Écoutes de Spectacles

Semele

 • Paris • 04/02/2004
Marc Minkowski (dm)
David McVicar (ms)
Andrew George (chg)
Tanya McCallin (d)
Brigitte Reiffenstuel (c)
Paule Constable (l)
Jupiter  :  Richard Croft, ténor
Cadmus, Somnus  :  David Pittsinger, basse
Semele  :  Annick Massis, soprano
Ino  :  Charlotte Hellekant, mezzo-soprano
Juno  :  Sarah Connolly, mezzo-soprano
Iris  :  Claron McFadden, soprano
Athamas  :  Stephen Wallace, contre-ténor
Cupido  :  Marion Harousseau, soprano
Apollo  :  Andrew Tortise, ténor

Le rideau de cette Semele se lève sur une étrange impression de déjà-vu : on retrouve le même décor blanc de salon classique, les mêmes chaises disposées comme pour une cérémonie, les mêmes invités en queue-de-pie entrant peu à peu, la femme en robe de soirée attendant l'arrivée de personnages plus importants. On se dit alors : "Quelle belle vie que celle de metteur en scène, on trouve une idée puis on se promène autour du monde en l'appliquant à telle ou telle oeuvre, mais tout de même, David McVicar aurait pu renouveler un peu son approche depuis son Saul munichois du printemps dernier !". On s'étonne juste que le programme ne le crédite pas de cette production, mais ce n'est finalement pas étonnant, puisque la mise en scène en était signée Christof Loy !

Amusant plagiat donc, hommage à un collègue dont McVicar ne s'explique pas dans le programme mais peut-être ailleurs. Ce traitement identique met en valeur les parallèles entre les deux oeuvres. Saul et Semele ont tous deux été créés sous forme d'oratorio, et les raisons qui font désigner maintenant Semele comme un opéra ne sont pas limpides.
Le choeur a dans les deux oeuvres la place d'un choeur d'oratorio. Il a ainsi inspiré à Christof Loy l'idée de le mettre en scène comme un choeur en habit dans une salle de concert classique. Mais la structure des deux oeuvres les rapproche aussi, avec cette cérémonie initiale et cette libération finale, où les choristes en tenue de soirée se dépenaillent progressivement et prennent leurs aises à même le sol, à Paris comme à Munich.
Entre le début et la fin identiques, David McVicar ne respecte pas totalement le parti-pris de Christof Loy mais les choristes apparaissent toujours en choristes d'oratorio, parfois sur le balcon en corniche (ou la corniche en balcon) du décor unique néoclassique de Tanya McCallin, vaguement inspiré de Palladio, Ledoux ou directement du Panthéon de Rome.

Ce décor est varié par les superbes lumières de Paule Constable et par l'inclinaison d'une partie circulaire du plateau central. Si l'on ajoute le rayon de lumière qui trace au troisième acte un cercle plus petit et la trappe elle aussi circulaire qui engloutit Semele, ce plateau présente à peu près les proportions d'un ancien disque vinyle 33 tours, ce qui est donc le second hommage de la soirée !

La mise en scène tient la route de bout en bout et les chanteurs approchent la qualité du travail de troupe réalisé à Munich, même si moins d'interactions sont ici demandées aux choristes, qui doivent par contre exécuter une sorte de gestuelle conventionnelle avec leurs mains. Ces choristes sont musicalement et vocalement stupéfiants d'ensemble, d'harmonie, d'autorité, d'équilibre, de qualité de timbre. Leur netteté d'attaque et leur homogénéité sont incroyables de la part d'un choeur français et auraient été inimaginables il y a encore dix ans. Leur diction anglaise ne déparerait pas non plus dans une cathédrale britannique. Le rapport entre leurs consonnes et leurs voyelles est idéal et ils chantent avec autant de précision et de tranquillité que s'ils avaient la partition devant eux sur des pupitres.

Comme les solistes, ils bénéficient de la respiration formidablement juste, à la fois rigoureuse et libre que Marc Minkowski communique à la musique en la vivant plus qu'en ne la dirigeant. L'orchestre est remarquable ainsi que son violoncelle solo !

Vocalement, le plateau est superbe et équilibré.
Charlotte Hellekant et Marion Harousseau ajoutent leurs dons de comédiennes à leurs talents vocaux : la première en amoureuse timide et binoclarde, genre "meilleure amie servant de faire-valoir"; la seconde en Cupidon dont la canne d'aveugle est devenue canne de meneuse de revue, en costume rouge à paillettes et maquillage de poupée japonaise. Sa voix, mystérieusement disparue au premier acte (où Claron McFadden la remplace vocalement) est tout aussi mystérieusement réapparue au second acte, où elle est d'emblée bien timbrée et bien conduite. Ses attaques aiguës en sons droits sont sans doute aussi intentionnelles que les ports de voix assortis à sa gestuelle de cabaret - qui convient particulièrement bien à son bel air "New desire I'll inspire". Amusant clin d'oeil final, où Cupidon entre en scène en poussant dans un landau le fruit des amours de Jupiter et Semele : Bacchus, sous la forme d'un magnum de vin - voire un jéroboam !

Sarah Connolly est une Junon particulièrement bien caractérisée, de son maquillage outrancier à sa voix affirmée aux graves sonores. Le procédé consistant à faire jouer et bouger les lèvres à Ino quand Junon chante après avoir pris son apparence fonctionne bien.
Stephen Wallace pourrait lui s'affirmer un peu plus, mais le rôle d'Athamas n'y incite peut-être pas.

David Pittsinger a une noblesse et une autorité magnifiques, qui renforce encore la parenté de cette oeuvre avec les oratorios anglais de Haendel.
Richard Croft trace un portrait étonnant mais convaincant d'un Jupiter qui ne déparerait pas chez Offenbach. Si deux aigus sont un peu bouchés dans son premier air, l'air doux et élégiaque "Where'er you walk" convient bien au beau médium de sa voix.

Le rôle écrasant d'Annick Massis suffirait peut-être à la situer un peu à part, mais elle se distingue aussi de manière moins flatteuse : par un anglais moins idiomatique que celui de ses collègues, qui nuit parfois à sa ligne vocale et au rayonnement de sa voix; par une raideur physique presque inquiétante (problèmes de dos?); par des aigus souvent tirés, dont sont peut-être responsables ce même manque de souplesse et parfois de connexion profonde, parallèlement à une dureté un peu fixe de l'expression, qui est aussi une relative fixité des articulateurs, et par là des résonateurs dont ils constituent les parois. Certes, cette gestuelle trace un portrait juste d'une Semele qu'on aurait peut-être envie de gifler dans la vie réelle, mais une chanteuse ne doit-elle pas trouver aussi dans son personnage de quoi se mettre en valeur et mettre en valeur sa voix?
Dans son premier air par exemple, certains aigus sont ouverts et lâchés, quittant la ligne vocale et le corps. Certaines attaques graves sont un peu grossies. Certaines consonnes sont l'occasion d'une déperdition de souffle et d'une rupture de la ligne vocale. Ses reprises de souffle manquent souvent de profondeur et les réattaques suivantes s'en ressentent. Les vocalises manquent un peu de "focus", qu'elle ne trouve que dans le médium sur des voyelles fermées. L'ensemble de cet air en est rendu un peu laborieux et ennuyeux.
Au second acte, "O sleep" est superbe avec son accompagnement par le continuo, classiquement évocateur du thème du sommeil.
La voix d'Annick Massis blanchit à nouveau dans son duo avec Ino. Au troisième acte, sa voix est étonnamment mieux connectée dans le passage qu'elle chante à genoux. Auparavant, "Myself I shall adore" sonne aigre, mais il est vrai qu'elle y vocalise presque uniquement sur [i] ! Dans l'air "No, no, I'll take no less", la légèreté de son placement lui permet des colorature d'une vélocité hallucinante.

Après toutes les turpitudes du livret, la morale conservatrice est quand même tirée par le choeur : il importe que chacun reste à sa place !

À voir les 6, 8, 10, 12 et 14 février 2004 au Théâtre des Champs-Élysées. à écouter le 29 mai 2004 à 19h30 sur France-Musiques.