Il viaggio a Reims
Opéra • Massy • 07/11/2008
Orchestre National d'Île-de-France
Choeur de l'Opéra Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse Chef de choeur : Aurore Marchand Luciano Acocella (dm) Nicola Berloffa (ms) Guia Buzzi (dc) Valerio Tiberi (l) |
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Le spectacle de ce soir n'est pas seulement une excellente production d'opéra. Il est l'aboutissement d'un ambitieux projet lancé par Raymond Duffaut et son Centre Français de Promotion Lyrique. Non seulement la distribution vocale mais aussi le metteur en scène, le décorateur-costumier et l'éclairagiste ont été choisis à l'issue d'auditions de jeunes artistes. Ce Voyage à Reims, créé à Reims en octobre, va tourner pendant deux ans dans les seize maisons d'opéra françaises et hongroises qui le coproduisent.
Le choix de l'oeuvre est excellent. On avait pu découvrir le Voyage à Royaumont en 1997, monté avec déjà une palette de jeunes chanteurs sous la direction du génial spécialiste de Rossini, Alberto Zedda. (On peut lire à ce sujet une intéressante interview de Till Fechner, qui faisait partie de la distribution.) Ce Voyage alors inconnu s'était révélé à cette occasion être peut-être le plus beau et le plus brillant des opéras de Rossini ! La richesse et la difficulté de son écriture vocale est une des raisons pour lesquelles il est rarement monté. Car cette virtuosité n'est pas demandée à un ou deux premiers rôles, mais à une bonne dizaine de chanteurs !
Les auditions du CFPL ont retenu deux distributions, quelque peu mêlées ce soir, sans doute par le jeu des indisponibilités de chacun. Aucune fausse note dans la sélection entendue, et beaucoup de plaisir à découvrir une grande voix comme celle de Kleopatra Nasiou (aussi connue sous le nom de Papatheologou) : une remarquable assise dans le grave ne l'incite nullement à grossir sa voix et ne l'empêche pas de monter en conservant un chiaroscuro d'une richesse stupéfiante.
La sélection effectuée est aussi bonne en ce sens qu'en entendant les petits rôles de Don Luigino (un peu clair, ouvert et nasal) et Maddalena (un peu retenue), on est satisfait par leurs prestations mais on ne regrette pas qu'ils ne tiennent pas les premiers rôles.
La disponibilité et l'homogénéité des chanteurs retenus a aussi permis un travail d'une qualité inouie sur les ensembles, si importants chez Rossini. On y entend ce soir à la fois tous et chacun, à la fois la claire structure de la partition et son rendu par des interprètes incarnant leurs personnages. Jubilatoire ! Sans doute faut-il aussi en féliciter Luciano Acocella, un des deux chefs d'orchestre retenus pour la tournée.
Jud Perry est un très beau ténor lyrique léger, très adapté au répertoire classique et belcantiste. Ses aigus sont parfois un peu justes dans son superbe duo en gloussements doucereux ("Ah no" !) avec Kleopatra Nasiou, qui y est fabuleuse. James Elliott incarne également bien son personnage français. Il réussit à bien tenir sa longue scène avec Corinna. Par contraste, Armando Noguera est un bon choix de ténor plus "latin". Vladimir Stojanovic est toujours aussi fiable. Yann Toussaint incarne à merveille son rôle d'Antonio et le chante très bien . Romain Pascal est un amusant ténor de caractère, mais sa biographie nous apprend qu'il prépare aussi des rôles plus sérieux !
Hye Myung Kang chante superbement, même au début hors scène ! Malgré une respiration un peu courte et bruyante, Oxana Shilova excelle dans le canto spianato comme dans le sillabato. Son duo en yodl avec Gerardo Garciacano est amusant.
Patrick Bolleire impose un Don Prudenzio de très bonne tenue. Gerardo Garciacano est un baryton très classique, à l'italienne, au timbre un peu monocorde à force de "métal" nasal. Il semble perdre un peu prise à la fin de son air sur les nationalités, et l'orchestre le couvre. Istvan Kovacs a une émission étrange. Il "creuse" artificiellement des graves caverneux, puis peine un peu à monter à partir de cette émission trop large. Sans doute une grande voix, mais qui gagnerait à se concentrer davantage autour d'un "noyau". Une meilleure liberté vocale améliorerait aussi son aisance scénique.
Réalisés dans les ateliers de plusieurs maisons, décors et costumes sont superbes. La mise en scène tourne autour d'une... tournette, c'est à dire d'un plateau tournant circulaire, démonté et remonté dans chaque théâtre. (Voir le blog du directeur technique de la tournée.) Dans une esthétique proche de celle de L'Étoile à Nantes en 2005, Nicola Berloffa transporte la scène dans un grand hôtel des années 30, avec des références cinématographiques annoncées qui apparaissent peut-être aux initiés. Auberge ou hôtel, cela fonctionne pareillement. Les déplacements sont bien réglés, le tout est gai sans vulgarité. Si on se passerait de l'éclairage déplaisant de la salle avant l'air de Corinna, les lumières de Valerio Tiberi ponctuent la soirée d'intéressantes pénombres qui offrent autant de respirations bienvenues à la mise en scène.
À voir à l'Opéra de Massy le 9 novembre à 16h puis en tournée nationale : MONTPELLIER du 24/12 au 6/01/2009, CLERMONT-FERRAND le 10/01/2009, TOURS les 13 et 15/02/2009, METZ du 5 au 09/06/2009, NANCY du 4 au 10/10/2009, TOULON les 6 et 8/11/2009, NICE les 27 et 29/11/2009, SAINT-ETIENNE du 27 au 31/01/2010, TOULOUSE du 19 au 24/02/2010, MARSEILLE du 11 au 14/03/2010, BORDEAUX du 26 au 30/03/2010 et en Hongrie en 2010 !
Alain Zürcher