Au palmarès des conseils les plus ineptes que l'on peut donner à un élève-chanteur, celui de "soutenir davantage" arrive bon premier.
Faisons d'abord le tour des images couramment employées pour expliquer le soutien de la voix.
Ces images me semblent trop connotées pour pouvoir être utilisées dans la construction positive d'un ensemble cohérent de principes vocaux. On me pardonnera donc de ne les évoquer qu'avec une bien grande désinvolture. La construction positive sera entreprise dans les articles suivants.
Dans le pire des cas, l'élève qui cherche à comprendre ce que cela signifie s'entend répondre que cela ne s'explique pas, qu'il doit trouver tout seul !
Mais est-ce le pire des cas? Les demandes contradictoires ou extrémistes, allant contre la réalité physiologique, contre la logique, contre l'efficacité, contre la spontanéïté de l'élève ou contre sa morphologie particulière sont-elles préférables?
Le soutien de la voix doit pourtant pouvoir s'expliquer et s'enseigner. Ne rendons pas l'art vocal inutilement ésotérique !
Souvent, l'élève s'entend dire que "cela doit partir de plus bas / partir du ventre".
Mais qu'est-ce qui part? Est-ce le son, l'air, telle activité musculaire, la simple pensée? Et comment cela part-il? De bas en haut? De haut en bas? Vers l'avant? Tout droit? En arc de cercle? En s'élargissant? En se rétrécissant? Est-ce juste une impulsion, ou bien une activité continue?
Une autre école dira à l'élève que "cela doit partir du diaphragme".
Mais est-ce la même chose qui partait du ventre et qui doit maintenant partir du diaphragme?
Le diaphragme touchant à la limite inférieure des poumons, et l'abdomen possédant des muscles très puissants, doit-on penser que l'on envoie de l'air sur les cordes vocales à partir du diaphragme, grâce à une activité musculaire abdominale?
Ne serait-il pas plus simple d'expliquer à l'élève le principe de la contre-pression diaphragmatique (autrement dit de maintien de l'activité des muscles inspirateurs pendant l'expiration chantée) qui fonde la technique de l'appoggio?
Certains professeurs, de moins en moins nombreux avec la mode croissante de la détente et du naturel, demandent à l'élève de tendre ses muscles fessiers ou les muscles de ses cuisses.
Une telle action peut être utile sur une note occasionnelle, un aigu problématique. Elle ne peut en aucun cas être érigée en principe d'émission vocale.
Même utilisée de manière exceptionnelle, cette action musculaire extrême doit être insérée dans un ensemble coordonné. Exécutée isolément, dans un corps non encore construit, cette action ne peut qu'être dommageable.
Ce type d'action ne devrait pas faire partie de la première formation d'un élève-chanteur : ce dernier doit apprendre à chanter sans y avoir recours. Une fois développée sa musculature de chanteur, et face à une difficulté particulière, ce type d'action peut se révéler utile.
Ce sont souvent les mêmes professeurs qui demandent de "s'enfoncer dans le sol". Il s'agit encore d'une de ces images qui ne sont bonnes que quand on n'en a plus besoin : elles décrivent correctement une sensation éprouvée par un chanteur expérimenté, mais aident médiocrement le débutant à atteindre l'état qu'elles décrivent.
L'élève trouvant quelque avantage à appliquer ce conseil devra s'interroger sur la manière dont il s'insère dans son équilibre musculaire général. Non insérée dans un équilibre global souple, l'action de s'enfoncer dans le sol risque de susciter des tensions et des raideurs.
L'élève se méfiera particulièrement des demandes de s'enfoncer dans le sol avec les talons : la raideur est alors inévitable ! Les chanteurs émettant ainsi leurs aigus (surtout des ténors, mais aussi des basses et des voix féminines "historiques") les bloquent et les plafonnent immanquablement.
(L'enfoncement des talons est généralement accompagné par la cassure de la nuque vers l'avant et le soulèvement à l'extrême du voile du palais.)
De manière générale, ce n'est jamais sur les talons, mais sur l'avant des pieds (pas la pointe, bien sûr) que doit reposer le poids du corps, à moins que l'on ne préfère le répartie entre l'avant des pieds et les talons. Ce n'est pas seulement notre squelette qui doit nous faire tenir debout, mais aussi notre musculature et notre respiration (voir les exercices physiques de décambrure).
Un peu partout, mais de moins en moins, on parle à l'élève de "colonne d'air".
Une colonne possède une base et un sommet. Où sont-ils?
S'il s'agit réellement d'une colonne d'air, l'air n'emplit pas le tronc en-dessous du diaphragme.
Mais ce diaphragme lui-même, où se situe-t-il? Cela varie selon les professeurs. Bien sûr, il y a une réalité anatomique. Mais il peut aussi être plus efficace d'imaginer son diaphragme ailleurs qu'il n'est, pourquoi pas? Si l'illusion est plus efficace que la réalité, préférons l'illusion. Mais soyons suffisamment clairs et instruits pour que l'illusion ne soit pas seulement erreur et ignorance.
Le sommet de la colonne d'air est-il sur les cordes vocales, le voile du palais, le naso-pharynx, le palais dur, les dents, les lèvres, ou dans la pièce?
Une colonne a un certain diamètre. Quel est celui de cette colonne d'air? Est-il constant? Les poumons ni la bouche ne sont cylindriques, mais pourquoi ne pas l'imaginer, si l'image est efficace?
Le conduit vocal s'incurvant entre le pharynx et la bouche, il faut alors parler de la courbure de la colonne d'air ! Certes, cette courbure du conduit vocal a d'immenses conséquences acoustiques, notamment sur le phénomène des formants, mais quel intérêt de continuer à parler d'une colonne si cette image ne traduit pas la réalité?
D'autres professeurs parlent d'un sac, d'un ballon, d'une montgolfière, d'un soufflet, d'un pneu (ou d'une chambre à air)...
Chacune de ces images induit un schéma fonctionnel différent, plus ou moins inspiré de celui de l'objet évoqué :
Un sac a une forme quelconque, et une ouverture supérieure large pouvant être resserrée et fermée.
La largeur de son ouverture peut donner l'idée positive d'une faible différence de pression entre l'intérieur et l'extérieur du sac.
Une montgolfière a surtout vocation à s'élever, et non à se dégonfler, ce qui peut se traduire vocalement de manière positive.
Elle est emplie d'un air plus chaud que l'air ambiant, ce qui est également le cas de nos poumons et n'est pas sans incidence.
Un soufflet a vocation à "souffler", par un orifice de diamètre réduit, donc avec une forte pression, l'air dont il s'est empli grâce à la dépression interne créée par l'écartement de ses poignées.
Cette dernière phase peut évoquer l'inspiration par ouverture des côtes et descente du diaphragme. Hélas, l'image de la phase expiratoire donnée par le soufflet est bien plus sujette à caution !
L'image du pneu semble aussi discutable que celle du soufflet dans sa phase expiratoire.
Elle l'est hélas également dans sa phase inspiratoire.
Aucune de ces images n'explique à l'élève ce qu'il doit faire concrètement : quelle attitude adopter, quelles actions musculaires exercer, à quels endroits, à quels moments?
Plus simplement, faut-il pousser ou retenir?