HINES, Jerome |
(Doubleday 1982, Limelight 2000) |
Great Singers on Great Singing |
Cet ouvrage est un recueil d'entretiens réalisés par Jerome Hines, célèbre basse du Metropolitan Opera de New-York, principalement auprès de ses collègues. Sérieux et intelligent, l'intervieweur a toujours centré ses questions sur la technique vocale, en ne laissant passer que le pourcentage d'anecdotes contribuant à l'agrément de lecture de ce type d'ouvrages.
On peut bien sûr s'amuser des réponses souvent divergentes apportées par chacun aux questions identiques de Jerome Hines. Mais les différences s'expliquent souvent facilement par la diversité des types vocaux et des parcours. En lisant par exemple les contributions de Gedda ou Horne, on a l'impression d'entendre leurs voix, tant leurs choix techniques semblent cohérents avec les résultats obtenus par chacun d'eux.
Parmi les 42 interviews, à condition d'avoir déjà de bons repères par ailleurs, chaque lecteur chanteur devrait pouvoir trouver des exemples et idées utiles. Leur lecture d'une traite donne un peu le tournis, mais une image fera peut-être "tilt" pour vous ! Pourquoi pas "pensez toujours que l'air va vers le cerveau et non dans les poumons" (Louis Quilico) ou "vous prononcez au niveau de l'articulation de la mâchoire, particulièrement si vous chantez en italien" (Cornell MacNeil)?
Si Jerome Hines a le mérite d'avoir bien canalisé ses interviewés et donné une cohérence à son recueil en posant toujours sensiblement les mêmes questions, la contrepartie en est parfois une certaine frustration : à tel chanteur, on aurait voulu poser telle question plus spécifique, et l'éternelle discussion sur la signification d'une "gorge ouverte" peut parfois lasser. Parmi les autres thèmes imposés, l'usage de la voix de poitrine par les chanteuses interrogées, l'usage des lèvres pour la formation des voyelles, la position du larynx et de la langue, le passage, la couverture, la bâillement, les sensations de placement, notamment dans le masque.
Parmi les interviews de chanteurs, le phoniatre Morton Cooper fait un exposé intéressant sur les dangers de la voix parlée, tandis que le médecin ORL Leo P. Reckford expose ses idées iconoclastes sur la voix mixte, à l'opposé de celles de Bernard Roubeau : il n'y aurait pas deux mécanismes laryngés distincts (mécanisme lourd ou I et mécanisme léger ou II) mais un continuum entre les deux, caractérisé par une implication décroissante de la largeur des cordes vocales dans la vibration.
Franco Corelli montre une bonne intelligence de la voix, même si on est frustré de l'entendre parler de la position de la langue sans que Jerome Hines ne l'interroge sur son "cheveu sur la langue" et ses [r] vélaires. Sherill Milnes livre le produit de réflexions approfondies et justes, malgré une conception étrange de l'antagonisme musculaire au milieu de la page 175. Patrice Munsel parle du belting.
Il ne faut pas non plus se laisser impressionner par l'affirmation péremptoire de vérités douteuses : "Une chose est claire, tous ceux qui manquent de souffle sont ceux qui en utilisent trop" (Corelli), "Une chose est certaine, nous les femmes ne devont jamais utiliser le bas de l'abdomen pour respirer (...) c'est très dangereux physiologiquement" (Cossotto), "Chest voice is the speaking voice" (Crespin :-), "Il n'y a pas de muscles dans la cage thoracique, seulement des os" (Pablo Elvira).
Certaines idées sont peu claires ou caricaturales ou constituent du moins des techniques personnelles particulières comme, à propos de l'abdomen, celles de Régine Crespin en bas de la page 83, de Cristina Deutekom en haut de la page 96 ou de Magda Olivero entre les pages 207 et 208. Beaucoup d'idées sont en tout cas relatives à un chanteur ou à un type d'émission particulier, par exemple quand Crespin dit page 85 que dans le grave, "si je veux chanter pianissimo, je dois ouvrir la bouche un peu plus".
Mais certains raccourcis peuvent aussi avoir un impact par eux-mêmes et être source de méditations, comme quand Cristina Deutekom dit que "keeping the breath away from the larynx is bringing in chest", quand Cornell MacNeil parle de "the enormous concentration of the non-effort" ou quand Rosa Ponselle dit à propos du masque "you get the feeling your face is going to come off".
Bien des vérités de bon sens sont utilement reformulées, par exemple par le même Cornell MacNeil à propos de l'abaissement du larynx : "Dès que vous tirez quelque chose quelque part, vous avez déjà créé une tension. Vous aurez alors besoin d'ajuster quelque chose d'autre pour produire un son acceptable." Ou quand James McCracken dit "it's all in one motion", quand Zinka Milanov conseille "never give your maximum. Never !" ou quand Birgit Nilsson énonce que "the higher the note goes, the lower the support" ou que "si vous pensez plus et chantez moins, si vous pensez à la manière dont vous voulez que la voix sonne, alors la moitié du travail est faite". Pavarotti nous livre un "secret", celui d' "avoir la patience de laisser le diaphragme redescendre avant de commencer la phrase suivante", et la manière dont il a réussi à chanter piano : en faisant comme s'il avait perdu sa voix !
La lecture de ces interviews peut aussi faire redécouvrir les bienfaits d'exercices très "simples" sur des voyelles isolées ou des gammes montant jusqu'à la quinte ou la neuvième. Plusieurs interviewés mentionnent les mêmes exercices, et certainement aucun lecteur n'en retirera de recette miracle ou même originale, ce qui est plutôt sain et montre l'importance du matériau de départ !