser remonter la langue, on pourra maintenir un léger contact entre le dessous de la langue et l'arête des incisives du bas.

La priorité doit toujours être de sortir la langue de la gorge, et non de maintenir la langue derrière les dents du bas, ce qui serait contre-productif ! Tant que la langue est sortie dans un mouvement de "faux vomissement", vers l'avant puis vers le bas, mais avec une courbure constamment convexe vers le haut (voir l'article Vomir la voix, boire la voix) et tant qu'elle ne tire pas sur le larynx, il n'y a aucun inconvénient à laisser la langue passer par-dessus les dents du bas. Elle ne fera ainsi qu'accompagner le son.

Le réflexe de sortir la langue en cas de difficulté vocale est loin d'être naturel, mais oblige le chanteur à conserver la connexion entre sa voix et son souffle, et donc à contrôler son émission en maintenant le subtil équilibre entre une résonance haute et un soutien bas et large du souffle.
Il faut à tout prix combattre le réflexe inverse, où l'on croit se protéger en rentrant sa langue, ce qui va hélas boucher le son et asphyxier peu à peu le chanteur ! Le contrôle bas et large (réparti) du souffle est en effet alors lâché, et l'on chante en fait en expiration (libre ou forcée) contre la racine de la langue, en prenant des appuis parasites. Certains aigus peuvent certes être émis ainsi : le résultat sera serré et tendu à l'écoute, parfois presque droit, proche d'une émission en sifflet.
Sortir légèrement la langue accompagne au contraire à merveille le franchissement du passage. Il déclenche souvent une modification spontanée et minimale de la couleur vocalique, à l'inverse de la couverture lourde et brutale d'une émission "bouchée-poussée".

La langue plate

Un autre principe, nettement moins partagé, requiert de garder la langue plate, sur le "plancher" de la bouche.
Un tel principe est beaucoup plus discutable. En effet, la formation des voyelles exige de la langue qu'elle adopte toute une série de positions spécifiques, dont aucune ne correspond à une langue strictement plate.
Logiquement, la voyelle neutre ( [voyelle neutre anglaise] anglais ou [e muet] français) exige la conformation de la bouche se rapprochant le plus de sa position de repos : la langue y est détendue, mais non plate.
La formation du [a] requiert, elle, la position la plus plate de la langue. On pourra alors, au besoin, vérifier que les bords de la langue sont en contact avec les dents des côtés. Mais il n'en est pas de même des voyelles antérieures comme [i], [e] et [y], ni même du [o] ou du [E].

Obliger la langue à conserver une position aplatie va :

Certes, les adeptes de la "commande cérébrale" peuvent vous démontrer qu'ils sont capables de produire toutes les voyelles avec la même conformation buccale. Une telle production manquera cependant de souplesse, la voix construite sur ce principe manquera de naturel, et l'interprétation de sincérité.
La langue est si souple et si docile, pourquoi ne pas l'utiliser ?

Les adeptes de la langue plate vous diront aussi que le chemin est ainsi parfaitement libre pour le son. Mais le son a-t-il besoin d'un tel gouffre pour s'épanouir ?
Si vous formez un [i] naturellement, avec la pointe de la langue contre les dents du bas et la partie avant de la langue soulevée en arc, votre bouche semble (de l'extérieur) presque complètement obstruée. Le [i] n'en sonne pas moins pleinement, puisqu'il dispose exactement de la conformation buccale dont il a besoin pour sonner comme un [i], et non comme un [y] ou un [e muet].

Garder la voix devant

Bien des défauts vocaux trouvent leur origine dans une mauvaise position et/ou une mobilité insuffisante de la langue.
La cause générale en est la suivante : la pointe de la langue se relève et/ou la langue recule dans la bouche.
Le son va alors se former derrière la langue - derrière la pointe de la langue ainsi remontée.

La langue sépare en ce cas la bouche en deux cavités :

  1. La cavité antérieure ne communique plus suffisamment avec le conduit vocal pour que s'y forme des harmoniques intéressants, ni même pour laisser s'épanouir vers l'extérieur les harmoniques créés en amont.

  2. La cavité postérieure tient le rôle prépondérant, en agrandissant encore le pharynx, qui est déjà la plus grande cavité de résonance dont dispose le chanteur, mais le son "enrichi" dans cette cavité ne trouve plus son issue naturelle par l'orifice labial.

Le premier formant est ainsi renforcé, et le deuxième affaibli.
Les voyelles en sont moins distinctes. La voix y perd en projection. L'auditeur la situe souvent "dans les joues" ou "dans la gorge" du chanteur.

Or, c'est souvent ce qui se produira si vous accordez la priorité au précepte de la langue plate : comme vous interdisez à la langue de monter en se courbant de manière convexe, elle va plutôt reculer et s'épaissir.

C'est toujours au moment où la pointe de la langue ne devrait absolument pas remonter qu'elle le fait :

Ce sont hélas justement les cas où il importe de ne pas reprendre ou décaler sa voix :

L'abaissement du larynx

Le son se formera également derrière, voire "dans" la langue, si vous cherchez à abaisser volontairement le larynx en appuyant sur lui la racine de la langue.
Mais la conséquence la plus grave résidera ici dans l'action même qui est indûment recherchée : le larynx sera "écrasé". La vibration des cordes vocales en sera rendue moins libre, moins pure. Le son paraîtra grossi, voire étouffé - un peu comme quand on abaisse le feutre de la pédale douce sur les cordes d'un piano.

Certes, cette technique est pratiquée justement pour protéger le larynx - mais dans un schéma d'ensemble où l'on souhaite pouvoir se permettre de pousser le souffle contre lui ! Le pauvre larynx se trouve ainsi pris entre deux poussées antagonistes, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne peuvent se combiner de manière à produire l'émission vocale la plus libre et la plus efficace possible !

L'effet d'étouffement du son est certes compensé par les adeptes de cette technique, généralement par un sur-timbrage nasal. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Ce type de technique vocale est à juste titre appelé compensatoire : au lieu d'appliquer le minimum d'énergie à un état d'équilibre, on applique des énergies antagonistes démesurées, avec l'avantage de ne pas avoir à se soucier de la délicate préservation de l'équilibre. C'est comme si vous conduisiez votre voiture sans desserrer le frein à main. Ou comme si vous vous nettoyiez la peau avec un détergent puissant, pour être sûr qu'elle soit bien propre, avant de lui appliquer largement une crème qui régénérera l'épiderme ainsi agressé, au lieu d'utiliser simplement un savon peu alcalin.

La conjonction d'un équilibre résonantiel avec un soutien adéquat (qui n'est autre qu'un équilibre respiratoire) rend superflues et préjudiciables ces techniques compensatoires, en offrant au chanteur des moyens d'expression beaucoup plus riches, car libérés de toute tension physique inutile.
Le simple contrôle de la position de la langue est un élément à la fois symptomatique et fondamental dans la construction d'une technique vocale efficace.

Corriger une langue qui recule ou rebique

L'image idéale de la langue plate, pointe contre les dents du bas, est bien connue. Vouloir obtenir directement et volontairement cette position revient cependant à se condamner à l'échec. En effet, une telle action ne pourrait s'accomplir sans tension. La tension ajoutée pour aplatir la langue et la forcer à rester en avant a des conséquences largement aussi néfastes sur le timbre et la ligne vocale que celles d'une langue qui recule.
Par contre, si l'on pense simplement à envoyer la langue le plus en avant possible, même par-dessus les dents du bas, elle reviendra spontanément à une position calme derrière les dents.

On peut faire des exercices d'attaque langue tirée, sur les voyelles ouvertes qui le permettent, puis rentrer la langue, de manière détendue, au cours de la phonation. On peut utiliser les consonnes [t] et [l], suivies d'une voyelle, pour placer la langue en bonne position.
Puis l'on enchaînera voyelles et consonnes ne posant pas de problèmes (par exemple [ti] ou [le]) et voyelles et consonnes à problèmes (par exemple [ra] ou [nE]), en s'efforçant de garder la langue dans la position des premières, mais dans la continuité de la ligne vocale, en s'interdisant de modifier la configuration linguale entre les syllabes faciles et difficiles.

Des arpèges comme des extraits du répertoire peuvent être chantés en faisant précéder chaque voyelle d'un [l] ou d'un [t], lesquels seront ensuite retirés sans que la "place" des voyelles change.
On remarque que le "texte" traditionnellement associé à un chant spontané ou enfantin est "tralala". Le [tr] initial projette parfaitement la langue en avant, surtout si on roule le [r]. Les [l] permettent de rabattre la langue entre chaque son vocalique.

Ce travail n'a d'intérêt que si le meilleur placement vocal ainsi découvert peut être connecté au souffle et au soutien de la voix. Or, toute modification du placement ("en haut") modifie le soutien ("en bas").
Si la voix sort plus facilement, une fois éliminé l'obstacle de la langue, le soutien de la voix non seulement pourra mais devra être moindre, mais tout en conservant son énergie, sa mobilisation. Devant la joie de voyelles qui "explosent", le risque est grand de vouloir les pousser encore davantage, et de monter en tessiture dans une voix trop ouverte, qui va peu à peu blanchir.

Si ce travail volontaire de la langue peut faire faire des progrès, d'autres progrès seront ensuite réalisés quand on pourra à nouveau oublier la langue. Parfaitement détendue, elle prendra à nouveau les positions que le cerveau lui dictera, à un niveau qui affleurera à peine à la conscience.

Le seul fait de dégager la langue peut faire ressentir une accroche antérieure de la voix, "dans les dents", "dans le masque" etc.
Tant que l'on ressent cette friture, tant que l'on a ce repère, on n'a plus besoin de se soucier de sa langue.

On s'attachera par contre davantage à maintenir une connexion profonde avec son souffle et son corps.
La bouche est en effet située entre la gorge et l'extérieur. Le fait de laisser reculer ou monter la langue rattache en quelque sorte la bouche à la gorge. On n'a généralement donc plus de problème de connexion avec sa colonne d'air.
L'ennui est que cette connexion est réalisée en pure perte, puisque le conduit vocal ne communique plus que médiocrement avec l'extérieur.

Inversement, "ouvrir un large bec", aplatir la langue à l'excès et abaisser la mandibule par l'avant rattache la bouche au milieu extérieur, mais la déconnecte de notre corps. Le son qui en résulte risque d'être trop ouvert, trop plat.
C'est donc une fois de plus un équilibre qu'il faut veiller à maintenir en permanence.

Accepter un certain recul de la langue dans l'extrême-aigu?

Tout ce paragraphe est sujet à caution. Je l'ai écrit voici plusieurs années, mais je ne suis plus d'accord avec moi-même ! Je l'ai néanmoins inclus, afin que vous puissiez me donner votre avis : Nous Écrire (Email).

 
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Un danger réel est cependant de tirer le larynx vers le haut en voulant attaquer les notes aiguës avec la langue parfaitement dégagée vers l'avant.
Il semble bien qu'un certain recul de la langue soit associé à la couverture des aigus. Ce recul de la langue peut s'observer chez les plus grands chanteurs de la première moitié du siècle dont nous avons conservé une trace filmée. Ce ne sont pas ces chanteurs que l'on accuserait, a priori, de grossir leur voix ou de boucher leurs aigus. Il semble donc légitime d'autoriser un léger recul de la langue sur les toutes dernières notes aiguës
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Ce recul ne doit cependant jamais se produire avant (ni sur) le second passage. Il ne doit pas être recherché volontairement. Il doit plutôt être atténué, afin de ne pas boucher brusquement la voix - car une langue trop repliée en arrière place un véritable bouchon sur la voix, comme la sourdine d'un instrument à vent !
Il faut veiller, subjectivement et selon les repères de chacun, à ce que le point d'impact de la voix reste bien en avant, tandis que la résonance monte et ne recule pas, même si l'on ressent un élargissement, une aération par l'arrière, comme le recul que l'on prendrait pour mieux sauter, ou comme l'action de la main qui tire la flèche et la corde de l'arc en arrière tandis que la pointe de la flèche reste dirigée vers l'avant.

Quelle justification acoustique peut-on trouver à ce recul ?

Il peut aider à un agrandissement du pharynx vers l'arrière, le haut et le bas, mais diminue sa communication avec la cavité buccale. Un pharynx dilaté à l'extrême n'est pourtant pas utile à l'émission des notes les plus aiguës, dont la fondamentale ne nécessite pas un si grand espace. L'intérêt est peut-être surtout de lutter contre la montée du larynx?

La cavité buccale, davantage dégagée à l'avant, est mieux connectée avec l'espace interlabial situé en avant des incisives. Cette cavité de petite taille est peut-être utile à donner du mordant aux notes les plus aiguës?

On aurait ainsi une sorte d'équilibre tendu entre une accroche subjective haute et antérieure permettant la formation des formants les plus élevés, et une fondamentale et un premier formant restant bien connectés au souffle. S'ils en étaient déconnectés, décollés, les aigus seraient jugés criés, ou à tout le moins blanchis, par l'auditeur.

Exercice : avancer la langue

Décrocher la mâchoire en projetant la langue en avant, tout en conservant sa pointe contre les dents du bas. Faire ce mouvement plusieurs fois de suite. Cela revient plus ou moins à former la voyelle [i], et habitue la langue à avancer tout en restant en contact avec les dents du bas, à travers tout mouvement de la mâchoire.

Exercice : chanter les narines fermées

Un excellent truc, pour contrer une tendance de la langue à intervenir ou à reculer, est de chanter le passage faisant problème en expiration pure, contre les narines fermées entre le pouce et l'index. Cela peut faire merveille à travers le passage !

En effet, la peur de l'aigu peut faire reculer la langue et tenir le son. La fermeture des narines offre une sorte de substitut de cette fermeture défensive de la gorge. Sécurisé par cette fermeture des narines et les sensations (les vibrations sympathiques) qui l'accompagnent, le chanteur peut laisser sa gorge parfaitement ouverte et détendue. Il "suffit" ensuite de conserver cette parfaite détente de la langue (une quasi absence !) en émission normale. Pour cela, on réintroduira progressivement le soutien, en revenant à une émission en expiration dès que l'ajout du soutien du souffle introduit l'appui parasite dont l'on veut se débarasser.
On remarque aussi, quand l'on ferme ainsi ses narines, que l'on peut se permettre de lâcher complètement la mâchoire, qui est relevée de sa fonction indue de tenir le son.

Un tel exercice peut facilement être mal compris, et confondu avec un exercice de placement. Il ne s'agit en aucun cas d'ajouter des "résonances nasales" à la voix. Mais il s'agit quand même d'éveiller le haut du visage, au-dessus du palais. La pratique de cet exercice est d'ailleurs très naturellement complétée par un certain soulèvement des pommettes, un certain sourire, une illumination du regard...
Il s'agit avant tout de sortir le son de la gorge, de le faire passer par-dessus la langue, celle-ci restant parfaitement étrangère à l'affaire !

Dans le même ordre d'idées, et pour contrer la tendance à coincer la voix dans le nez qui pourrait résulter de l'exercice ci-dessus, on alternera entre voix parlée (timbrée suffisamment haut et dégagée de la gorge), fausset (lui aussi totalement détendu) et voix chantée.

Utiliser un miroir

L'utilisation d'un miroir présente l'avantage de ne pas concentrer le chanteur sur sa langue - non plus que sur sa mâchoire.

Il ne faut en effet rechercher aucune sensation dans la langue, excepté celle du contact avec les dents du bas, et encore, seulement au début, si ce n'est pas spontané.

Lorsque l'on chante un morceau, il n'est pas non plus envisageable de garder une conscience permanente de la position de sa langue sur chaque voyelle !
Il est cependant utile de vérifier de temps en temps, au cours de l'échauffement vocal, la position de la langue lors de la formation de chaque voyelle, en la comparant avec les schémas publiés dans divers ouvrages, dont celui de Richard Miller, La Structure du Chant.
Le miroir présente l'avantage d'offrir un contrôle extérieur au chanteur, de même qu'un enregistrement de bonne qualité permet au chanteur de s'entendre de l'extérieur.
L'utilisation épisodique du miroir permet ensuite de vérifier que l'on conserve bien ces positions au cours d'un morceau, quels que soient la langue chantée, le tempo et la tessiture.