Jeunes Chanteurs >

Récital du Prix de Chant 2008 du Conservatoire de Paris

Récital du Prix de Chant du Conservatoire de Paris Paris CNSMDP 13/06/2008

Les règles de composition du programme ne sont plus distribuées aux auditeurs depuis 2006. Voici les règles de 2005, qui semblent être toujours valables :

Le type vocal est celui à nouveau mentionné au programme depuis cette année.
Le professeur de chaque chanteur n'est pas mentionné au programme. Si vous souhaitez le voir apparaître ou le corriger, vous pouvez me l'indiquer !

Cette année à nouveau, j'ai essayé de noter les candidats en utilisant la même échelle que le jury (AB, B ou TB). Il m'a cependant semblé moralement impossible d'attribuer de mention à l'un des candidats, aussi ai-je réintroduit la notation "-" qui signifie "sans mention".

  • B- signifie "je donnerais B mais je serais prêt à descendre à AB lors des délibérations si je faisais partie du jury".
  • AB+ signifie "je donnerais AB mais je serais prêt à monter à B lors des délibérations si je faisais partie du jury".
  • TB+ est mon équivalent personnel des félicitations du jury, distinction restée théorique cette année de ma part comme de celle du jury.

 
1) Ronan DEBOIS , baryton Damien LEHMAN : piano
Mariane MANKAR-BENNIS : clavecin
 
 1  J.Ph. RAMEAU Hippolyte et Aricie Air de Thésée « Puisque Pluton... » Tendance à baisser. Émission trop large par rapport à son énergisation. voix du coup un peu sourde, et quelques syllabes avalées.
 4  V. ULLMANN Betrunken Bon allemand. Le choix d'un air de tessiture assez étroite réduit ses possibilités d'expression, un peu monocorde.
 2  M. RAVEL Histoires naturelles Le Cygne Bon naturel et bonne voix mixte. Sa diction n'est pas aussi incisive que celle de certains interprètes de référence mais le texte passe très bien. Style juste et bon contraste final.
 2  F. SCHUBERT Le voyage d'hiver Erstarrung Toujours sobre. Un rien frustrant mais de bonne tenue.
 1  W.A. MOZART Don Giovanni « Deh vieni... » Le joue d'abord vulgaire et non caricaturant une sérénade de ténor, puis devient très doux sur le couplet du "zucchero". Au bout du compte, on ne comprend pas trop ce qu'il a voulu exprimer.
 3  R. SCHUMANN Szenen aus Goethes Faust « Hier ist die Aussicht frei... » Début un peu sous-énergisé. Son énergie se concentre mieux vers l'aigu. Tendance à grossir sa diction, ce qui étouffe un peu son potentiel. Beau "Gnade" en voce finta.
 1  B. BRITTEN Billy Budd « Look through the port... » Quelques notes trop basses. Bien interprété, le côté calme et résigné du personnage lui va bien. Petites erreurs de diction, comme le premier "ere" ("I go") qu'il commence sur [i], mais il se corrige sur le deuxième ("I sink")!
 1  M. LEIGH et J. DARION L'homme de la Mancha La quête Choisit de le chanter en voix de variété, quasi parlé, peut-être pour démontrer ses capacités d'adaptation à ce répertoire? Il aurait pu rester lyrique, car cela le fait chanter "sur la gorge", au bord de la raucité.
Chanteur globalement un peu fruste vocalement et musicalement, dont l'épanouissement est encore à venir. Il peut concentrer son émission et trouver plus de brillant.

 
2) Julie GENDRE-ROBARD , mezzo-soprano Jean-Paul PRUNA : piano
Li-Fang SU: piano
Tiphaine COQUEMPOT : violon
Daria FADEEVA : violon
Tamara DUPUIS : alto
Laure BALTEAUX : violoncelle
Margot CACHE: contrebasse
Pierre GALLON: clavecin
Hélène COLOMBOTTI : percussions
David JOIGNAUX : percussions
 
 3  A. VIVALDI Juditha Triumphans « Armatae face et anguibus... » Agile et efficace en vocalises. En dehors des vocalises, sa diction est un peu large, elle pourrait être plus mordante.
 4  M. LEVINAS Les « Aragon » « J'ai traversé les ponts de Cé... » Amusant dans l'outrance, bien choisi pour elle.
 2  C. DEBUSSY Trois Chansons de Bilitis La Chevelure Incroyable incarnation, on l'imagine créant ce cycle écrit pour elle dans un salon de l'époque... Français parfait, d'une merveilleuse justesse expressive.
 1  J. OFFENBACH La grande Duchesse de Gerolstein « Vous aimez le danger... Ah, que j'aime les militaires... » Cet air semble d'abord beaucoup moins lui convenir. Elle renonce au début (pourquoi?) à son legato, puis rentre peu à peu très bien dans ce rôle-là aussi. Bon potentiel d'interprétation!
 3 G. F. HAENDEL Cantate Lucrezia « O Numi eterni....Gia superbo del mio affanno... » Elle aussi chante quelques notes un peu bas (déjà sur le premier "Cé !"). Elle se laisse un peu trop guider par son instinct dramatique et pousse donc souvent des sons trop larges, manquant de concentration, de "verticalité" - c'est à dire de relation entre une résonance haute et libre et un soutien bas efficace.
 2  A. DVORAK Zigeunermelodien « Mein Lied ertönt... », « Reingestimmt die Saiten... » Lui va de nouveau très bien.
 2  B. BRITTEN A Charm of Lullabies The Nurse's Song Bien.
 1  G. ROSSINI La Cenerentola « Nacqui all'affanno...Non più mesta... » La langue italienne ne lui est décidément pas naturelle. D'entrée, elle ne redouble déjà pas les consonnes de "affanno" ! Plus incisive à partir de "Non più mesta". à nouveau très agile en vocalises.
Beau timbre de mezzo, avec des possibilités suffisantes dans l'aigu quand c'est nécessaire.

 
3) Sébastien BROHIER , baryton Yann MOLENAT : piano
Sophie IWAMURA : violon
Maud GIGUET : violon
Sylvestre VERGEZ : alto
Pierre ISABELLON : viole
Lucile BOULANGER: viole de gambe
Yoann MOULIN: clavecin
 
 1  J. MASSENET Hérodiade « Elle a fui le palais...» Voix très verte, ouvre les [e] de "Salomé" en "è" !!! Aucune notion de couverture, de modification vocalique ou de voix mixte. Il pourrait lui aussi chanter "La quête" en voix de variété, mais c'est tout simplement inimaginable pour Massenet !
Réussit mieux la reprise "piano", mais n'a pas appris à chanter plus fort sans crier ! Il reste dans un mécanisme lourd (mécanisme I) brut, non modifié!
 1  J.Ph. RAMEAU Dardanus « Voici les tristes lieux... » Ouvre toutes ses voyelles, transformant ses "on" et "ou" en "o" ouverts et ses "eu" fermés en "eu" ouverts... Impossible de phraser intelligemment dans ces conditions!
 2  F. POULENC Chansons gaillardes « Ma Maîtresse est volage... » Mélodie inévitablement suggérée aux titulaires de ce genre d'émission!
 3  J.S. BACH Cantate BWV 36 Der Tag der dich an dem Gebar Là aussi, se laisse juste entraîner en avant par l'ouverture de sa voix. Aucun phrasé possible, ni aucune appoggiature stylistiquement juste. Cet air semble aussi un peu grave pour lui, mais c'est un détail.
 4  P.A. BRAYE-WEPPE Songs « O rose, thou art sick... », « My heart leaps up... »  
 2  G. VERDI La Seduzione « Era bella com' angiol del cielo...» Le début "piano" donne une idée de son timbre possible, puis il crie de nouveau dès qu'il veut chanter plus fort. Il a au moins une piste de travail : reconstruire toute sa voix à partir de ses sons "piano" - c'est à dire des sensations et des coordinations qui y sont associées chez lui.
 1  W. A. MOZART Le Nozze di Figaro « Hai già vinta la causa... Vedrò mentr'io sospiro... » Tout ouvert.
 2  F. SCHUBERT Erlkönig « Wer reitet so spät... » Les voix différentes à jouer lui font du bien. La plainte finale de l'enfant peut aussi lui donner une direction de travail pour aborder l'aigu.

 
4) Pauline SIKIRDJI , mezzo-soprano Mara DOBRESCU : piano
Daria FADEEVA : violon
Tiphaine COQUEMPOT : violon
Tamara DUPUIS : alto
Laure BALTEAUX : violoncelle
Margot CACHE: contrebasse
Pierre GALLON: clavecin
Stéphanie RETHORE : alto
Pauline BUET : violoncelle
Vincent PENOT : clarinette
Marine FENNONI : flûte, piccolo
Emilie GASTAUD : harpe
François GARNIER : percussions
Romain MEISONNASSE : percussions
Thibaud BRIGNER, Samuel CHARLTON , Sidney PIN et Valentin VERDURE : artistes de cirque
 
 2  L. BERIO Folk songs - Loosin yelay Arrive sur scène portée par un "artiste de cirque" ! Ces quatre jeunes hommes détourneront ensuite régulièrement l'attention de la prestation purement vocale de la chanteuse.
 1  G.F. HAENDEL Ariodante « Con l'ali di costanza » Bien, bonne musicienne. Souffle court.
 2  M. RAVEL Histoires Naturelles Le Paon  
 1  G. BIZET Carmen Habanera Voix légère, mais toujours musicalement juste.
 3  M. DURUFLE Requiem Pie Jesu Beau, intense. Le chante à genoux!
 1  W.A. MOZART La Finta Giardiniera « Va pure ad altri in braccio » Voix trop légère pour cet air? L'air du premier acte, "Se l'augellin sen fugge", conviendrait sans doute mieux à sa voix, sinon à son tempérament.
 2  K. WEILL « Je ne t'aime pas » Lui va bien.
 4  V. BOUCHOT Chanson de Marcel Amusant.
 2  A. SCHOENBERG Cabaret songs Galathea Version avec acrobaties - portée comme une planche ou jetée en l'air par les quatre... Bien, malgré un allemand en bouillie. Arrive remarquablement à soutenir sa voix sans à-coups malgré la mise en scène acrobatique - mais est-ce la principale qualité requise par cette pièce?
 2  L. BERIO Folk songs - Azerbaïjan love song La référence à Cathy Berberian est inévitable pour ce genre de personnalité plus musicale et scénique que vocale. On s'étonne même de ne pas avoir eu droit à l'habituel Stripsody !
Cette artiste tire peut-être le meilleur parti possible de ses capacités vocales et extra-vocales. Il y a certainement de nombreuses voies à explorer pour s'épanouir et gagner sa vie en dehors des grandes scènes ! (Mais 19 personnes sur scène pour une chanteuse, c'est un peu beaucoup pour un prix de chant.)

 
5) Sébastien GRANDGAMBE , baryton Damien LEHMAN : piano
Estelle BEREAU : soprano
Anna REINHOLD : mezzo
Maïlys DE VILLOUTREYS : mezzo
Véronique HOUSSEAU : soprano
Rudi FERNANDEZ-CARDENAS : ténor
Nicolas CERTENAIS : basse
Benjamin ALUNNI : baryton
Xavier DE LIGNEROLLES : ténor
Guillaume ANDRIEUX : baryton
 
 3  J.S. BACH Johannes-Passion « Eilt, ihr angefocht'nen Seelen... » Lui n'invite sur scène qu'un pianiste, mais deux petits choeurs.
Tempo tranquille, quelques notes chez lui aussi trop basses. Encore cette tendance à chanter large en bouche et plat, avec peu de verticalité et de rayonnement. Air un peu grave pour lui.
 2  J. IBERT Chansons de Don Quichotte Chanson à Dulcinée Ouvre trop la bouche "a priori", trop grand dès le départ. Paraît à nouveau trop grave. Sonne sourd, à la limite de la raucité. Gros fumeur ou lésion des cordes vocales? Ne chante pas vraiment l'aigu final - c'est à dire pas soutenu en mezza-voce, mais détimbré avec du souffle.
 1  G.F. HAENDEL Acis et Galathée « O ruddier than the cherry... » Là aussi trop large en bouche - il est vrai que celle de Polyphème est "capacious" ! Chante l'air un peu trop staccato, ne chante à nouveau pas vraiment le fa aigu sur "than".
 1  W.A. MOZART Le Nozze di Figaro « Non più andrai... » Cet air lui convient bien sûr très bien : il a l'émission un peu brute qu'il requiert (par contraste avec l'air du Comte). Les aigus sur "riposo" passent ici très bien, soutenus et concentrés, bien fermés. L'italien lui donne un peu de mordant. Le phrasé du morceau masque son manque de legato et ses accents en "soufflets".
 4  G. FINZI Mélodie L'océan des âges Début correct, mais des passages difficiles où la raucité réapparaît et brouille sa voix, handicapant son timbre comme sa justesse.
 2  R. STRAUSS Lied op. 10 n° 8 Allerseelen Problèmes précédents encore plus audibles : pas de legato, émission trop large en bouche et problème d'accolement des cordes vocales.
 1  H. BERLIOZ La damnation de Faust « Devant la maison... » On entend bien là la technique vocale un peu brute qui peut traumatiser les cordes vocales et expliquer la raucité.
 1  O. HAMMERSTEIN II The king and I « I whistle a happy tune » Lui va très bien. Encore une reconversion possible vers une émission et une carrière de comédie musicale!

 
6) Xavier MAUCONDUIT , ténor Mark DAVIES : piano et orgue positif
Saskia SALEMBIER : violon
Maud GIGUET : violon
Daria FADEEVA : alto
Laure BALTEAUX : violoncelle
 
 3  G.F. HAENDEL Le Messie « Comfort ye, my people... Ev'ry valley shall be exalted... » Parfaite respiration des instrumentistes et donc du chanteur (ou vice versa?) dans le récit, comme toujours autour de Mark Davies. Nouvelle démonstration de l'importance de l'accompagnateur d'une classe de chant et de sa musicalité !
Anglais mordant et efficace. Attaques et articulation agiles et parfaitement justes, chose bien rare cet après-midi.
 1  W.A. MOZART Don Giovanni « Il mio tesoro... » Excellente gestion du souffle. Assourdit quelques notes ("a" graves...) en ouvrant trop la bouche. Gagnerait sans doute à travailler sur l'alignement de sa nuque avec le reste de sa colonne vertébrale, ou à réfléchir à ce que Richard Miller appelle "appoggio della nucca" dans "Solutions for Singers" (pp 8-10 et 44).
 1  S. MERCADANTE Il Bravo « All' età dell' innoncenza... » Bonnes qualités de "bravura" des aigus italiens. Au début de l'air, pourrait concentrer un peu mieux sa voix sur les "piani" et éviter quelques sons "plats" - trop larges et "bruts", pas assez "mixtes". Cela aurait pu éviter la difficulté sur l'aigu qui suivait, abordé par en-dessous, lui aussi trop large et plat.
 4  I. STRAVINSKY Le Rossignol Air du pêcheur Au début, trop large et "sur la gorge". Se rattrape ensuite, mais pourrait avoir une émission plus haute et concentrée, surtout dans cette langue et ce répertoire, qui appellent cette couleur!
 2  B. BRITTEN Down by the Salley Gardens Quelques notes encore sous pression, mais le travail de cet air a dû lui faire du bien!
 2  H. WOLF Italienisches Liederbuch « Heb' auf dein blondes Haupt » Bien.
 2  D. DE SEVERAC A l'aube dans la montagne Rencontre des difficultés, dans cette mélodie, à timbrer grave et aigu avec homogénéité. Un peu long, aurait pu choisir autre chose?
 2  R. STRAUSS Opus 27, n° 3 Heimliche Aufforderung Le chante un peu lourd et se crée donc des difficultés. A enchaîné bien vite ses mélodies, aurait pu se détendre davantage entre chacune.
 1  C. GOUNOD Faust « Salut, demeure chaste et pure... » Aigu très réussi.
Ne réussit pas encore aussi bien toutes les facettes de son récital, mais a un excellent potentiel très sain et bien guidé.

 
Conclusion

Très peu d'élèves étant sortis en 2004 et les élèves pouvant rester 4 années, le cru 2008 est à nouveau très réduit. Le niveau moyen en est faible.
La tendance marquante est la contamination de l'émission lyrique par l'émission de variété ou de comédie musicale. Manque de formation de l'oreille par l'écoute en concert ou sur scène de voix correctement émises? Introduction déstabilisante de comédie musicale dans le cursus de formation? Dégradation ou dispersion de la culture vocale chez les professeurs? Les bases du bel canto semblent de plus en plus difficiles à transmettre !

Une émission "brute", directe, frontale se répand, surtout chez les barytons ! Ne tenant pas compte des possibilités de résonance de la voix humaine ni de l'acoustique des salles, elle semble destinée au micro. Le formant du chanteur y est de moins en moins présent. Plusieurs élèves chantent trop large, "en bouche", avec des ouvertures buccales exagérées. Il en résulte des timbres plats et des intonations souvent basses.
Cela est d'autant plus irritant que les bases de la posture et de la respiration semblent mieux maîtrisées que par le passé. Il semblerait donc que l'on ait affaire à une dégradation d'origine plus esthétique que technique. Choix des élèves? Des professeurs? Des autorités de tutelle? Le CNSMDP amorcerait-il sa reconversion en école de comédie musicale? Les "musiques actuelles" vont-elles y remplacer le chant lyrique?
Si l'origine de cette déviance est peut-être un choix esthétique, les conséquences techniques et physiques en sont dramatiques. Un élève laisse entendre des problèmes vocaux qui semblent résulter d'un forçage vocal habituel, c'est à dire d'une émission que lui-même et/ou son professeur considère comme correcte et souhaitable. Un autre ne maîtrise pas les toutes premières bases de l'émission lyrique de l'aigu.

Alain Zürcher