Albert Herring
Opéra Comique • Paris • 26/02/2009
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Albert Herring regroupe à peu près autant de chanteurs que d'instrumentistes. Opéra de chambre peut-être, mais d'une rare exigence avec ses treize solistes vocaux ! Cette caractéristique l'avait fait choisir par le CNSMDP pour un spectacle d'élèves il y a quelques années. C'est apparemment cette excellente production qui avait été reprise à Rennes début 2001. Alors à la tête de l'opéra de Rennes, Daniel Bizeray dirige maintenant celui de Rouen qui a coproduit le spectacle de ce soir. Quant à Laurence Equilbey, elle y est en résidence avec son ensemble Accentus. Voilà donc une partie des trajectoires qui se sont croisées pour permettre au nombreux public de la salle Favart d'apprécier à nouveau ce rare ouvrage.
Après Le viol de Lucrèce, chef d'oeuvre tragique, Albert Herring, chef d'oeuvre comique, est le deuxième d'une longue série d'opéras de chambre créés par Britten. Il y reprend le thème de son succès précédent pour plus grand effectif, Peter Grimes : la lutte de l'individu contre le conformisme social. Si cet individu termine mal, ivrogne irrécupérable ou du moins irrécupéré dans la nouvelle de Maupassant, il se déniaise juste un bon coup chez Crozier et Britten, avant de réintégrer tant bien que mal la petite société de son village. Y sera-t-il désormais rejeté, ou accepté comme le sont Sid et Nancy, pourtant peu discrets? (Il est vrai que la mise en scène montre ce couple licencieux toujours à part des notables, comme s'il était transparent pour eux, qui ne "veulent pas le voir" !) Va-t-il séduire Emmie ou aller se noyer sur une barque? On ne le sait pas encore, mais on a passé un bon moment à partager sa révolte, à la fois énorme et minuscule, naturelle et indifférente.
En toile de fond, la société du village est merveilleusement peinte par les décors de Marc Lainé et les costumes de Claire Risterucci, aussi caustiques que ceux de Paul Brown pour Peter Grimes à la Bastille en 2001. Peinte aussi excellemment par le jeu des chanteurs, sous la direction de Richard Brunel. Si Britten caractérise musicalement chacun des personnages de son opéra, Richard Brunel les a aussi bien caractérisés par sa direction d'acteurs. On ne regrette que la vidéo projetée pendant la fête couronnant Albert, car elle montre presque en permanence ce dernier en gros plan, et ses expressions de naïveté dégoûtée, merveilleuses à distance, y semblent un peu fixes. Bonne utilisation par contre de la vidéo pour y faire s'admirer le maire-politicien local ou pour recaler les candidates à l'élection de la rosière par des extraits filmés par des caméras de surveillance.
Le décor de Marc Lainé offre à la mise en scène une structure complexe et variée. Il joue sur l'intérieur et l'extérieur : Florence Pike semble tondre la pelouse dans le salon même de Lady Billows, le rideau de fer de la boutique Herring est alternativement ouvert, fermé ou entrouvert, Albert peut y "faire le mur" et y rester perché, observant en chat de gouttière la chasse à l'homme conduite par les villageois. Il peut aussi "sortir de sa réserve" (une trappe dans le sol) des cageots de fruits en plastique et y trouver un refuge symbolique à la fin de l'opéra. Pour le décor de Cosi au TCE, Jacques Gabel faisait simplement pivoter des éléments pour passer de l'intérieur à l'extérieur, ici un plateau tournant y pourvoit. Celui-ci souligne idéalement le fonctionnement mécanique et conventionnel des notables. Une seconde tournette miniature permet même de faire tourner Albert comme une figurine de pièce montée lors de son élection. Les notables se tiennent aussi dessus pour rejeter Albert : la tournette les emporte et s'immobilise, nous les faisant voir de dos, groupe fièrement figé dans son conformisme.
Autre paradoxe de cet opéra supposé "de chambre", sa distribution est en tous points remarquable ! De jeunes chanteurs britanniques y sont entourés de "vétérans" comme Felicity Palmer ou Hanna Schaer. Face à l'abattage de l'excellente Felicity Palmer, Nancy Gustafson est jeune pour son rôle, dont elle joue par contre bien la raideur. Allan Clayton, qui a déjà joué Albert Herring en 2008 à Glyndebourne, semble entamer de manière très intelligente sa carrière autour de Britten et Mozart. Julia Riley impose une présence et une émission à la fois souple et solide. Face à elle, Leigh Melrose est un rien en retrait ce soir, tandis qu'Andrew Greenan est une basse tout aussi solide et l'Américain Simeon Esper un politicien bellâtre et creux très réaliste. On peut aussi apprécier, dans les trois rôles d'enfants, d'excellents chanteurs issus de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.
À voir les 28 février, 2, 4, 6 et 8 mars à l'Opéra Comique.
Alain Zürcher