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Récital du Prix de Chant 2004 du Conservatoire de Paris

Récital du Prix de Chant du Conservatoire de Paris Paris CNSMDP 11/06/2004

Voici quelques extraits du règlement :

Le programme du Récital du Prix, d'une durée de 30 à 40 minutes de musique, sera composé par l'étudiant. Il devra cependant comporter des oeuvres représentant les quatre groupes suivants :

  • groupe  1  : opéra, opéra-comique, opérette, comédie musicale ;
  • groupe  2  : mélodies et Lieder ;
  • groupe  3  : oratorio ;
  • groupe  4  : musique d'aujourd'hui.

Le programme devra comprendre :

  • deux morceaux au minimum (dont un en français) choisis dans le groupe 1 ;
  • une mélodie en français au minimum dans le groupe 2 ;
  • trois langues vivantes (dont le français) au minimum dans l'ensemble du programme.

L'ordre d'exécution des morceaux est laissé au choix du candidat. Ceux-ci seront également jugés sur la composition et l'équilibre de leur programme.


Selon la tradition du conservatoire, le nom du professeur de chaque étudiant n'est pas communiqué, mais il faut se livrer à un jeu de déduction à partir de la liste ci-dessous, associant professeurs et accompagnateurs !

Professeurs Assistants et acompagnateurs
Mireille ALCANTARA Michèle VOISINET
Peggy BOUVERET Anne LE BOZEC, Cécile RESTIER
Glenn CHAMBERS Bénédicte HARLÉ
Robert DUMÉ Erika GUIOMAR, Florence DOMACQ
Isabelle GUILLAUD Damien LEHMAN, Nathalie DANG
Gerda HARTMANN Mark DAVIES, Sylvie LECHEVALIER
Michèle LE BRIS Christophe SIMONET, Géraldine DUTRONCY
Pierre MERVANT Anne LE BOZEC, Yann MOLENAT
 

 
1) Frédéric BOURREAU, basse Anne LE BOZEC : piano
Étienne LAMATELLE : trombone
Mathieu ADAM : trombone
Florent DIDIER : trombone
Peggy FAVOREAU : trombone
Mathias LECOMTE : orgue positif
 
 3  H. SCHÜTZ : Fili mi Absalon

Comme la plupart des candidats cette année, installe un bon climat musical en faisant accompagner son premier morceau par un ensemble baroque.
L'émission est un peu appuyée, ce que peuvent expliquer le trac et la nécessité de ne pas être couvert par les quatre trombones qui l'accompagnent ! Cet appui peut cependant le conduire à chanter un peu bas, avec un phrasé légèrement déclinant, surtout s'il met trop de poids sur ses attaques et dépasse le point de résonance optimale de sa voix - le couplage phono-résonantiel idéal, l'accord entre la vibration laryngée et la configuration du conduit vocal.

 2  H. WOLF - Poème de Michel-Ange : Fühlt meine Seele

L'expression naturelle de son visage convient bien à ce cycle ! Certains sons grossis noient la diction allemande dans un halo trop neutre et intérieur. Cela est-il dû à une conception excessive du type "patate chaude"? Même un Lied triste et lent exige une diction incisive.

 1  P.I. TCHAIKOVSKY - Eugène Onéguine : Air de Gremine

La pianiste a un très beau jeu lyrique et souple, dont le candidat ne profite pas. Il écrase un peu son émission dans le grave, ce qui prépare mal des aigus du coup un peu criés. Sa voix intrinsèquement intéressante et son potentiel comique devraient cependant assurer sa carrière.
Bon contraste de la mezza voce lors de la reprise piano. Le caractère du morceau n'est cependant pas parfaitement traduit, avec sa grande tendresse, sa chaleur reconnaissante et confiante. Sonne trop dur et presque inquiet.

 1  H.PURCELL - The tempest : «Arise ye...»

Serait idéalement plus efficace plus rapide, aussi pour mieux contraster avec les autres choix de son programme.
Le phrasé manque de souplesse, d'un esprit plus inspiré par la danse. Aurait la personnalité pour en faire des tonnes mais reste (volontairement?) en retrait et trop purement vocal. Un bon metteur en scène le rendrait irrésistible.

 2  F. SCHUBERT - Lieder italiens : A l'aria d'intorno; Il traditor Deluse

De nouveau trop lourd et diction en bouillie. Choix douteux d'un air qui l'incite trop à beugler tout du long.

 2  G ROPARTZ - Quatre Poèmes d'après L'lntermezzo de Heine : «Ceux qui parmi les morts d'amour»

Bon choix pour le legato et la mezza voce. Aigu quand même trop bas sur "balance".

 1  C. GOUNOD - Philémon et Baucis : «Au bruit des lourds marteaux d'airain»

Joue davantage, ce qui lui réussit. Hélas toujours souvent ampoulé.

 4  EVANGELISTA : Exercices de style d'après Queneau

Désopilant ! Met bien en valeur son côté pince-sans-rire.

 1  W.A. MOZART - Don Giovanni : «Ah ! Pietà signori miei !»

Diction chantée à nouveau trop grossie par rapport à la voix parlée entendue dans le morceau précédent. Tension dans la langue?


 
2) Kathouna GADELIA, soprano Christophe SIMONET : piano
Galina DOYCHINOVA : flûte
Matthieu MAGNUSZEWSKI : orgue positif
 
 3  J.S. BACH - Passion selon Saint Jean : «Ich folge dir gleichfalls»

Très joli timbre. Il semble qu'elle pourrait chanter avec encore moins d'efforts en redressant un peu sa posture (sternum un peu plus haut) et en gardant une meilleure ouverture thoracique en cours de phrase. Mélange étrange de sons vibrants et droits (alors mêlés de souffle).

 1  G. VERDI - Les Vêpres siciliennes : «Mercè, dilette amiche»

Là aussi, son corps semble suivre et subir plutôt qu'amorcer et accomplir ses intentions de phrasé. Son chant en est amolli alors que tout le potentiel est là. On a envie de lui tirer verticalement quelques cheveux pour la faire se redresser. Chante trop en se dégonflant. N'intègre pas ses prises d'air à son phrasé mais semblent les considérer comme une simple contrainte vitale à expédier sans grâce possible.

 2  G. SVIRIDOV : Printemps (?)

 1  V. BELLINI - I Capuleti e I Montecchi : «Oh, quante volte»

Le récit lui fait trouver un meilleur placement, plus haut, de sa voix, grâce à une meilleure coordination entre une résonance plus haute et un soutien plus bas reliés par une meilleure verticalité.
Les respirations deviennent plus musicales. Traduit enfin une bonne partie de son potentiel. Commence quand même beaucoup de sons avec du souffle.

 2  R. STRAUSS : Die Georgine

Il lui manque une constance de timbre et de vibrato. Un plus grand calme est à trouver. Les aigus sont un peu serrés et leur vibrato est un peu rapide.

 2  L. BOULANGER - Clairières dans le ciel : Deux ancolies

Cet air révèle plus d'inégalités que de qualités.

 1  J. MASSENET - Hérodiade : «Il est doux il est bon»

Lui va bien malgré la légèreté de sa voix. Arrive à accommoder correctement les "è" aigus souvent si laids de "prophète".

 4  M. DESSAGNES : Fou-rire

Rit en expulsant trop de souffle. Amusante scéniquement.

 2  ZINZADZE : La libellule (?)

Mélodie russe de veine populaire qui lui va bien.


 
3) Marc MAUILLON, baryton Anne LE BOZEC : piano
Stefensdottir STEINUUN : violoncelle
Matthieu MAGNUSZEWSKI : orgue positif
Angélique MAUILLON : harpe triple
Ariane DELLENBACH : alto baroque
Xavier MENARD : trompette
 
 2  C. MONTEVERDI - Livre VII de madrigaux : Tempo la cetra

Lui aussi fait appel, à plusieurs reprises même, à un ensemble instrumental. Les changements d'effectif allonge encore un programme déjà chargé, organisé comme un vrai feu d'artifice !
Il réussit à tirer pleinement parti de la formidable Anne Le Bozec, qui semble vivre et respirer avec le chant et s'adapte à tous les styles !
Dès qu'il ouvre la bouche, l'attaque est remarquable de netteté, la diction est incisive, la voix est à la fois brillante et pleine. Grand charisme, superbe musicalité, belle souplesse des phrasés, formidables naturel et précision des ornements.
Fait jouer un long postlude juste pour montrer comme il reste bien concentré et présent même quand il ne chante pas?
Ose tout au long de son programme des sons ouverts qui passent bien, très haut dans la tessiture qu'il affiche. N'a en fait besoin de couvrir aucun aigu tant qu'il n'aborde pas de véritables airs de ténor. Semble pouvoir épanouir sa personnalité vocale et scénique dans une "niche" intéressante en termes de répertoires et de styles, sans avoir à sauter le pas vers un vrai répertoire de ténor.

 1  G. PUCCINI - Edgar : «Questo amor, vergogna mia»

Aigus faciles mais émisson claire et très ténorisante évoquant la chanson populaire. Bien sonnant, beau phrasé, présence toujours très forte.

 4  G. APERGHIS - Récitations : Récitation n°9

Très réussi. Lui va bien.

 2  F. LISZT : O quand je dors

Très beau et toujours ténorisant.

 3  G.P. TELEMANN - Jauchzet dem Herrn alle Welt : 1 Jauchzet dem Herrn alle Welt; 2 Dienet dem Herrn mit Freuden; 3 Erkennet, dass der Herr Gott ist; 4 Gehet zu seinen Toren ein mit Danken

À nouveau accompagné par un ensemble baroque, où la trompette remplace la harpe. Émission toujours très claire, aux vocalises bien nettes et aux graves corrects. Grand charisme. Rappelle un peu François Piolino par la franchise de l'émission et l'influx nerveux.

 1  R. RODGERS - South Pacific : There is nothin' like a dame

A tout à fait le timbre et la personnalité pour ce répertoire. Formidable!

 2  G. CACCINI - Nuove Musiche : Dolcissimo sospiro

Beau contraste très réussi avec le morceau précédent. Bonne émission mixte très adaptée, libre et légère mais gardant quand même les vocalises rapides sur le souffle, physiquement ancrées.

 4  G. APERGHIS - Récitations : Récitation n°12

Répétitif et ennuyeux mais bien réussi vocalement.

 2  E.W. KORNGOLD - Lieder des Abschieds : Mond, so gehst du wieder auf; Gefasster Abschied

Décidément doué pour les langues, un vrai caméléon ! Beaux contrastes d'intensité. Aigus toujours aussi faciles, qu'il soit forte ou mezza voce comme à la fin sur "weine nicht". L'écriture aiguë et très lyrique de Korngold convient bien à sa voix.

 1  F. POULENC - Les Mamelles de Tirésias : «Ah c'est fou, c'est fou, c'est fou les joies de la paternité»

Parfait ! A fait brillamment participer ses condisciples et amis du public en leur faisant chanter les "lalala" des enfants.


 
4) Aurore UGOLIN, mezzo Christophe SIMONET : piano
 
 3  J.S. BACH - Passion selon Saint Jean : «Von den Stricken meiner Sünden»

Est la seule à présenter tout son programme avec le seul accompagnement du piano, ce qui ne la met pas en valeur par rapport à ses condisciples et sonne un peu "rétro" pour Bach.
Chante trop en expiration, thorax affaissé. Ses reprises de souffle sont dès lors trop superficielles. Semble chercher une expansion abdominale sans établir d'abord d'ouverture thoracique, mettant ainsi la charrue avant les boeufs.
Air trop grave pour elle, en tout cas avec cette émission trop large, aux graves insuffisamment concentrés. Ses voyelles ouvertes sont trop relâchées et laissent passer du souffle. Ses vocalises sont intercalées de "h" aspirés esthétiquement déplaisants et vocalement préjudiciables.

 1  G. ROSSINI - Le Barbier de Séville : «Una voca poco fà»

Air bien écrit pour l'aider à concentrer des aigus fermés et à bien passer en poitrine - de manière trop ouverte cependant sur les [a].
Comme la candidate précédente, aurait besoin à la fois d'une meilleure verticalité et d'une meilleure ouverture thoracique. L'antagonisme du diaphragme (par rapport aux muscles expirateurs abdominaux) est difficile à établir si les basses côtes ne sont pas bien ouvertes ! Éprouve trop le besoin d'expulser de l'air pour chanter, et intercale toujours trop de [h] dans ses vocalises.

 2  M. DRING : Through the centuries

Lui va bien. Monte trop ses aigus de bas en haut, au lieu d'y préparer tout le corps à l'avance.

 4  J. CAGE : The wondertul widow of eighteen springs

Joli, pas difficile.

 1  P.I. TCHAIKOVSKI - Eugène Onéguine : Air d'Olga

Un peu ennuyeux, sans problème réel.

 1  C. GOUNOD - Sapho : «O, ma lyre immortelle»

Est grande et (trop?) mince. La relation entre le haut et le bas de son corps et de sa voix en est rendue plus difficile et n'est pas encore parfaite.
Mal centrée, "s'embarque" et remonte son émission. On attend dans cet air un meilleur sostenuto et une voix plus ample.
Si cet air est un peu ambitieux par rapport à ses moyens, son programme aurait par contre pu être plus ambitieux et varié en termes de jeu, de styles et de couleurs instrumentales. Semble un peu entre deux chaises : son émission est trop légère pour un vrai répertoire lyrique, mais n'a pas le brillant et l'agilité que l'on attend dans un répertoire plus léger, auquel son tempérament ne la destine peut-être pas - même si sa Rosina a déjà bien progressé et si tout un potentiel expressif reste à "lâcher".

 2  G. ROPARTZ : En mai

Joli et bien conduit.

 2  X. MONTSALVATGE - Deux chansons nègres : Cancion de cuna para dormir a un negrito; Canto negro

Joli, mais un peu couverte par le piano dans la deuxième chanson.


 
5) Marie-Bénédicte SOUQUET, soprano Damien LEHMAN : piano
Damien GUILLON : clavecin
Lucas GUIMARAES PERES : viole de gambe
Stéphanie SCHILLINGER : traverso
 
 2  L. ARDITI - Il bacio : «Sulle labbre»

Voix légère et "tirée", peu en corps. Aigu final physiquement tassé et vocalement crié.

 1  A. THOMAS - Hamlet : «A vos jeux, mes amis»

Respiration haute et superficielle. Émission en expiration, trop large par rapport au soutien quasi inexistant, et du coup détimbrée. Aigus désagréables, stridents, dépourvus de toute rondeur.

 2  F. POULENC - Tel jour telle nuit : Une ruine coquille vide

Voix non soutenue, qui "bouge" donc dès qu'elle veut donner un peu d'intensité.

 4  D. LEHMAN - Les Rocodis et les Nigidus : «Ce qui étonne en eux c'est un fond rin-rin»

Voix parlée grave et bien posée. N'y a-t-il pas là une voie à explorer pour découvrir une voix chantée?
Morceau mal écrit pour la voix par le choix des voyelles placées sur les aigus.

 3  G.F. HAENDEL - La Resurrezione : «D'amor fù consiglio»

Marche de manière très raide pour traverser la scène avec ses chaussures à talons.
Voix droite et détimbrée, anémique. Morceau insignifiant.

 1  W.A. MOZART - La Flûte enchantée : «Der Hölle Rache»

N'est pas une colorature dramatique.

 2  H. WOLF - Die Spröde : «An dem reinsten Frühlings Morgen»; Die Bekehrte : «Bei dem Glanz der Abendröte»

Quelques sons aigus presque connectés. Ensemble inconsistant.

 1  L. BERNSTEIN - Candide : «Glitter and Be Gay»

Bon jeu. Voix inégale. Suraigus droits et graves peu sonores.


 
Conclusion

Marc Mauillon devrait rejoindre rapidement sur scène les quelques chanteurs à forte personnalité qui ont éclos en France ces dernières années. Si d'autres candidats présentent un potentiel, il est dommage et peut-être inquiétant qu'ils n'aient pas encore réussi à l'épanouir en trois ou quatre années d'études complètes au CNSMDP, dans un environnement privilégié dégagé de tout souci matériel.

La participation d'instrumentistes, en particulier baroques, met les candidats en valeur, leur permet de manifester leur souplesse musicale et stylistique et rend leurs récitals moins monotones pour le public.

Les choix contemporains de tous les candidats sont excellents et en révèlent des facettes que le répertoire standard laisserait dans l'ombre, au point que l'on se demande pourquoi les candidats ne vont pas au-delà du minimum imposé d'une pièce contemporaine.

La posture, la respiration et la coordination physique globale des candidats de sexe féminin sont étonnamment déficientes. On se demande quelles traditions obsolètes, quels contre-sens physiologiques et fonctionnels ou quels blocages psychologiques peuvent expliquer cela. à moins que les candidates ne s'habituent pas suffisamment à l'avance à chanter dans les robes et sur les talons qu'elles jugent nécessaires de porter le jour du prix?

Alain Zürcher