Écoutes de Spectacles

Anna Bolena OC

 • Paris • 23/11/2008
Orchestre et choeurs de l'Opéra National de Lyon
Evelino Pidò (dm)
Anna Bolena  :  Ermonela Jaho
Enrico VIII  :  Marco Vinco
Giovanna Seymour  :  Sonia Ganassi
Lord Riccardo Percy  :  Dario Schmunck
Smeton  :  Manuela Custer
Lord Rochefort  :  Shadi Torbey
Signor Hervey  :  Stefano Ferrari


Ermonela Jaho
 

Comme en 2005 pour Roberto Devereux, Evelino Pido vient diriger l'orchestre de l'opéra de Lyon au Théâtre des Champs-Élysées. Comme en 2002 pour Il Pirata au Châtelet, l'ouverture parfaitement idiomatique nous saisit, puis l'entrée des chanteurs nous déçoit. Comme pour Lucie de Lammermoor, l'héroïne commence la soirée avec une voix fatiguée puis se reconcentre pour une superbe scène de folie.
D'une sensibilité idéale pour le bel canto romantique, Evelino Pidò excelle à diriger et exalter des voix féminines capables de partager cette sensibilité. On a ainsi pu apprécier son association avec Alexandrina Pendatchanska dans Semiramide ici-même en 2006, avec Joyce DiDonato et Anna Netrebko dans les Capulets de Bellini à la Bastille en mai 2008, ou dans une oeuvre plus tardive avec Tamar Iveri dans l'Otello de Verdi à Orange en 2003. Guider de tels tempéraments et s'en nourrir en retour est sans doute la part la plus excitante de son métier.

De telles incarnations vocales ne vont pas sans danger, comme Patrizia Ciofi ou Natalie Dessay ont pu l'éprouver. Engagée à 100% dans son personnage, Ermonela Jaho se met elle aussi en danger. Certes, 90% du temps, laisser l'engagement dramatique dicter le fonctionnement de l'instrument vocal est sans doute le meilleur moyen de chanter de manière efficace et coordonnée. Mais il faut aussi placer quelques bornes à l'engagement vocal, pour ne pas perdre le contrôle en cas de fatigue. Annoncée malade au début du spectacle, Ermonela Jaho assure certes très correctement la représentation, mais avec une voix qui bouge trop et manque de "focus".

Créée à Milan en décembre 1830, l'oeuvre fut écrite pour les plus grandes voix de l'époque, le ténor Giovanni Battista Rubini, la basse Filippo Galli et la soprano Giuditta Pasta. Sans voix, cette oeuvre deviendrait musicalement insignifiante. Ce n'est pas le cas ce soir, mais le plateau vocal souffre d'un manque de cohésion. Choix de voix mal assorties? Manque de répétitions? Un travail scénique aurait sans doute profité aux chanteurs. Un simple travail plus approfondi des ensembles aurait permis à chacun d'écouter ses partenaires au lieu de se contenter d'additionner des décibels en un magma indigeste. Le premier acte souffre de cette lourdeur, qui ne semble pas être le fait de l'orchestre et du chef, mais qui est peut-être accentuée par l'acoustique de la salle. Venant de Lyon, les chanteurs n'ont peut-être pas eu le temps de remarquer qu'ici, en forçant moins sa voix, on passe beaucoup mieux ! C'est chose faite au second acte, où la prédominance des voix féminines et du choeur féminin donne plus de clarté au résultat sonore.

Si l'impeccable ténor Dario Schmunck est hué par une de ces étranges cabales qui semblent avoir choisi le TCE comme résidence, la basse Marco Vinco est bien plus responsable d'un certain nivellement vocal et musical de la soirée. Son émission est certes "efficace" en ce sens qu'elle est sonore, mais les harmoniques de sa voix sont produits dans la gorge et le nez, à travers un conduit vocal d'une fixité bien ennuyeuse. Son personnage est certes psychologiquement tout aussi monolithique et inintéressant. Cette raideur vocale pourrait mettre en valeur, par contraste, la richesse de couleurs d'Ermonela Jaho, mais cela ne fonctionne tout simplement pas.

La scène de l'acte II entre Anna Bolena et Giovanna Seymour est par contre splendide. Sonia Ganassi, qui cherchait ses marques au début de la soirée, y trouve son plein rayonnement. Aux côtés de ces premiers rôles, Stefano Ferrari se met peu en valeur en jouant les utilités mais Shadi Torbey, tout aussi clair d'émission, repose l'oreille de l'écoute de son royal collègue basse.

Une belle ouverture et un beau second acte clos par une scène de folie splendidement incarnée, où Ermonela Jaho parvient à retrouver tous ses moyens, ne dissipe pas une impression générale de forçage vocal qui prive l'oeuvre des subtilités que seules les voix peuvent lui donner, des voix intenses mais aussi parfaitement maîtrisées individuellement et finement combinées en ensembles.

À écouter samedi 6 décembre à 19h sur France-Musique.