Le Comte Ory
Opéra Comique • Paris • 21/12/2017
Choeur les éléments
Chef de choeur Joël Suhubiette Orchestre des Champs-Elysées Louis Langrée (dm) Denis Podalydès (ms) Éric Ruf (d) Christian Lacroix (c) Stéphanie Daniel (l) |
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Le Comte Ory est une oeuvre étrange, composée de deux actes juxtaposés, un peu comme deux épisodes d'une série diffusés à la suite. Le premier acte est nouveau pour son librettiste, Scribe, mais Rossini y recycle la musique de son Viaggio a Reims composé en italien, tandis que Scribe recycle un de ses vaudevilles au second acte, pour lequel Rossini compose de la musique nouvelle, qui sonne d'ailleurs plus idiomatique et naturelle sur son texte français.
La mise en scène de Denis Podalydès donne la même impression de bricolage. Son premier acte est surjoué et démonstratif. Chaque chanteur semble avoir reçu la consigne de bouger et changer d'expression en permanence, et de réagir à chaque mot et geste de ses voisins quand il ne chante pas. Appliqué aussi aux choristes, ce principe est fatigant. Il permet certes aussi de traduire l'hystérie de femmes après une abstinence de cinq ans, en premier lieu la comtesse. Celle-ci semble passer d'une idée à l'autre à chaque instant, et en avoir même généralement plusieurs en même temps. Son mari, le Comte, Isolier, qui désire-t-elle, qui fuit-elle? Aucun, tous ou chacun tour à tour. Le second acte est plus sobre, plus concentré sur des actions réelles, et des états d'âme durant plus que le temps d'une réplique. Mais un des clous de la partition, le trio entre la Comtesse, Isolier et le Comte Ory, est mis en scène de manière très confuse, ni chaste ni excitante, sur un lit mais entre des personnages assis ou debout, empêtrés dans des draps, dessus, dessous, derrière... Le plan est-il mauvais ou juste mal réalisé?
Si la comtesse est fantasque - mais sans jouer l'archétype de la femme fantasque -, le Comte Ory est aussi plus ambigu que d'habitude. Est-ce parce que Philippe Talbot n'a pas un physique de jeune premier que Denis Podalydès en fait au premier acte presque une victime épuisée des femmes, alourdi d'un faux ventre et d'un faux nez? Il l'autorise parfois pourtant (en même temps ?) à montrer sa jeunesse et sa vivacité physique, et au second acte sa sensualité d'expressions et sa gouaille. Son personnage en ressort plus insaisissable qu'à la lecture du livret. Cette accumulation de clins d'oeil, cette hyperconscience de soi, ce mode selfie qui montre et reflète tout en permanence finit par cacher l'essentiel, et ici rendre inconsistants les deux personnages principaux.
Isolier est quant à elle plus simplement campée, autour d'une idée et une seule. Denis Podalydès a-t-il pour elle aussi imaginé son personnage en extrapolant la plus grande dureté de son physique? Son costume reflète bien l'unicité d'un personnage qui bien qu'étant un homme joué par une femme n'est jamais censé être travesti. Dame Ragonde est selon le même principe habillée et coiffée de manière à accentuer encore sa grande taille. Le comparse Raimbaud est lui aussi clairement défini en archétype de valet véreux à la Leporello. Le Gouverneur est flouté par Scribe lui-même, puisqu'il incarne la morale au premier acte avant de se joindre à son pupille lors de l'assaut travesti du château de la comtesse.
Le décor est simple, une grande pièce vaguement monacale, vide au second acte et encombré au premier d'une chaire perchée au sommet de confessionnaux et d'un bric à brac d'église. Les costumes, inégalement beaux ou ternes, entre bonnes soeurs et bonne société, renvoient à l'époque de Rossini.
L'Orchestre des Champs-Élyésées dirigé par Louis Langrée est superbe. On admire la manière dont à l'entrée de la comtesse il défaille dans le son même, comme pour représenter musicalement cette femme d'une époque où on avait ses vapeurs. Mais on remarque rarement autant que ce soir les multiples répétitions de Rossini et la simplicité de ses structures musicales. Est-ce parce qu'il manque quelque chose d'autre, à l'orchestre ou sur scène, qui d'habitude masque cette pauvreté?
Le choeur les éléments est magnifique, particulièrement dans sa composition purement masculine du second acte, où les voix ont une clarté d'élocution, une précision musicale et une fraîcheur rares.
Les solistes excellent d'ailleurs également tous dans les scènes d'ensemble, si importantes chez Rossini : superbe duo du second acte entre Julie Fuchs et Ève-Maud Hubeaux, qui fait entendre ses beaux graves, scène aussi bien jouée que chantée entre Julie Fuchs et Philippe Talbot déguisé en pèlerine, et excellent trio entre les mêmes et Gaëlle Arquez.
Dans ses interventions solistes, toute la distribution est remarquable, avec une Julie Fuchs très à l'aise, un Philippe Talbot annoncé souffrant mais triomphant sans problème audible de la tessiture tendue de son rôle, une Gaëlle Arquez solide. Jean-Sébastien Bou est bien utilisé comme comédien, mais ne fait pas preuve de sa clarté de diction habituelle. Patrick Bolleire manque un peu de brillant.
Un spectacle à revoir, qui devrait mûrir au fil de ses reprises, car ses ingrédients sont excellents !
À voir jusqu'au 29 décembre à l'Opéra Comique, puis à l'Opéra de Versailles les 12 et 14 janvier 2018. à voir en direct sur Culture Box le 29 décembre 2017 à 20h. à écouter sur France Musique le 21 janvier 2018.
Alain Zürcher