Cadmus et Hermione
Opéra Comique • Paris • 30/11/2010
Vincent Dumestre (dm)
Benjamin Lazar (ms) Gudrun Skamletz (chg) Adeline Caron (sc) Alain Blanchot (c) Christophe Naillet (l) |
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Cadmus et Hermione est une reprise bienvenue. Autre spectacle fondateur, le fameux Atys dirigé par William Christie et mis en scène par Jean-Marie-Villégier n'avait-il pas été repris plusieurs fois ici-même, toujours avec le même succès? Il y reviendra d'ailleurs au mois de mai, dans une production d'époque (1987 !) reconstituée grâce à un mécène américain. Un deuxième niveau de reconstitution donc, pour cet Atys qui avait fait revivre la tragédie lyrique française.
Comme pour leur Bourgeois Gentilhomme, Vincent Dumestre et Benjamin Lazar ajoutent les dimensions de la diction et de l'éclairage à la reconstitution - ou plutôt recréation, puisque les choix effectués ne correspondent que partiellement à ce que l'on sait de l'époque. Les bougies n'étaient-elles pas, par exemple, réservées à l'éclairage de la salle, tandis que des flambeaux éclairaient la scène? Les "a" ouverts ou fermés n'étaient-ils pas plus différenciés, comme le faisait Eugène Green? Quoi qu'il en soit, le compromis trouvé est séduisant.
Par rapport au Bourgeois Gentilhomme repris au TCE en 2006, l'éclairage à la bougie semble cependant plus plat. Le programme de salle fait état de recherches continuelles dans l'amélioration du contraste de cet éclairage, mais il semble pourtant que moins de parti expressif en ait été tiré. Cadmus permet par contre de redécouvrir, grâce à la collaboration du Centre de Musique Baroque de Versailles, les "machines" et le système de décors en perspective de l'époque - qui constituait encore le principe de tout décor d'opéra jusqu'au siècle dernier !
Malgré la présence de passages comiques très savoureux, leur interprétation semble aussi un peu en retrait par rapport à la verve déployée dans le Bourgeois. Les maquillages semblent plus globalement "cireux" et amplifient moins physionomies et expressions. Il est vrai qu'une bonne part de l'action est ici "sérieuse". à côté du couple comique Arbas/Charite (prononcez [karit] !), le couple Cadmus/Hermione donne son titre à l'oeuvre et sera à l'avenir vainqueur, puisque la comédie à l'italienne sera éjectée de la tragédie lyrique lullyenne. Cette dualité encore présente rend pertinent le choix de cette oeuvre par le Poème Harmonique.
Le livret de Quinault est excellent et fourmille de bons mots. Les personnages "tragiques" y sont cependant si plats et convenus que l'oeuvre semble plus une comédie mêlée de tragédie que l'inverse. S'il est facile de faire rire instantanément de la couardise d'un valet, la partie tragique, pour captiver, exigerait d'exposer et de développer plus longuement des conflits et des dilemmes... cornéliens !
Impossible donc de quitter ce couple comique, car il séduit aussi grâce à ses interprètes, Arnaud Marzorati et Isabelle Druet, modèles de cette nouvelle génération de comédiens-chanteurs. On s'inquiétera juste un tout petit peu qu'Isabelle Druet semble privilégier une émission un peu en "clairon", qui n'est idéale que pour jouer les mégères, alors que sa palette recelait aussi à ses débuts (encore proches !) des émissions plus souples et fines. Côté "sérieux", André Morsch séduit avec un timbre qui s'homogénéise et s'assouplit en cours de soirée. Au début, il incarne un peu trop cette technique vocale consistant à surajouter une résonance pharyngée sombre à un timbre par ailleurs clair et à une diction bien mordante - technique que l'on entendait naguère chez Nicolas Rivenq. Claire Lefilliâtre, elle, pose problème dans ce répertoire. Idéale dans le répertoire plus madrigalesque et Renaissance du Poème Harmonique, son émission est ici trop droite. Les exigences d'un "opéra", donné dans une salle de taille modeste mais qui n'a rien d'une église ou d'un salon, lui font ajouter de la pression sur cette émission droite, aux dépens de la justesse, et lui font aussi ampouler son émission, aux dépens de la clarté du texte. Deux conséquences paradoxales, puisqu'un son droit est supposé être plus "pur" et plus "juste". Mais dans une salle d'opéra, un son droit est moins pur et moins juste qu'un son vibré ! Cette émission est par contre intéressante à écouter, car elle donne l'idée de ce que les Italiens pouvaient qualifier de urlo francese - pas forcément un excès de mécanisme lourd, mais un refus du vibrato.
Le prologue est aussi le lieu d'un certain conflit vocal : les voix éclatent et se heurtent avec une rudesse que l'on peine à imaginer d'époque, alors que l'orchestre déploie lui une riche palette de timbres chatoyants - le ronronnement des bassons, le boisé des flûtes ! Après ce prologue un peu dur, la polyphonie vocale est ensuite superbement lisible.
Si le livret est déjà excellent, Lully est aussi un compositeur d'emblée très efficace dans ce nouveau genre, ou plutôt dans cette extension de la comédie-ballet qui lui a été une école fort profitable. Comme un bon compositeur de comédie musicale, il expose par exemple trois fois le thème de "Belle Hermione" avant que Cadmus ne vienne résoudre, en chantant cet air, l'attente ainsi suscitée chez l'auditeur.
Les danses sont ce soir toujours agréables et harmonieuses. L'orchestre trouve souvent un phrasé plus souple et un son plus chaleureux que la génération précédente d'interprètes de Lully. La vièle à roue qu'il évoque avec son bourdon pour accompagner Isabelle Druet dans sa chanson "Amants, aimez vos chaînes" est par exemple très réussie.
Alors que l'on reste cette saison un peu sur sa faim à l'écoute des opéras de Haendel dirigés par Emmanuelle Haïm ou Marc Minkowski au Théâtre des Chammps-Élysées, ce spectacle témoigne du renouveau de l'interprétation baroque et du chemin passionnant qui reste à accomplir dans cette direction, par cette nouvelle génération d'interprètes.
À voir jusqu'au 5 décembre à l'Opéra Comique.
Pour les fêtes, l'Opéra Comique accueille aussi, les 22 et 23 décembre, le plaisant Carnaval Baroque dirigé par Vincent Dumestre et mis en scène par Cécile Roussat, que l'on avait pu apprécier à la Cité de la Musique en 2007.
Alain Zürcher