Écoutes de Spectacles

Hamlet

 • Paris • 19/12/2018
Choeur Les éléments
Chef de choeur Joël Suhubiette
Orchestre des Champs-Élysées
Louis Langrée (dm)
Cyril Teste (ms)
Ramy Fischler (d)
Isabelle Deffin (c)
Nicolas Dorémus, Mehdi Toutain-Lopez (v)
Julien Boizard (l)
Hamlet  :  Stéphane Degout
Ophélie  :  Sabine Devieilhe
Claudius  :  Laurent Alvaro
Gertrude  :  Sylvie Brunet-Grupposo
Laërte  :  Julien Behr
Le Spectre  :  Jérôme Varnier
Marcellus, 2ème Fossoyeur  :  Kevin Amiel
Horatio, 1er Fossoyeur  :  Yoann Dubruque
Polonius  :  Nicolas Legoux

Voici une production qui nous réconcilie avec Ambroise Thomas ! Une idéale distribution francophone et un orchestre idiomatique rendent à l'oeuvre ses couleurs et ses phrasés, ses éclats mais aussi ses douceurs, ses grandes scènes mais surtout son intimité.
N'en retenant qu'un air à boire et un air de folie, on la croyait kitsch et presque ridicule. On découvre ce soir une oeuvre sincère et juste, dont la plus grande partie est écrite en récitatifs plus ou moins arioso, qui préfigurent rien moins que Pelléas et Mélisande de Debussy, notamment dans les intonations d'Hamlet à l'acte III.
L'inspiration ne fonctionne donc pas que dans un sens : si la ballade suédoise qu'Ambroise Thomas fait chanter à la créatrice suédoise d'Ophélie évoque forcément Grieg, et s'il intègre aussi à son air un obsédant motif oriental, c'est Delibes qui semble avoir paraphrasé le joli air d'Ophélie au début de l'acte II, en écrivant quinze ans plus tard "Pourquoi dans les grands bois" pour Lakmé. L'écriture chorale d'Ambroise Thomas réalise également une synthèse éclectique mais efficace des styles bouffe et dramatique. Pour entendre la même variété d'inspiration chez Verdi, il faudrait écouter à la fois Otello et Falstaff.

La mise en scène fait intervenir un cameraman dont les gros plans sont projetés au fond de la scène. Voilà de quoi ramener à l'opéra ceux qui ne vont plus le voir qu'au cinéma ! Mais la spatialisation de l'orchestre, avec son orchestre de scène et son solo de saxophone, est déjà souhaitée par Ambroise Thomas. Cyril Teste multiplie simplement les entrées par la salle, muettes ou chantées, des solistes et du choeur. Le procédé a rarement aussi bien fonctionné. Même la projection des préparatifs des solistes en coulisses ne casse pas la magie du théâtre mais lui ajoute au contraire une continuité intéressante, à la fois spatiale et temporelle. Peut-être l'arrivée des spectateurs en métro pourrait-elle aussi devenir poétique ?
La conduite d'acteurs est réaliste et donne à cet Hamlet une rare justesse. Si certains passages sont un peu lents et laborieux, les projections permettent souvent de meubler ce qui à notre époque paraîtrait trop vide, de faire avancer ce qui paraîtrait trop lent.

Une scène comme celle de l'acte II entre Hamlet et le Roi est très bien conduite à la fois vocalement et dramatiquement. Les phrases sont toujours chantées sur le souffle, jamais un accent, un effet ne casse la ligne. Louis Langrée et l'orchestre des Champs-Élysées ont aussi leur part de mérite dans cette conduite douce et souple des phrases même les plus intenses. On n'entend jamais claironner le grand orchestre d'un grand opéra. Stéphane Degout donne une intensité vocale incroyable à son texte, mais toujours avec un legato digne de Georges Thill : « Oui ! Voyez dans le ciel ces nuages légers, Comme une nef d'argent ouvrant ses blanches voiles ; Je voudrais avec eux voyager dans les airs. Au milieu des étoiles, Au milieu des éclairs ! »

Presque tous les chanteurs sont admirables : de beaux seconds rôles masculins entourent le couple d'anthologie formé par Sabine Devieilhe et Stéphane Degout. Seule Sylvie Brunet-Grupposo sonne moins naturel, avec des signes de l'ancienne école, du temps où l'on n'hésitait pas à remplacer un mot par "Ah" ou "Oh" si l'on pensait cela vocalement plus favorable, voire si l'on pensait le texte "impossible à chanter". Son émission en est rendue irrégulière, avec dans ses phrases des ruptures de souffle, des pertes de sens et des changements de timbre excessifs entre les registres de tête et de poitrine.

De futures captations devraient conserver la trace de cette intelligente production et de la santé éclatante du chant français en ce début de XXIe siècle.

À voir jusqu'au 29 décembre à l'Opéra Comique.