Archives de la liste Chant Mai 2004

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RE: chanter, c'est simple, non?

DE : Peter Jones
LE : 17/05/2004 à 20:14 GMT

Bonjour,

Je trouve très intéressants les réponses de Marc T, qui suggère de libérer la voix du « poids de l'education sociale » en faisant du théâtre. (Surtout un conseil pour les chanteurs.) Et alors, Marc, je vais essayer ce que vous avez suggéré et l’année prochaine je vous dirai le résultat si je réussis à trouver où faire du théâtre à Paris.

Dans le conservatoire du 6ème arrondissement de Paris, on a des cours de chant, de solfège, de culture musicale, d’ensemble vocale, et de posture. Le choix de cours est assez répandu, mais je vais suggérer au conservatoire de permettre aux élèves de chant de participer aux cours de théâtre, dans notre conservatoire ou sinon un autre conservatoire d’arrondissement.

Merci de votre aide, elle m’a donné beaucoup de raisons de penser,

Peter Jones

-----Original Message-----
From: Warg [mailto:e5yt2lky45gtnt4x@xxxxfr]
Sent: Friday, May 14, 2004 1:02 PM
To: Peter Jones; liste-chant@xxxxnet
Subject: RE: chanter, c'est simple, non?

Bonjour

 

Je vais répondre en tant que linguiste et homme de théatre.

 

On croit que la parole a une fonction de communication d'information. C'est la vieille thèse de Saussure, qui est devenu un cliché dans le grand public. En fait, très vite, même Hjemsljev avait montré que la fonction communication de la parole n'était qu'une parmi bien d'autres. Par la suite, à mesure des progrès de la linguistique, l'on s'est aperçu que la fonction communication d'information a un rôle de plus en plus minoritaire parmi toutes les fonctions de la parole : citons, juste en passant, Austin, Palo-alto, et bien d'autres. Eco disait que la parole sert avant tout à mentir (et donc même à l'exact opposé d'une fonction de transmettre des informations ! !!)

 

Qu'en est il aujourd'hui ? Eh bien on sait aujourd'hui que la fonction principale et essentielle de l'acte de parole est avant tout un acte social. La parole, et donc derriere elle la voix, sert a établir et maintenir du lien social, sert a établir une carapace de protection entre soi et le monde, sert à remplir le vide angoissant du rapport au monde, sert a habiller les évenements dangereux de la vie comme une huitre avec sa nacre, et ainsi de suite. La phrase célèbre de Lacan disait que l'inconscient est structuré comme un langage. Barthes disait même que le "langage est fasciste" dans le sens où, loin d'être un outil neutre, il etait une prison qui enserre la personnalité et la modèle profondement. L'on pourrait là aussi citer Sapir, Whorf, et bien d'autres encore.

 

Bien sûr, la parole sert quand même aussi à propager de l'information, évidemment. Mais l'aspect visible et tangible de cette fonction là ne doit pas faire illusion et masquer le reste. Cette fonction est en quelque sorte "spectaculaire" et tend a accaparer l'attention face a des fonctions plus importantes mais plus discretes.

 

C'est donc pourquoi la voix, pour en revenir a elle, est aussi profondément un acte social. Elle l'est d'autant plus que la voix pure est aussi un langage qui véhicule des émotions : voix blanche, voix enthousiaste, etc etc etc...

Dès lors, tout devient logique : parce qu'elle est avant tout un acte social, la voix est soumise et modelée par la pression sociales, par les contraintes exterieures de la culture et de la vie en société. Et aussi, parce que la vie sociale est un apprentissage, la voix evolue dans l'enfance a mesure que l'apprentissage social se fait, et comme vous le notez, peut changer lorsquer pour une raison quelqconque l'étau social se déssère momentanément.

 

Les jeunes enfants ont une grande puissance vocale, mais celle si est torpillée quand on devient adulte. Non pas du fait d'un mécanisme physique, mais tout simplement parce que vivre en société impose d'avoir une "modestie"  comportementale, une voix faible, intériorisée, sérrée. La voix qu'ont la plupart des adultes. Observez autour de vous l'éducation des enfants :" tais toi !", "arrete de crier ! ", etc etc etc...

Toute l'education sociale faite dans l'enfance est construite autour de cet étouffement (ne pas se faire remarquer, etre comme tout le monde, etre discret et modeste,...) et donc la voix, mais aussi le geste par exemple, suivent cette voix.

 

Le travail d'acteur, et je conseille fortement pour ma part aux chanteurs de faire du théatre, consiste a retrouver cette liberté de la parole, du geste, de la relation a autrui, etc... L'apprentissage de l'acteur comporte précisément toutes les techniques nécessaires pour ce but et celà n'a absolument rien de magique ou de mystique. Certaines sont communes a l'apprentissage du chant, mais  beaucoup sont complémentaires. Il y a, a mon avis personnel, un mythe très dommageable autant que très répandu, consistant a dire que la voix chantée est structurellement différente de la voix parlée, mais c'est je crois une erreur gravissime. Il y a infiniment plus de ressemblances que de différences. Je crois que cette croyance releve plutot d'une querelle de territoire immémoriale, et il y a beaucoup d'idées fausses de ce type, plutot que d'un vérité quelconque.

 

Voila : donc en résumé : oui ! c'est le poids de l'education sociale qui altère gravement la voix. C'est socialement nécessaire. Mais c'est parfaitement réversible.

 

MarcT

 

 

 

 

-----Message d'origine-----
De : Peter Jones [mailto:peter.jones@xxxxcom]
Envoyé : jeudi 13 mai 2004 20:56
À : liste-chant@xxxxnet
Objet : chanter, c'est simple, non?

Chanter, c’est aussi simple qu’ouvrir la bouche. Pourquoi rend-on ce geste plus complexe qu’il devrait être ?

Des fois ma copine se fâche avec moi et elle crie avec une voix bellement timbrée, le résultat souhaité souvent par mes professeurs de chant. Quand on fait des voix d’appel dans la rue, pourquoi la voix sorte-t-elle timbrée ?

Quand je suis dans des états de fatigue physique qui entraînent une fatigue mentale et ensuite une sorte de lâche ou de disparition de mon « sur-moi » et l’apparition de la schizophrénie, pourquoi est-ce que je chante mieux ? Est-ce que mon geste de chanter devient plus simple quand je laisse tomber mes barrières sociales ? Est-ce que tout cela veut dire que le chant dans son plus bel état, est un cri anti-social ? un geste de bête ? ou que c’est le poids de la société qui rend ce geste parfois inefficace ?

Je cherche une réponse surtout psychologique à ma question.

J’aimerais que tout le monde réponde à ma dernière question en réponse au groupe, si possible :

Pourquoi chantez-vous ? (pour vous réconforter, vous lâcher, etc.)

Peter Jones


 
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