Marie-Nicole Lemieux R
Théâtre de l'Athénée • Paris • 14/11/2005
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La contralto Marie-Nicole Lemieux, déjà appréciée dans Orlando Furioso, a offert un récital prometteur dans l'agréable théâtre de l'Athénée. Mais est-elle contralto? Ni son programme, reflet de son récent enregistrement paru chez Naïve, ni sa voix ne le laissent supposer.
Marie-Nicole Lemieux séduit par sa simplicité, sa franchise, son absence d'affectation. Son chant pourrait cependant être encore plus franc et direct qu'actuellement. Ce n'est qu'à partir de la dernière Chanson de Clément Marot d'Enesco (choix par ailleurs original et intéressant) qu'elle concentre et libère à la fois sa voix. Étonnamment, il s'agit d'une pièce "triste". La gravité convient en fait très bien à Marie-Nicole Lemieux. S'abandonnant à ces émotions profondes et calmes, elle connecte mieux sa voix à son corps, se "pose" mieux et livre sa voix plus librement. Peut-être ces pièces lui permettent-elles aussi de se prendre un minimum au sérieux? Elle est là très émouvante. Ses lignes sont belles, même si parfois soufflées, même si toutes les notes ne sont pas parfaitement tenues.
La première partie de son récital sonne par contre souvent retenue dans la mâchoire, entre les dents. Il en résulte parfois un vibrato excessivement lent et large, surtout quand elle veut chanter piano et retient encore plus sa voix. Sans doute pourrait-elle la retenir en ralentissant la remontée de son diaphragme plutôt qu'au dernier moment par une contraction des articulateurs. Ce meilleur appoggio corrigerait aussi l'excès de souffle qui se mêle à sa voix et lui permettrait de trouver un timbre plus riche et efficace, qu'il soit ou non de contralto. Il lui permettrait aussi de bien prononcer les consonnes sans laisser échapper trop d'air et compromettre ainsi sa ligne de chant. Étant donnée la petite taille de sa bouche, Marie-Nicole Lemieux ne devrait pas non plus avoir peur d'ouvrir la mâchoire.
Sa voix parlée n'est pas dénuée d'accent, dont une part se retrouve dans son chant. C'est à nouveau dans les passages trop retenus et contrôlés qu'un "cheveu" ou chuintement peut devenir gênant, tandis qu'il disparaît quand sa voix s'épanouit. L'agilité insuffisante de l'articulation rend difficile de comprendre toutes les paroles, notamment dans "Aux damoyselles paresseuses d'escrire a leurs amys" d'Enesco.
Marie-Nicole Lemieux reste excellente dans le deuxième recueil des Fêtes Galantes de Debussy, dont le calme (surtout celui de la première pièce "Les Ingénus") lui va bien. Dans la dernière pièce du cycle, "Colloque sentimental", les [i] aigus sur "indicible", ici un peu durs, sont bien sûr une difficulté.
Reynaldo Hahn clôt ce programme mieux qu'il ne l'avait ouvert. Si Marie-Nicole Lemieux n'a pas été avare de bis (cinq !), elle n'a cependant pas repris son récital depuis le début, ce que l'on souhaiterait souvent après la détente apportée par les bis !
Elle manifeste un beau legato dans "Offrande". C'est dans "D'une Prison" que ses aigus sont les meilleurs, les plus libres et rayonnants. Sa voix n'est plus tenue dans la mâchoire mais rayonne maintenant souple et libre. L'énergie semble mieux circuler, les aigus sont mieux reliés aux graves et elle réussit un magnifique chant piano soutenu. "Trois jours de vendange" est beau et touchant. "L'Heure Exquise", qui donne son titre à ce programme, est également superbe. Pour une touche ultime de perfection, on aimerait que le "i" du dernier "exquise" soit encore plus épanoui et que le "se" final garde encore mieux sa hauteur et son caractère vibrant !
Si l'on se dit d'abord que l'opéra lui permet de se "lâcher" davantage, elle n'y réussit cependant pas dans la mélodie a priori plus "opératique" qu'est "Quand la nuit n'est pas étoilée", sur laquelle elle conclut son programme.
Parmi les bis, "L'Invitation au Voyage" et "Chanson Triste" de Duparc laissent augurer un futur bel enregistrememnt intégral de ce compositeur. D'une belle sincérité d'expression dans la deuxième mélodie, elle peut utiliser la première pour apprendre à encore mieux lier et poser ses finales muettes, en les atténuant tout en les soutenant dans la continuation de la ligne musicale et vocale. Ne devant être ni lâchées, ni appuyées, ni écourtées, ni trop ouvertes ni trop fermées, ces finales sont une des subtilités les plus ardues de la langue française chantée. Est-ce Souzay qui demandait, en masterclasse, de les trouver à partir de la neutralisation de la voyelle précédente?
Restant bien concentrée pendant le postlude de "Puisque j'ai mis ma lèvre" de Hahn, Marie-Nicole Lemieux est aussi très expressive dans "Hôtel" de Poulenc, par ses ports de voix comme par son jeu de scène qui en est un bon équivalent physique.
Elle chante ensuite "Daphénéo" de Satie en prenant une voix enfantine caricaturale. Pourquoi pas, le résultat est amusant et on l'imagine du coup interprétant le répertoire de Juliette...
Alain Zürcher