Un Messager a fait le Printemps
Péniche Opéra • Paris • 26/03/2004
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Ce très agréable spectacle a été créé le 13 décembre au Théâtre de Montluçon pour le 150éme anniversaire d'André Messager. Il permet d'entendre de nombreux airs du compositeur, brillamment placés dans une trame narrative nouvelle tout en conservant leurs paroles d'origine. On retrouve l'inspiration didactique du spectacle Viva l'Opéra (Comique) concocté par Benoît Duteurtre, mais avec toute la truculence d'Yves Coudray, ainsi que l'expérience de Mireille Larroche, déjà appréciés dans Les Aventures du Roi Pausole. Leur osmose est parfaite avec ce lieu toujours si bien utilisé, où aucun euro ne semble dépensé sans donner un maximum de plaisir aux spectateurs - quoique la petite Péniche se paie ici le luxe d'accueillir un second piano, qui plus est à queue !
L'inspiration est non seulement didactique mais radiophonique, puisque c'est une émission de radio fictive qui introduit le spectacle puis en sépare les séquences. Le son d'une interview imaginaire est accompagné par des projections d'images et films d'archives sur le rideau, très joliment et kitschement encadrées de cadres de fleurs colorées.
Une longue séquence est l'occasion pour Benoît Duteurtre de se faire l'avocat du diable en exposant les travers de l'opérette bourgeoise et colonialiste. Les illustrations musicales de cette séquence "exotico-patriotique" sont mises en scène de manière très efficace.
Clin d'oeil? La mort de Messager est annoncée à la radio par une voix qui semble imiter l'accent d'Henri Goraïeb, qui a si longtemps incarné à France-Musique la mémoire de ce répertoire et de ses interprètes - tels Fanely Revoil ou l'orchestre radio-lyrique dirigé par Jules Gressier !
Derrière le rideau, la scène montre les coulisses d'un opéra... comique. Les airs sont amenés à l'occasion de répétitions ou au fil de souvenirs. Si l'on est déjà un amateur et connaisseur de ce répertoire, il est certes fort agréable d'en entendre des extraits, mais ici comme dans Viva l'Opéra (Comique), le ton didactique et les textes de liaison "pédagogiques" peut légèrement énerver et donner l'impression d'assister à une matinée pour scolaires. Mais peut-être est-ce une étape nécessaire pour redonner à un public plus large l'envie d'aller assister à des reprises d'oeuvres intégrales de ce répertoire. Il est tout de même sidérant qu'un répertoire ayant à la fois un ancien public nostalgique, un nouveau public plus jeune, d'anciens interprètes pouvant encore transmettre leur culture, de nouveaux interprètes le dépoussiérant et renouvelant son pétillement, et enfin le soutien désormais d'une bonne part de l'intelligentsia parisienne, ne dispose pas d'une salle et d'un soutien public au même titre que l'opéra. Peut-être comme l'opéra baroque devra-t-il s'inviter un peu partout et s'immiscer dans les programmations de toutes les salles susceptibles de l'accueillir sans le dénaturer? Le niveau et la vitalité de cet opéra baroque est certainement supérieur à ce qu'il serait si on lui avait offert un Orchestre Baroque National et une salle attitrée. Le champ de l'opérette est de même laissé libre pour toutes les petites et grandes compagnies qui le souhaitent !
La distribution est un heureux mélange d'habitués de la Péniche et de nouveaux venus. Tous sont aussi bons comédiens que chanteurs.
Jean-Marc Salzmann a déjà une belle expérience et impose son autorité dans le rôle de présentateur qui lui est souvent dévolu. Ses extraits le font évoluer dans des tessitures très différentes qu'il assume toutes, même si un éventail plus resserré serait un meilleur gage de longévité vocale. Son émission est sonore mais parfois au prix d'une certaine dureté, voire d'un certain écrasement du larynx par un Knödel comme dans l'air de la Quarantaine.
Jean-Michel Ankaoua, dont on peut également louer le jeu et la diction, présente un peu les mêmes défauts purements vocaux mais en plus jeune. Dans le duo de Monsieur Beaucaire "Quoi, si doux", son émission est plus mixte, mais est sinon souvent un peu appuyée en gorge. Ses piani sont dès lors émis dans un registre résonantiel convenant au forte et au grave mais détimbré, plutôt que dans une émission plus en tête. Une émission plus fermée l'aiderait aussi à affronter des salles plus grandes que la Péniche.
Yves Coudray déploie sa verve coutumière, malgré des aigus un peu ouverts en début de soirée.
Elsa Vacquin a une voix bien adaptée à son personnage, mais qui sonne prématurément vieillie. Dans ses passages parlés, on croirait qu'elle imite Edwige Bourdy, sans que ce ton acidulé et gouailleur soit chez elle intrinsèque à sa voix. Son émission est un curieux mélange de serrage et de relâchement, résultant peut-être d'une formation ou d'une conception très française "à l'ancienne" de "voix dans le masque" excessivement pointue ayant conduit à d'excessifs efforts laryngés en l'absence d'une impédance suffisante et du développement parallèle d'un soutien approprié? On ne sait pas trop, à l'entendre, s'il s'agit d'une voix légère ayant chanté trop large ou d'une voix ample ayant chanté trop léger.
Sarah Vaysset est absolument idéale en jeune première, comme les personnages eux-mêmes ne manquent pas de l'exprimer. On retrouve chez elle la rondeur savoureuse de l'émission de Véronique Gens, cette impression de chanter comme on croquerait une pomme ou sucerait un bonbon, la bouche adoptant toujours des ouvertures extérieures extrêmement raisonnables mais étant parfaitement détendue à l'intérieur. Comme elle est tout aussi délicieuse physiquement et joue bien, on se demande pourquoi sa carrière n'a pas encore davantage décollé. Peut-être sa voix n'est-elle pas très puissante, mais on lui souhaite de garder ses qualités sans la forcer davantage... et on attend avec impatience ses futures prises de rôles !
À voir jusqu'au 2 mai les jeudi, vendredi et samedi à bord de la Péniche-Opéra.
Alain Zürcher