Écoutes de Spectacles

Lucio Silla

 • Freiburg • 27/12/2008
Clemens Flick (dm)
Ludger Engels (ms)
Andri Hardmeier (dr)
Christin Vahl (d)
Gabriele Rupprecht (c)
Philip Bußmann (v)
Lucio Silla  :  Bernard Richter
Giunia  :  Iride Martinez
Cecilio  :  Sang Hee Kim
Cinna  :  Jana Havranova
Celia  :  Lini Gong
Aufidio  :  Roberto Gionfriddo

Après Idomeneo en 2006 et Mitridate en avril 2008, Freiburg poursuit son exploration des opere serie de Mozart. La même équipe scénique est réunie, pour une réalisation encore plus trash. L'ouverture se joue dans un bar du pire mauvais goût entre putes et voyous, mini-jupes moulantes, lamé or, costumes blancs et chemises ouvertes. Les putes deviennent ensuite les héroïnes, les voyous les héros de l'opéra. Les origines étrangères des chanteuses ont peut-être inspiré dramaturge et metteur en scène pour localiser l'histoire dans quelque bouge de bas-fonds? Le long comptoir blanc de ce bar demeure ensuite un élément de décor, sur lequel se font certaines entrées et sorties. Demeure aussi au milieu du plateau un lit circulaire blanc et ses coussins. Quand ils chantent sur ce lit, les protagonistes se filment avec une caméra vidéo dont les images sont projetées au fond de la scène. Un drapeau est périodiquement brandi. Un fauteuil à roulettes et quelques chaises en plastique complètent le décor. Quand ils n'ont rien de mieux à faire, les chanteurs tracent quelques graffiti sur le mur de fond au-dessus du comptoir.
Si Ludger Engels veut ainsi montrer que la vulgarité croît avec le niveau de pouvoir politique, on s'étonne que cette thèse, peut-être juste par ailleurs, soit ici en contradiction avec la conclusion de l'opéra, qui voit le tyran triompher de lui-même et faire le bonheur autour de lui en renonçant au despotisme - sentimental du moins. Il est vrai que dans cette production, Lucio Silla est encore plus psychopathe dans la clémence que dans la violence. Le public applaudit comme d'habitude à cette conception de la mise en scène. Pendant le spectacle, il est par contre désormais aussi bruyant et dissipé que de notre côté du Rhin, en un remarquable exemple d'unification européenne.

Cette production d'une vulgarité repoussante est heureusement très bien chantée. On ne peut que s'émerveiller des trésors d'expression vocale qui éclosent malgré ou grâce à une totale soumission aux diktats les plus abjects d'un metteur en scène. Ce dernier pense-t-il que la beauté vocale et le sens musical ne peuvent être exprimés que par des chanteurs ayant dépassé toute pudeur personnelle au terme du processus d'avilissement en lequel consiste son travail? Veut-il ainsi présenter un parallèle moderne et compréhensible à la tyrannie d'un dictateur romain? Ludger Engels utilise aussi la ficelle qu'il avait laissée de côté dans Idomeneo  : il fait rester en scène, pendant l'acte III, tous les personnages qui n'ont rien à y faire. Après la vraisemblance de lieu, toute vraisemblance de temps est ainsi réduite à néant, comme toute vraisemblance de rapports humains et partant toute humanité.

La programmation fournie des théâtres allemands permet à de jeunes chanteurs mais aussi à de jeunes chefs de débuter. Clemens Flick en est ce soir un excellent exemple. à nouveau, l'orchestre satisfait bien davantage dans cette oeuvre "ancienne" que dans celles du répertoire standard du XIXème siècle : le Freischütz cette année ou Don Carlo en 2006. Sans doute bénéficie-t-il de la forte culture d'interprétation baroque de la ville, qui y attire de nombreux musiciens talentueux.

Si les voix de ce soir ne sont pas immenses, elles sont remarquablement homogènes. Les récits sont malheureusement chantés, surtout au début, dans un italien haché digne d'une caricature d'allemand par Louis de Funès. Les plus beaux airs sont chantés au troisième acte. Lini Gong, Jana Havranova, Sang Hee Kim et Iride Martinez peuvent ainsi démontrer leurs grandes qualités vocales. Mozart offre aux deux dernières deux beaux airs intenses et dramatiques. Lini Gong elle-même s'épanouit dans un air plus tonique et centré. Roberto Gionfriddo aurait une bonne voix si son émission n'était pas aussi ouverte, ce dont souffrent ses aigus. Remarquable Idomeneo en 2006, Bernard Richter conduit toujours très bien sa voix jusqu'au grave, avec une émission d'apparence très naturelle.