Thésée
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 22/02/2008
Orchestre et Choeur Le Concert d'Astrée
Emmanuelle Haïm (dm) Jean-Louis Martinoty (ms) François Raffinot (chg) Hans Schavernoch (d) Sylvie de Segonzac (c) Fabrice Kebour (l) |
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Martinoty et Schavernoch signent une production comme à leur habitude intelligente scéniquement et superbe visuellement. Emmanuelle Haïm dirige avec une énergie souple un Concert d'Astrée au son brillant et plein. La salle comble est enthousiaste, que demander de plus? Peut-être un plateau vocal plus homogène? Une compréhension encore plus parfaite du français en l'absence de surtitres?
Si ces surtitres avaient été présents ou si l'on avait été étranger, aurait-on été fasciné, indépendamment du texte, par la beauté vocale et la musicalité déployées? Non, car ce n'est pas le but recherché par une "tragédie en musique". Non, car le rayonnement purement vocal des chanteurs n'était pas optimal.
Cette production est intelligente et originale en ce qu'elle respecte les codes baroques tout en se permettant la liberté de les outrer, critiquer ou dépasser. Elle est "scénographiée" à l'extrême, mettant en abîme le regard du spectateur d'aujourd'hui sur l'époque baroque et le regard du roi et de la cour sur elle-même à travers la "tragédie". Tragédie d'ailleurs bien légère, puisqu'elle ne semble être qu'une trame, un prétexte à maintes galanteries. Le marivaudage y semble érigé en norme sociale.
Côté baroque, la chorégraphie de François Raffinot est un gage d'authenticité. Le Concert d'Astrée offre également tout ce que l'on peut attendre de la partition. Décors et effets sont spectaculaires. Si ces éléments comblent ou dépassent l'attente, le travail de déclamation et de théâtre effectué par et avec les chanteurs aurait sans doute pu être poussé plus loin : ces chanteurs nous offrent une lecture de la partition, mais guère plus. Mais le choix de la distribution ne limitait-il pas d'emblée toute possibilité de dépassement?
Que l'on songe par exemple à la consensuelle Anne Sofie von Otter en Médée : son seul choix ne nous prive-t-il pas déjà de l'excitation incroyable, de la charge sensuelle et émotionnelle qu'apportait au rôle la jeune Stéphanie d'Oustrac en 1998?
Aurélia Legay séduit en Vénus, mais semble un peu ampoulée en Dorine. Nathan Berg cravate en Mars comme en Arcas, ne faisant entendre le vrai timbre de sa voix que l'espace de quelques notes. La pureté vocale de Jaël Azzaretti flirte avec l'aigreur.
Restent la superbe Sophie Karthäuser en Æglé et l'inattendu Jean-Philippe Lafont en Égée. La première séduit par la liberté et la plénitude de son émission. Le second chante bien assez quand il ne semble que parler. Tout en étant l'élément le moins "baroque" de la distribution, il est ainsi paradoxalement le seul à évoquer le souvenir (ou plutôt le fantasme !) d'une "déclamation lyrique". Hélas, sa diction s'empâte dès qu'il "chante" un rien trop.
Si le prologue et le premier acte sont parfois presque trop "remplis" scéniquement par Martinoty, les deuxième et troisième actes sont traités de manière plus intimiste. Nourris par des tragédiens plus captivants, ils auraient pu être efficaces, mais forment ce soir presque un "tunnel". On en sort heureusement avec les derniers actes à nouveau plus brillants et démonstratifs. Voici sans doute la clé d'une soirée réussie : une bonne ouverture et un bon final !
À voir jusqu'au 29 février au Théâtre des Champs-Élysées. à écouter le samedi 17 mai à 19h30 sur France-Musique.
Alain Zürcher