Écoutes de Spectacles

Il matrimonio segreto

 • Bobigny • 02/05/2009
Orchestre-Atelier OstinatO
Antony Hermus (dm)
Marc Paquien (ms)
Gérard Didier (sc)
Claire Risterucci (c)
Dominique Bruguière (l)
Geronimo  :  Ugo Rabec, basse bouffe
Elisetta, sa fille  :  Maria Virginia Savastano, soprano
Carolina, sa fille  :  Claudia Galli, soprano
Fidalma, sa soeur  :  Andrea Hill, mezzo-soprano
Le comte Robinson  :  Vladimir Kapshuk, baryton
Paolino  :  Paul Crémazy, ténor

Après Cosi fan tutte en décembre 2007, la Maison de la Culture de Bobigny accueille à nouveau la troupe de l'Atelier Lyrique de l'Opéra National de Paris.
Si le Mariage Secret de Cimarosa est peu souvent monté, que dire de ses soixante-dix autres opéras? Créé à Vienne deux mois après la mort de Mozart, il prolonge en quelque sorte l'oeuvre de ce dernier, dont il reproduit à l'infini certaines formules. On se prend souvent, à tel motif d'introduction à l'orchestre, à attendre un "porgi amor" ou un "soave sia il vento" ! Son livret est foisonnant mais reste compréhensible. Ses personnages sont bien campés et l'oeuvre est idéale pour un atelier lyrique ! Les trois rôles masculins et les trois rôles féminins sont en effet très équilibrés et ne présentent pas de difficultés vocales, du moins jusqu'à l'air très vocalisant "Si son vendicata" d'Elisetta, dont Maria Virginia Savastano triomphe avec brio.

La distribution vocale ne présente pas de faiblesses, et le travail scénique particulièrement déjanté a dû épanouir le potentiel de chacun ! Maria Virginia Savastano est à nouveau la plus délirante. Petite et affublée d'une robe orange qui la rapetisse encore, elle a poussé à bout sa caractérisation en "pouffe" teigneuse. Si les récits sont déroulés et détaillés avec soin, Marc Paquien leur ajoute aussi quantité de petites interjections italiennes parlées, dont Maria Virginia Savastano se fait une spécialité ! Andrea Hill s'en donne aussi à coeur joie dans sa caractérisation de Fidalma en tante libidineuse et pourvoyeuse de cocaïne.

Si l'outrance du jeu est une bonne approche de cette comédie italienne, l'omniprésence des armes et d'une violence kitsch, certes parfaitement irréaliste, est inutile et lassante. Est-ce une référence aux mises en scène de Peter Sellars accueillies ici-même à la MC93? Une tête décapitée d'un goût douteux est aussi promenée par les supposés mafieux du clan Geronimo. L'alcool constitue l'autre leitmotiv, tous les personnages passant plus de temps à boire qu'à chanter. Vers la fin de l'oeuvre, armes et bouteilles sont enfin remplacées par une mise en scène moins négligée et plus chorégraphiée. Le duo de la fuite de Paolino et Carolina est scéniquement bien agencé alors qu'il pourrait être très statique si l'on s'en tenait à ses paroles. La scène suivante, où Elisetta ameute Geronimo et Fidalma est également excellente, et tout est d'ailleurs très bien conduit jusqu'au finale, dont le bouquet est une gratuite mais superbe pluie d'or.

Pendant l'ouverture, un rideau nous montre d'abord la baie de Naples photographiée dans les années 50. Le décor ensuite dévoilé est dominé par une manière de Vésuve en fond de scène, au sommet duquel Robinson apparaît en un bel effet comique. Il en descend par un escalier judicieusement dissimulé dans un repli du volcan. Des statues antiques sont emballées dans des caisses. Au deuxième acte, elles en sortent pour peupler les bosquets d'un jardin. Ce décor quasi unique et neutre fonctionne. Il se paie tout de même le luxe d'être très bien éclairé par Dominique Bruguière.

L'acoustique de la MC93 ne flatte pas les voix mais les transmet correctement. La perte en harmoniques est quand même importante quand les chanteurs s'éloignent vers le fond de la scène. C'est Paul Crémazy qui semble périodiquement hypotonique puis se reprend. Au moins ne force-t-il pas sa voix à l'instar de tant de ténors usés prématurément ! Mais par moments il semble vraiment se retenir et ne pas chanter ses notes jusqu'au bout, notamment dans son premier duo avec Carolina et dans son "grand air" où il ne tient pas tout à fait la distance et esquisse à peine ses aigus finaux. à l'opposé, sa non promise mais déjà acquise Claudia Galli impose d'emblée un timbre tonique et efficace. à la longue, il se produit cependant presque une inversion dans l'appréciation des deux voix : on se lasse un peu du tonus uniformément pointu de Claudia Galli et on apprécie le naturel très reposant de Paul Crémazy. Claudia Galli réussit quand même très bien ses deux airs "tristes", montrant ainsi plusieurs facettes de son talent.
Andrea Hill n'a pas de problèmes pour affirmer son émission plus ronde dans le rôle plus grave de Fidalma. Maria Virginia Savastano a l'abattage et les aigus faciles signalés plus haut. Ugo Rabec a une bonne voix et surtout un bon style bouffe, avec un excellent sillabato. Le rôle de Robinson ou du moins son adéquation avec les possibilités de son interprète est ambigu : son premier air sonne un peu grave pour Vladimir Kapshuk, mais certains aigus sont aussi aux limites de sa voix. Il utilise par contre avec efficacité un timbre bien centré mais beaucoup plus haut placé dans les récitatifs. Peut-être cette émission des récitatifs pourrait-elle servir de modèle pour chanter aussi les airs?

L'orchestre, constitué lui aussi de jeunes musiciens, est très idiomatique et efficace. La complexité des couleurs orchestrales n'est de toute façon pas le fort de Cimarosa. On regrette juste quelques moments un peu sages qui pourraient gagner en excitation, afin que la fosse pousse le délire aussi loin que le plateau.

Alain Zürcher

À voir à la MC93 jusqu'au 3 mai 2009.