Écoutes de Spectacles

Patience

 • Paris • 03/05/2011
Orchestre d'étudiants du Royal College of Music
Michael Rosewell (dm) Donald Maxwell (ms)
Louisa McAlpine (chg)
Ann Somerville (sc)
Nicola Fitchett (c)
Paul Tucker (l)
Reginald Bunthorne  :  David Milner-Pearce, baryton
Archibald Grosvenor  :  Christopher Jacklin, baryton
Lieutenant The Duke of Dunstable  :  Edward Hughes, ténor
Colonel Calverley  :  Edward Grint, baryton
Major Murgatroyd  :  David Hansford, baryton
Patience  :  Susanna Hurrell, soprano
Lady Jane  :  Rosie Aldridge, contralto
Lady Angela  :  Emilie Alford, mezzo-soprano
Lady Saphir  :  Annie Fredriksson, soprano
Lady Ella  :  Annabel Mountford, soprano


John Everett Millais
Un Huguenot le jour de la Saint Barthélémy, refusant malgré les efforts de son amante de se protéger en portant le foulard blanc du parti catholique, 1851-1852
© The Makins Collection / The Bridgeman Art Library

S'il faut aller découvrir la comédie musicale contemporaine au Châtelet avec Sweeney Todd, il est tout aussi intéressant et important de découvrir Gilbert & Sullivan à l'auditorium du Musée d'Orsay. C'est là qu'on avait déjà pu découvrir Cox and Box et Trial by jury donnés par le même Royal College of Music de Londres. Cette fois, c'est à l'occassion de l'exposition sur La photographie préraphaélite en Grande Bretagne (1848-1875) et à l'initiative du musée d'Orsay que Patience est proposé.

Cet opéra, mêlé de dialogues parlés comme un opéra comique français, est en effet une satire désopilante de ce courant esthétique en même temps que de la pureté morale hypocritement revendiquée par l'époque victorienne. Des jeunes filles de bonne famille, naguère amourachées de militaires d'opérette, sont devenues des rapturous maidens entichées d'un puis deux poètes esthètes, lesquels sont amoureux de Patience la laitière, la seule à rester insensible à leur charme. Les dialogues de Gilbert sont comme d'habitude pleins d'ironie, chaque personnage et chaque situation sont poussés jusqu'à l'absurde. Selon les principes moraux victoriens, l'amour ne pouvant être égoïste, la laitière ne peut épouser un homme parfait (comme l'est par définition un esthète sublime) et en priver les autres femmes. Elle ne peut s'unir avec le second poète, qui est son ami d'enfance, que quand celui-ci décide de se transformer en homme ordinaire pour se débarrasser de sa cour féminine... qui s'empresse cependant d'adopter elle aussi des costumes victoriens "ordinaires" ! Difficile de résumer une histoire ne visant qu'à faire rire, un jeu de caricatures qui expose quand même le parfait ridicule des conventions sociales et prétentions morales de l'époque ! Sur ce livret déjanté, Sullivan alterne quelques morceaux mélancoliques à la viennoise, tel le beau duo entre Reginald et Lady Jane, et le quota réglementaire de chansons syllabiques, ces patter songs remplies d'allitérations, de jeux de mots et de nonsense qui les rendent difficilement traduisibles en français.


Théière esthétique de R.W. Binns (Worcester, 1882)

La mise en scène de Donald Maxwell est excellente, les chorégraphies de Louisa McAlpine reproduisent les mêmes gestes de marionnettes que la tradition de l'opérette française, ainsi dans l'ensemble où trois soldats se transforment en esthètes pour séduire leurs belles, mais avouent ne pas y réussir encore parfaitement ! Qu'importe, les deux dames ne demandent pas davantage et sont séduites, il ne reste plus qu'à se les répartir : si je prends celle-ci, le colonel peut prendre celle-là et le major restera seul, mais si je prends celle-là c'est le colonel qui restera seul, et si je reste seul le colonel et le major seront heureux... Eh oui, c'est avec de telles paroles aussi logiques que creuses que Gilbert écrit ses airs à succès, fondés sur la répétition, l'allitération et un certain machinisme rythmique qui semble tenir autant de la fête de village que de la révolution industrielle.

Les costumes de Nicola Fitchett sont formidables, quoique l'on eût volontiers interverti les deux poètes, le premier devant en principe paraître plus sombre que le deuxième. Le petit orchestre réuni sous la baguette de Michael Rosewell est très efficace.

La distribution vocale est tout aussi excellente. David Milner Pearce parvient à concilier une bonne diction avec des résonances graves un peu exagérées, tandis que Christopher Jacklin a une émission plus centrée et brillante. Edward Grint s'affirme en militaire et réussit aussi sa patter song. Edward Hughes est un amusant ténor, qui utilise de manière comique une voix de tête haut perchée.
Rosie Albridge est une idéalement imposante Lady Jane. Elle chante au second acte un bel air sur la maturité (peut-être déjà excessive) de ses charmes, qu'elle "accompagne" au violoncelle. Susanna Hurrell est la seule qui déçoit en émettant ses aigus sans soutien en laissant monter son larynx, ce qui les étrangle et blanchit.

La petite salle devrait déborder de monde en offrant une programmation d'une telle rareté et qualité, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Il reste trois représentations pour corriger cela !

À voir jusqu'au 8 mai à l'Auditorium du Musée d'Orsay.