Écoutes de Spectacles

Il Trovatore

 • Paris • 07/12/2004
Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Chef des Choeurs : Peter Burian
Gustav Kuhn (dm)
Francesca Zambello, Isabelle Cardin (ms,r)
Maria Björnson et Adrian Linford (d)
Sue Willmington (c)
Gerard Mortier et Rui De Matos Machado d'après Peter Mumford (l)
Leonora  :  Marina Mescheriakova
Azucena  :  Elena Manistina
Inez  :  Natacha Constantin
Manrico  :  Neil Shicoff
Conte di Luna  :  Dmitri Hvorostovsky
Ferrando  :  Kristinn Sigmundsson
Ruiz  :  Xavier Mas
Un vecchio zingaro  :  David Bizic
Un messo  :  Fernando Velasquez

Après la consternante distribution vocale féminine des Dialogues des Carmélites diffusés sur France-Musiques le 4 décembre, on espère que la catastrophe de ce Trouvère n'est qu'un accident de parcours qui ne présage en rien de la qualité des futures distributions réunies par Gerard Mortier.
Pour servir Poulenc, seule
Patricia Petibon surnageait. Anja Silja a la voix usée par une longue et belle carrière. Eva Maria Westbroek n'a ni le style ni la pureté vocale requises. Felicity Palmer ne se permettait certes pas, en première prieure, plus d'approximations que certaines de ses devancières, mais n'avait pas le dixième de l'impact d'une Rita Gorr même en fin de carrière. Dawn Upshaw exposait en Blanche une voix aigre et vieillie, aux voyelles inégales à hurler, rappelant ce passage de la Flûte Enchantée où Papagena singe une vieille femme.

Pour servir ce soir Verdi, un ténor à qui on préférerait souhaiter une heureuse retraite, une mezzo aux moyens intéressants mais qui n'a pas ou du moins n'arrive pas à imposer une idée dramatique et stylistique claire de son personnage, une soprano naguère brillante aujourd'hui en grande difficulté technique et un baryton à l'engorgement bien connu. On se croirait revenu aux sinistres années 80 du palais Garnier, quand Paris ne semblait plus pouvoir accueillir que des chanteurs aphones en fin de carrière, si le brillant système d'amplification Carmen ne permettait désormais de faire entendre les voix les plus défectueuses jusqu'au fond de la salle.

Marina Mescheriakova, qui séduisait pourtant dans ce même rôle au Metropolitan en 2003, n'est plus que l'ombre d'elle-même. On espère passagère la méforme qui l'empêche de chanter tout aigu piano et de soutenir bien des phrases jusqu'au bout, émettant ainsi à grand peine de pénibles gloussements ou couinements un bon demi-ton en-dessous de la note.

Dmitri Hvorostovsky a toujours été un exemple caricatural d'engorgement, compensé par un physique dit "avantageux". Il semble mêler à toute voyelle une proportion de "eu" d'environ 75%. Son chant en est réduit à un beuglement ne rencontrant que passagèrement une note de la partition, en-dessous de laquelle il se maintient sinon soigneusement.

Elena Manistina finit par laisser penser qu'elle pourrait être une bonne Azucena, dont elle a les graves sinon le style. Dans l'air qu'elle chante après sa capture, elle réussit même, pour la première fois, à tenir le bon tempo rapide qu'elle a pris. Il est dommage qu'elle ait ouvert ses aigus et se soit enlisée musicalement pendant la première partie de la soirée.

Neil Shicoff, qui arrivait encore naguère à donner le change par son engagement expressif dans ses fameux rôles "torturés", n'expose plus que la trame de sa voix, encore sonore mais maigre et dure, et son corps même s'est raidi et comme momifié.

Face à tant d'horreurs, les petits rôles font plaisir à entendre. La basse Kristinn Sigmundsson a une émission agréablement claire par rapport au baryton Dmitri Hvorostovsky. Natacha Constantin est une élégante Inez.

Au pupitre, Gustav Kuhn est impuissant à donner la moindre cohérence à cette distribution disparate, où chacun chante dans sa couleur vocale, son style et son tempo. Les ensembles affichent des décalages et une hétérogénéité à s'arracher les cheveux. Sans doute le chef et ses musiciens ont-ils jeté l'éponge de désespoir, car ils n'ont même plus la force de tirer quoi que ce soit des passages orchestraux et choraux.

La mise en scène de l'omniprésente Francesca Zambello est de style sinon de niveau "international" : interchangeable, kitsch, lourde, coûteuse, décorative, laide, humainement inexistante. Elle contribue à rendre cette production digne du spectacle de fin d'année d'une maison de retraite (pour milliardaires).

Cette oeuvre bien connue a heureusement attiré une salle comble et satisfaite qui a applaudi imperturbablement les pires horreurs. Peut-être Gerard Mortier a-t-il trouvé la bonne recette d'une programmation "à deux vitesses", un peu comme Jérôme Savary alterne, salle Favart, shows amplifiés et spectacles (légèrement) plus exigeants?