Articles sur le chant

Registres et mécanismes vocaux : un choix culturel

Comme exposé dans l'article La voix lyrique, on demande une grande étendue vocale à un chanteur lyrique. Ce dernier devrait donc logiquement utiliser les différents mécanismes laryngés à sa disposition :

Une étrange norme culturelle l'en empêche cependant. Selon cette convention, héritée de quelques siècles d'évolution du goût et du rapport au "genre", une émission lyrique "légitime" :

Cette répartition des tâches est restée immuable depuis que Duprez a imposé l'ut de poitrine masculin auprès du public, qui l'exige depuis.

Pour justifier ce biais culturel, on prétend que les hommes sont incapables d'un passage fluide entre leurs mécanismes lourd et léger, et qu'on ne peut pas faire un crescendo à partir du fausset... alors même :

L'oreille lyrique refuse donc aux hommes précisément ce qu'il exige des femmes : passer en mécanisme léger dans l'aigu.

À l'inverse, une oreille non lyrique considère une émission féminine correcte seulement si elle monte en voix de poitrine jusqu'à ses extrêmes limites, donc comme un ténor en chant lyrique. (C'est pourquoi Richard Cross a appelé ces femmes des ténoristes, sur le modèle des sopranistes masculins.)

Historiquement, on a donc vu grossièrement se succéder :

  1. Un âge ancien où les hommes utilisaient leur mécanisme léger et le reliaient au mécanisme lourd ; les femmes sans doute aussi !

    Parallèlement, des rôles masculins pouvaient être tenus par des femmes et inversement. Dans certains contextes, des hommes pouvaient être castrés, il pouvait être interdit aux femmes de chanter à l'église, ou bien la mixité pouvait être interdite.

  2. Un âge "sexiste", "machiste", depuis le milieu du XIXe siècle, où les hommes se sont mis à chanter exclusivement en mécanisme lourd, que l'on déconseillait ou interdisait parfois aux femmes (ou au moins aux sopranos) car trop vulgaire ou risquant de leur faire perdre leurs aigus !

    Parallèlement, le réalisme a triomphé en faisant incarner chaque rôle par un chanteur de même sexe.

  3. Un âge, à partir du dernier quart du XXe siècle, où :
    • En chant classique :
      • Les hommes ont réinvesti le mécanisme léger, mais comme une spécialisation dans ce registre : les contre-ténors, ou sopranistes pour les voix les plus aiguës.
        Ces voix, réapparues pour interpréter le répertoire baroque redécouvert, ont aussi été utilisées par les compositeurs contemporains.
      • Les femmes se sont réapproprié le mécanisme lourd, mais sans l'utiliser jusqu'à ses limites physiologiques, afin de conserver un passage homogène vers le mécanisme léger.
    • En chant non classique, les femmes ont progressivement refusé le mécanisme léger, comme les chanteurs d'opéra l'avaient fait au siècle précédent.