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Tristan und Isolde | Paris | Théâtre des Champs-Élysées | 18/05/2016 |
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Daniele Gatti (dm) Pierre Audi (ms) Willem Bruls (dr) Christof Hetzer (sc,c) Jean Kalman (l) Anna Bertsch (v) |
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![]() photo © Vincent Pontet
Dur dur, de mettre en scène Tristan et Isolde ! Les rares scènes d'action se jouent ici dans la confusion la plus totale, comme dans la vraie vie peut-être, quand Tristan est blessé par Melot au second acte puis quand le roi Marke débarque au troisième acte : ici, tout le monde meurt, Brangäne et Marke y compris ! Le reste du temps, ce sont ces airs et ce tapis orchestral sublimement étirés, nourris par la seule présence des chanteurs, que Pierre Audi n'essaie pas de faire bouger, semblant même caricaturer leurs poses figées et artificielles, quitte à prétendre figurer le feu par la glace, la passion par la distance et la froideur. Étrange apport d'un metteur en scène, dont on se demande bien ce qu'il a pu faire travailler et transmettre à ses interprètes pendant des semaines entières de répétitions ! Certes, l'Isolde engagée s'est désistée "après trois semaines de répétions", écrit la direction avec une indubitable rage contenue, mais aurait-elle incarné une vision plus forte du metteur en scène? Torsten Kerl assurément ne le fait pas. On a rarement vu décors et costumes plus laids et bon marché. Les éclairages même du pourtant brillant Jean Kalman déçoivent. Brangäne et Isolde sont au second acte vêtues de jupes bleues matelassées hideuses, puis les hommes de hardes mal coupées et de godillots, sans que cette esthétique misérabiliste semble nourrir aucun propos. Des panneaux noirs forment une ou deux compositions abstraites qui auraient pu être développées, au lieu de quoi ces panneaux sont laborieusement déplacés et tournés sur le plateau. Une fente verticale à la Fontana lacère un carré noir : lever du jour, sexe ou séparation, ou moins probablement cordes vocales affectées d'un nodule? Là aussi, il aurait été intéressant de suivre et développer ce fil. Reste l'essentiel, l'orchestre superbe et les voix. Sous la baguette de Daniele Gatti, l'Orchestre National de France, clair et lisible, joue Tristan comme un frère de Pelléas. Il n'y a guère qu'au début du troisième acte que l'on souffre de la justesse et du phrasé approximatifs des cordes aiguës. Torsten Kerl, bon Siegfried à la Bastille en 2011 et 2013, assure sa voix en la plaçant d'abord un peu trop dans le nez. Globalement plus convaincant que les titulaires du rôle entendus à Munich et Paris en 2005, il ne l'est certes pas au deuxième acte, où son entrée est comme souvent confuse à l'orchestre aussi - comme si l'explosion de la passion était trop difficile à jouer en rythme après l'alanguissement d'une attente trop confortable ! Mais une fois bien posé et physiquement assis, le couple se concentre mieux, pour le duo d'amour le plus long de l'histoire de l'opéra. Et surtout, Tortsen Kerl a gardé de formidables ressources en réserve pour un troisième acte magistral. Enfin seul sur scène et gérant seul sa présence, ses intonations, son phrasé, il montre une concentration sans faille, à la fois mentale et vocale, avec une émission d'un bout à l'autre concentrée sur "i", cette pierre philosophale des Heldentenors qu'aucune technique italienne ne saura jamais égaler. Les inégalités ne sont pas non plus négligeables entre les autres rôles masculins. Si Brett Polegato est un Kurwenal solide et de bon aloi, très en phase avec son personnage d'ami viril et fidèle, Steven Humes est un Marke vocalement et dès lors psychologiquement très étrange. Il mêle en effet à sa voix chantée des notes comme parlées, détimbrées et soufflées. Il est d'une clarté de timbre étonnante, mais ouvre et bouche paradoxalement les rares aigus de son rôle. Sa diction paraît d'abord agréablement claire mais énerve rapidement par une surarticulation qui nuit à son timbre comme à sa ligne. Bref, une production inégale et scéniquement injustifiée, qui offre des moments superbes et fait découvrir une Isolde très prometteuse ! À voir jusqu'au 24 mai au Théâtre des Champs-Élysées. À écouter le 25 juin à 19h sur France Musique. Alain Zürcher |