Écoutes de Spectacles

Francesca da Rimini

Teatro dell'Opera • Roma • 27/11/2003
Orchestre, choeur et ballet du Teatro dell'Opera
Chef de choeur : Andrea Giorgi
Donato Renzetti (dm)
Alberto Fassini (ms)
Mauro Carosi (d)
Odette Nicoletti (c)
Marta Ferri (chg)
Francesca  :  Daniela Dessì
Samaritana  :  Patrizia Orciani
Ostasio  :  Alessandro Paliaga
Gianciotto (Giovanni lo sciancato)  :  Alberto Mastromarino
Paolo il bello  :  Fabio Armiliato
Malatestino  :  Ludovít Ludha
Garsenda  :  Rossella Bevacqua
Adonella  :  Michela Marconi
Altichiara  :  Cristina Reale
Biancofiore  :  Bernadette Lucarini
Smaragdi  :  Giacinta Nicotra
Ser Toldo  :  Mario Bolognesi
Il Giullare  :  Domenico Colaianni


photos © Corrado Maria Falsini

Francesca da Rimini de Zandonai, à peu près inconnu en France, a connu de grands succès dans la première moitié du XXe siècle. L'opéra de Rome ne l'avait plus présenté depuis 1975. Plusieurs enregistrements audio et vidéo permettent de s'en faire une idée.
Parmi les oeuvres véristes, son livret lui donne une couleur très particulière, surtout au cours du premier acte, délicat et original, évoquant parfois Debussy. L'oeuvre de Gabriele d'Annunzio offre aussi à Riccardo Zandonai, et ici à toute l'équipe artistique, de violents contrastes, par exemple entre le premier acte et le second, plongé dans une violente atmosphère guerrière, ou entre d'un côté Francesca, ses servantes "filles-fleurs" éthérées et son amant idéal Paolo, de l'autre tous les hommes sauf Paolo, notamment ses deux frères Gianciotto et Malatestino.

Après un premier acte raffiné qui laisse attendre le meilleur pour la suite, le second acte séduit mais dans cette veine guerrière très différente. Le troisième, plus intimiste, centré sur le couple Francesca-Paolo, exigerait de grandes "pointures" vocales et dramatiques pour éviter l'ennui. Le quatrième est à nouveau plus animé, mais les promesses musicales du premier ne sont pas tenues. On se dit alors que l'accord entre D'Annunzio et Zandonai est bien loin de celui de Maeterlinck et Debussy.

Un autre fil conducteur est offert par les citations de Tristan puis Lancelot par le livret, tandis que le trio principal (Francesca, Paolo et Gianciotto) rappelle celui du Pelléas et Mélisande de Debussy (créé en 1902) - Debussy qui a aussi mis en musique Le Martyre de Saint-Sébastien de Gabriele d'Annunzio (créé en 1911) ! Les "ancora !" de Paolo au quatrième acte sont un écho explicite des "encore !" de Pelléas. La couleur "française" de l'orchestre au premier acte fait aussi penser au Roi Arthur de Chausson (créé en 1903). L'atmosphère générale et certaines scènes (comme la deuxième du quatrième acte) rappellent Otello de Verdi (créé en 1887). Quant aux "filles-fleurs", elles évoquent aussi bien Parsifal de Wagner (créé en 1882) que Rusalka de Dvorak (créé en 1901), qui baigne dans la même atmosphère de conte. Malatestino et Gianciotto réincarnent le couple Mime-Alberich du Ring de Wagner, tandis que le vérisme de Zandonai rappelle parfois celui de Janacek (1854-1928), et que l'épisode de la tête coupée apportée sur scène par Malatestino rappelle fatalement Salomé (créé en 1905) d'Oscar Wilde et Richard Strauss, autres grands décadents.

Gabriele d'Annunzio s'est inspiré d'un épisode de la Divine Comédie de Dante qui a aussi inspiré les préraphaélites comme Dante Gabriel Rossetti, dont la Tate Gallery expose un tableau représentant Paolo et Francesca.
Metteur en scène, décorateur et costumière se sont largement inspirés de l'esthétique préraphaélite, et des éléments de mobilier évoquent le style Art Nouveau. Le beau Paolo apparaît au fond de la scène sur un kitschissime cheval bleu !
On comprendra donc que ces multiples références entrecroisées font de cette production un spectacle intéressant, avant même que ne soit abordée la question des voix.

La distribution offre des voix typées, bien caractérisées par rapport à leurs rôles. Les petits rôles ont des voix notablement plus légères, certains comme Domenico Colaianni ou Mario Bolognesi excellant dans la déclamation vériste syllabique mais donnant peu envie de les entendre dans des répertoires plus lyriques. Les voix des quatre servantes sont également légères, voire émises en "heller Knödel", larynx haut et un peu étranglé (Rossella Bevacqua).

Daniela Dessì a une émission bien reliée à la poitrine, "à la Callas", parfois trop appuyée sur le larynx, la pression excessive élargissant alors parfois le vibrato. Ce défaut disparaît pratiquement quand elle est bien chauffée, mais on observe cependant un fréquent recul de sa langue et elle penche souvent la tête en avant.
Patrizia Orciani a une émission plus claire et un peu surarticulée.

Fabio Armiliato a une voix un peu serrée et semble encore se chercher. Il arrive certes à passer, parfois un peu n'importe comment, au travers des difficultés de la partition, mais on aimerait lui conseiller d'attendre pour aborder ce répertoire (qu'il pratique pourtant ou hélas depuis longtemps !), ou alors de se contenter pour l'instant du rôle de Malatestino. Son émission est parfois trafiquée de syllabe en syllabe et accompagnée de mouvements brusques de la tête et du torse, béquilles dont il doit apprendre à se passer et qui handicapent aussi son jeu. Sa voix intrinsèquement assez légère est souvent émise trop en force. Ses ouvertures se mâchoire sont alors excessives et raides. Les passages plus doux lui conviennent mieux. Il chante mieux une fois Paolo blessé !

Alessandro Paliaga a lui un "métal" impressionnant qui lui permet une puissance sans forçage.
Ludovít Ludha, séduisant dans ses courtes répliques de l'acte deux, déçoit à l'acte quatre avec une émission trop ouverte et hachée, certes sans doute volontairement vilaine, en accord avec son personnage comme son jeu assez grossier. La scène où il dévoile parodiquement l'adultère est cependant très bien jouée et chantée.

On ne peut pas reconnaître à Alberto Fassini de véritable génie dans la direction d'acteurs, mais sa lecture de l'oeuvre est par contre tout à fait louable dans son traditionnalisme. On pourrait certes imaginer aller plus loin dans l'évocation médiévale et pourquoi pas la stylisation préraphaélite, mais Zandonai lui-même ne l'a pas fait. On pourrait aussi bien sûr caricaturer ou décaler toute l'oeuvre, mais ce qui se justifierait pour La Traviata rendrait incompréhensible une première vision de Francesca da Rimini.

On pourrait aussi reprocher à Donato Renzetti de ne pas toujours traduire toute la finesse de l'oeuvre, mais cette finesse est peut-être plus rêvée que réelle. Le chef ne tombe jamais non plus dans la lourdeur et maintient en permanence un équilibre idéal avec le plateau.

Les superbes décors et costumes sont donc eux aussi très contrastés, parfois dans des teintes de bonbons acidulés, parfois noir et rouge sang dans les scènes violentes. Les deux affreux Gianciotto et Malatestino ont l'air de noirs orques du Seigneur des Anneaux et contrastent aussi par leur jeu de scène avec la délicatesse des femmes vêtues de tissus vaporeux de couleurs douces.

Le principal dispositif scénique est pourtant "questionnable" (pour parler franglais) : il s'agit d'une boîte, ouverte en haut et devant (heureusement pour le public !), qui surélève et rapetisse considérablement la scène. Autour de cette boîte, on voit les murs de briques de la cage de scène. Ce dispositif est-il justifié par une coproduction avec un théâtre plus petit? Ou pour encadrer l'action comme dans un tableau, une miniature médiévale? Ou encore pour des raisons acoustiques? à l'avant-scène au pied de la boîte, une tombe ouverte - dont toute l'histoire jouée au-dessus émane? Mauro Carosi ne s'en explique pas dans le programme ni dans le petit journal de l'Opéra. Amusante cachette en tout cas pour le souffleur !

La seule incongruité (mais efficace et pourquoi pas esthétique, à la Van Eyck) du décor consiste en une sorte de couvercle garni intérieurement de miroirs, qui s'ouvre comme une huître et montre alors l'accès aux cachots et les personnages y descendant ou en remontant par un escalier en colimaçon, rappelant l'usage des miroirs par Yannis Kokkos dans ses récents Troyens au Châtelet.

Pour un public italien, celui de ce soir était particulièrement tiède. Ses applaudissements neutres et non discriminants étaient dignes de l'Opéra Bastille. Les principaux chanteurs venaient certes saluer à la fin de chaque acte, mais au rideau final, le public s'empressait déjà vers la sortie... seulement parce que les quatre actes entrecoupés de trois entractes ont fait se terminer tard un opéra commencé à 20h30?
On s'inquiète aussi du niveau sonore assourdissant du message demandant d'éteindre nos téléphones portables. D'autres amplifications excessives choquent ici et là en ville. Les Italiens parlent-ils si fort ou dans un environnement si bruyant qu'ils sont en avance sur les autres peuples occidentaux dans la course à la surdité?


La salle

Le théâtre Costanza de l'Opéra de Rome est une magnifique salle à l'italienne, récemment restaurée, de quatre rangs de loges surmontées d'un balcon en amphithéâtre, de couleurs crème et rouge passé, éclairée par des lustres, dont le plafond présente une peinture coloniale des peuples conquis par l'Italie. L'acoustique agréable et brillante met les voix en valeur sans rendre l'orchestre trop clinquant ni trop ronflant. Les choeurs sonnent parfois durs mais ne plafonnent pas. Au premier acte, l'acoustique semblait diffuser le son plutôt que de le concentrer, ce qui pouvait donner une impression de confusion pour des oreilles habituées à un son plus fondu, mais il est ensuite apparu évident que les interprètes avaient aussi leur part dans les décalages ressentis, absents des actes suivants. Il n'en reste pas moins que l'esthétique sonore de la salle n'a rien d'anglo-saxon et rappelle plutôt, parmi les salles parisiennes, celle du Théâtre des Champs-Élysées.

La saison 2003 semble un peu étrange, écartelée entre bel canto et vérisme, avec une absence complète d'oeuvres baroques et classiques mais aussi de Verdi. La saison 2004 n'est pas très différente mais offre un Don Carlo. Elle permet surtout de découvrir des oeuvres véristes invisibles en France.
Le théâtre étant situé à proximité de la gare Termini, les hôtels abondent aux alentours.