Le terme français de "placement" de la voix me semble suffisamment correct pour éviter l'utilisation du terme italien "impostazione" - sauf en complément occasionnel du terme "appoggio".
Il semble souhaitable que l'élève-chanteur ait conscience de "placer" sa voix, même s'il ne doit pas forcément en résulter l'impression que la voix est "placée" quelque part en particulier.
(Voir à ce propos la contribution en anglais de Lloyd W. Hanson, Contre le concept de placement de la voix.)
Certains professeurs pensent qu'il suffit de respirer, ou d'ouvrir la bouche (vraisemblablement les deux à la fois), ou de "soutenir", pour que la voix se place toute seule.
D'autres, sans atteindre l'inquiétante précision de Lilli Lehmann, suggèrent des directivités vocales.
Il doit être possible de trouver une solution pertinente entre ces deux extrêmes - ou ailleurs, tant ces deux démarches peuvent sembler ineptes.
Certes, il faut faire confiance, le plus possible, au corps et au cerveau. Dans ses grands moments, un chanteur d'opéra est une machine lancée à plein régime, dont le corps applique instantanément la succession ininterrompue d'ordres que le cerveau lui envoie.
Cependant, cette machine, il faut la construire, et même le jour de la représentation, il faut la mettre en marche.
Le corps et l'instinct vocal du chanteur ont une fâcheuse tendance à se satisfaire de positions vocales flatteuses et confortables, allant de la nasalité à l'engorgement ou combinant les deux.
Il ne peut donc pas être mauvais de suggérer la recherche consciente d'une accroche haute et antérieure de la voix.
Pourquoi parler d'accroche et non plus de placement?
"Placement" est un terme très général. L'accroche haute et antérieure doit faire partie du placement d'une voix, mais ne doit pas être exagérée : c'est une toute petite partie de la voix, presque seulement un moyen de contrôle pour le chanteur - mais c'est cependant grâce à elle que l'auditeur percevra un timbre équilibré et comprendra les paroles!Parler de "placement haut" pourrait faire croire que toute la voix doit être "placée" quelque part en hauteur, ce qui risquerait de la couper du corps du chanteur et de la priver de son noyau, de son "centre".
L'idée d'un "placement antérieur" risque de tirer la voix du côté de la variété, avec une surarticulation, un détimbrage, un serrage...
La place vocale correspondant à cette accroche haute et antérieure est celle du [i].
[i] est la meilleure et la pire des voyelles.
Pour un débutant, sauf s'il a un [i] naturel, le [i] présente de nombreux dangers :
Comme le [i] résonne très haut, très en avant, de manière plus légère que toute autre voyelle, une tendance naturelle possible va être de ne pas le soutenir.
Comme on recherche avec le [i] un son très antérieur, une autre tendance sera de fermer la gorge, et de fermer la cavité buccale en remontant la langue au-delà des exigences acoustiques de formation du [i].
Le [i] sera alors "serré".
(Voir la série d'Exercices Vocaux Donner au [i] les qualités du [a].)
L'incapacité à trouver la résonance haute et libre du [i] peut aussi produire une sorte de [y] détimbré, surtout si l'élève n'a pas encore trouvé son appoggio et chante en expiration.
Une fois que le [i] a trouvé sa place haute dans une bouche détendue, et qu'il peut être soutenu comme n'importe quelle autre voyelle, il devient une excellente voyelle de contrôle et de travail.
Ce n'est qu'à partir de ce moment que le professeur pourra demander de :
Trouver cette accroche haute sur [i] correspond en effet à "penser" ou à "mettre" un peu de [i] dans toute voyelle ouverte, afin de ne pas la laisser s'engorger.
Cette accroche haute donne une légère impression de nasalité.
Il s'agit d'une nasalité antérieure, qui correspond à ce que certains nomment la friture.
L'impression est que le son monte dans le nez par devant, par conduction osseuse (vibration sympathique) à partir de la mâchoire supérieure (de la gencive) plus encore que du palais dur.
La nasalité postérieure :
Même si cela ne correspond à aucune réalité, on peut imaginer, pour arriver à percevoir la différence entre "bonne" et "mauvaise" nasalité que :
La pratique actuelle courante du français fait participer la gorge à l'émission des voyelles nasales, ce qui fait de ces dernières de mauvais points de repères pour le chanteur.
Ce n'est pas le cas des consonnes nasales, surtout si elles sont suivies d'un [i].
Certains auteurs distinguent :
"Nasillement" désigne aussi le cri du canard, ce qui est un autre moyen de reconnaissance de ce type de nasalisation !
Pour déclencher cette accroche haute, le débutant peut imaginer un son :
Le timbre ainsi obtenu est bien sûr affreux, même s'il représente l'idéal d'une certaine école française "en voix d'extinction".
Ce serait cependant bien trop simple si un professeur pouvait rejeter ce timbre et demander à son élève une rondeur immédiate. Cela constitue plutôt la voie la plus rapide pour le grossissement et l'engorgement !
De même que l'agilité doit être présente dans le legato, l'agressivité doit être présente dans la rondeur.
De telles images de sons "méchants" invitent à dégager un peu les dents, c'est-à-dire à retrousser et avancer un peu les lèvres.
Chaque chanteur doit déterminer, en fonction de sa morphologie mais aussi du répertoire qu'il interprète, ou bien sûr en vue d'un effet ponctuel, quel doit être le degré d'extraversion de ses lèvres.
Un chanteur néglige souvent ses lèvres, or leur influence sur le timbre et sur l'intelligibilité des paroles est grande.
Cela ne doit cependant pas inciter à agir directement sur elles. L'image de l'agressivité, comme celle de la sensualité, permet d'agir indirectement sur les lèvres, en les laissant parfaitement souples.
Pour obtenir l'accroche haute, si l'on travaille bouche fermée, il faut :
L'image de "chanter au-dessus du palais" peut être traduite littéralement en exercices.
Il ne s'agit pas de chanter seulement dans le palais, même s'il s'agit de l'avant du palais dur. Le résultat est très différent si l'on cherche à éprouver l'impression que le son s'échappe à travers le palais, sans cogner dedans, sans être plafonné.
Il ne suffit même pas que le son monte à travers le palais dur : il faut qu'il traverse la gencive (c'est à dire la mâchoire) supérieure, au niveau des incisives (cf. le point Mauran).
En fait, plus cette "accroche" sera fine et précise, plus on pourra l'oublier pour se préoccuper du reste. C'est simplement un élément qui doit être présent dans la voix en permanence, ce n'est pas toute la voix.
Paradoxalement, pour ne pas nasaliser, il peut être efficace de penser que l'on envoie sa voix dans le nez, c'est à dire à l'emplacement physique du nez, à l'avant du visage. C'est le meilleur moyen de ne pas envoyer réellement sa voix dans le nez, c'est à dire dans les fosses nasales, en passant par derrière le voile du palais. L'impression est plutôt d'envoyer la voix "à travers le nez", c'est à dire à travers la région alvéolaire, derrière les incisives.
De la même manière, il est généralement positif de conserver les narines toujours largement ouvertes, comme si l'on inspirait par le nez en même temps que l'on chante. C'est très logiquement le meilleur moyen de ne pas chanter par le nez, c'est à dire d'éviter qu'un flux d'ondes sonores sorte du nez !
Les deux images ci-dessus correspondent à un placement de la voix dans ce qu'on appelle le masque.
On remarquera que :
La combinaison ou l'alternance entre ces deux images est donc apte à entretenir l'équilibre que constitue un chant résonnant et soutenu !