Dans le cadre de la réouverture de la Salle Pleyel, la journée portes ouvertes de l'Orchestre de Paris se terminait étrangement par un récital de Roberto Alagna accompagné au piano. Non annoncé dans le programme de saison, il a attiré un mélange d'amateurs et de curieux qui n'a pas boudé son plaisir au moment des rappels. Ce récital laisse cependant une impression très ambiguë.
"Plus ne suis ce que j'ai été", c'est ce que chante avec insistance Roberto Alagna sur la musique de ses frères. Message guère codé pour ses admirateurs, comme pour se faire pardonner son repli vers une tessiture et un répertoire plus faciles, mais aussi occasion de faire de sa déchéance vocale une nouvelle source d'émotion et donc de spectacle et de succès.
Certes, dès 1997, Roberto nous avait charmés avec son disque "Sérénades", déjà proche de son programme de ce soir. Aucune trahison donc, mais une tristesse quand même bien amère pour qui a entendu son Roméo de 1994 à Paris (1993 à Toulouse). Dès 1998 il est vrai, son disque Verdi faisait entendre la voix éraillée avec laquelle il ne pouvait que forcer ces rôles trop lourds. En 1996 au Châtelet, Don Carlos aurait dû marquer la limite absolue à ne pas franchir. Son entrée piano pouvait encore monter jusqu'aux derniers rangs dans un rayonnement d'une pureté et d'un équilibre sublimes.
Roberto Alagna se replie sur un répertoire qu'il a toujours aimé et qu'il sert bien. Son récent disque Luis Mariano (pas aussi facile à chanter !) a rencontré de même un succès considérable. On espère que l'annulation de sa tournée Mariano de cet automne permettra à Roberto Alagna de reprendre des forces et d'honorer les plus raisonnables de ses futurs engagements verdiens non encore annulés - dont un véritable abonnement au festival d'Orange et des engagements à l'opéra de Paris qui arrivent bien tard dans sa carrière.
On n'imagine pas encore Roberto Alagna sur une scène d'opérette, mais pourquoi pas? Régine Crespin y était après tout un monstre aussi déplacé. Pas très à l'aise en première partie de récital, il se "lâche" peu à peu. Est-il sincèrement heureux de son nouveau répertoire? Les rappels lui permettent en tout cas de transmettre des émotions moins convenues et frelatées qu'en début de concert. Parmi les Arie Antiche, difficile de ne pas charger d'émotion "Pietà Signore", mais "Per la gloria d'adorarvi" et "O cessate di piagarmi" sont assez consternants. Bien connus des débutants, ces airs ne sortent pas des limites d'un médium confortable, comme toutes les mélodies de ses frères offertes en première partie.
Si les premières mélodies du programme, et notamment celle citée plus haut sur un poème de Clément Marot, peuvent toucher, leur succession s'enlise dans un ennui croissant. Le comble en est atteint quand les frères Alagna répètent certains passages des poèmes qu'ils ont choisis... ou non, puisque le titre de l'ensemble est "Poésies non choisies". Souvenirs d'école ou de mises en musique précédentes? Aucune originalité en tout cas dans le choix, et une faiblesse musicale d'autant plus patente quand un texte a déjà été mis en musique par Debussy ou Hahn !
Quelques aigus ouverts sur "è" bêlent un peu et les graves ne sont bien sûr pas très sonores, mais le timbre d'Alagna est toujours superbe dans le médium. Par rapport à son récital de cet été à Lacoste avec le toujours accommodant Jeff Cohen, Alagna s'épargne les mezza voce aigus de "Tandis que tout sommeille" de Grétry et l'agilité de la Danza de Rossini. Il a la grande chance de pouvoir continuer à réunir et séduire un large public avec un programme ne présentant plus la moindre difficulté vocale.
La nouvelle salle Pleyel a elle donné toute satisfaction. Certes, le hall est toujours aussi petit quand le public s'y presse, mais les ouvreuses gagneront sans doute en dextérité dans le déchirement des billets, et une signalétique plus visible sera peut-être installée? Le foyer de l'étage est lui aussi petit mais bien agréable à l'entracte. Les espaces d'accueil ont conservé ou parfois retrouvé leur style art déco. D'innombrables éléments modernes ont par contre été ajoutés à la salle, que ce soit pour l'acoustique, la lumière ou autres raisons, mais ils ne la défigurent pas davantage que l'oppressante conque boisée d'avant cette dernière rénovation. La clarté de l'atmosphère comme de l'acoustique séduit. Des places ajoutées derrière l'orchestre, on ne perçoit certes pas les harmoniques aigus les plus directifs de la voix, mais la voix chantée porte bien vers le premier balcon. Les places les plus enterrées sous les balcons ont en outre été supprimées.
Alain Zürcher