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Appoggio

Comment établir un appoggio?
En d'autres termes, comment établir une pression sous-glottique sans exercer de pression directe sur les cordes vocales? (La coordination de la résonance et du souffle, que certains, comme Miller, associent au terme "appoggio", sera traitée ailleurs.)

S'il est inapproprié de pousser l'air contre les cordes vocales (voir l'article sur la Pression sous-glottique), il n'est pas pour autant plus intelligent de retenir son air en "poussant vers le bas".
En effet, pousser vers le bas revient (sauf à affaisser simultanément le thorax dans une mesure supérieure, ce qui est particulièrement contre-productif !) à accroître le volume de la réserve d'air contenue par les poumons. Comment pourrait-on prétendre augmenter la pression interne de sa réserve d'air en en accroissant le volume?

Certes, il faut considérer que la tendance "naturelle" de cette réserve d'air est de se vider, du moins jusqu'à sa position de repos (dans laquelle les poumons ne sont pas totalement vidés - voir Cornut p.6).
Cette "vidange" naturelle ne produit cependant pas de son. Si l'on accole les cordes vocales pendant cette expiration "passive", on obtient un son "expiré", blanc, sans vibrato. Cela ne suffit donc pas.

Il est nécessaire d'augmenter la pression de l'air contenu dans les poumons, donc de réduire le volume pulmonaire, mais sans pousser cet air directement contre les cordes vocales.
La question n'est donc plus "pousser ou retenir", mais "où pousser et où retenir".

Pour soulager les cordes vocales, plusieurs possibilités s'offrent au chanteur. Elles ne sont pas forcément antagonistes, et je les évoque ici sans hiérarchie précise. Chacun peut préférer une formulation ou une autre, un schéma ou un autre, et cette préférence peut évoluer. Il peut parfois être bénéfique de changer plusieurs fois de "visualisation" au cours d'une même séance de travail.

Dans tous les cas, il s'agit de maintenir une activité des muscles inspirateurs pendant l'expiration. La question de l'attaque (ou "début de son" pour Miller) devient donc cruciale, puisque c'est le moment où les muscles expirateurs vont prendre le dessus sur les muscles inspirateurs. Cette modification d'équilibre peut être quasi-instantanée mais n'en est pas moins progressive. L'activité des muscles inspirateurs sera ensuite maintenue tout au long de la phrase chantée, dans un équilibre antagoniste avec les muscles expirateurs.

  1. Comprimer l'air dans le bas des poumons
  2. Retenir l'air le plus bas possible tout en le comprimant légèrement est très difficile à réaliser dans une juste proportion ! En effet, toutes les actions musculaires, de pression comme de contre-pression, sont ainsi imparties à des groupes de muscles voisins.
    On peut éventuellement simplifier le problème en établissant un équilibre antagoniste entre les muscles situés en-dessous et au-dessus du nombril, les premiers poussant (expirant) tandis que les seconds retiennent (inspirent).

    On chante ainsi en apnée, et le risque est grand de durcir peu à peu ses muscles, de se bloquer et d'étouffer.
    Pour soulager cette tension, on va lâcher les fins de phrase, chaque reprise de souffle sera un exploit, et une fois l'abdomen bloqué, les véritables appuis seront transférés sur le thorax, la gorge, la langue ou la mandibule.

    Ce schéma n'est pourtant pas mauvais en soi. Un chanteur expérimenté peut y reconnaître la description de ce qu'il éprouve. Simplement, cette description ne constitue pas une bonne voie d'accès pour le chanteur en cours de formation : celui-ci se concentrerait excessivement sur le bas de son tronc (sur les fonctions de rétention et de compression), au détriment de la liberté fonctionnelle du haut et de la souplesse de l'ensemble.

  3. Rester en position d'inspiration
  4. Il s'agit de la même technique que ci-dessus, mais abordée différemment, d'une manière plus opérationnelle qu'analytique !

    Le chanteur doit d'abord être bien persuadé que si ses cordes vocales et ses résonateurs sont exempts de toute tension et librement coordonnés, il n'a aucun besoin d'une pression sous-glottique artificiellement obtenue pour produire un son acoustiquement efficace.

    Il doit se persuader que la tendance naturelle des poumons à se vider est suffisante à générer un léger flux d'air qui va entretenir la vibration des cordes vocales.

    Si la vibration des cordes vocales est parfaitement pure et parfaitement amplifiée, le chanteur peut et doit en permanence soutenir le moins possible.

    Ce moins possible est l'effort qui permet de maintenir ouverte la cage thoracique.
    Le chanteur qui cherche à le faire volontairement va certainement se contracter progressivement. Si, au contraire, il se contente d'inspirer et de rester en position d'inspiration, c'est à dire non seulement d'imaginer, mais aussi de croire continuer à inspirer tout en chantant, l'action musculaire qui empêche l'affaissement de la cage thoracique devient spontanée.

    Appoggio aura alors un sens d'appui du souffle contre le diaphragme, de haut en bas, sachant que l'idée de continuer à inspirer (et donc de laisser ouvert et détendu tout le conduit respiratoire, qui est aussi le conduit vocal pour sa partie située au-dessus de la glotte) empêchera d'appuyer réellement et d'affaisser ce faisant le haut de la cage thoracique.

    La voix sera ainsi connectée au diaphragme sur toute sa surface, donc aux viscères. L'abdomen sera musculairement "éveillé", mais non contracté.
    Idéalement, une activité musculaire devrait se déclencher par contre plus bas, dans la région pubienne ou inguinale. En l'absence de tout durcissement abdominal, cette région ne sera que très souplement connectée à la cage thoracique. L'ensemble du torse sera "ouvert".
    Si le corps est correctement centré et décambré, si la posture est bonne et si la respiration est profonde et détendue, une activité musculaire sera également ressentie dans le bas du dos, dans la région des reins - cette région même qui se "gonfle" lors d'une respiration dorsale (voir l'exercice physique de Respiration lombaire).
    Étant donné la détente qui doit caractériser cet appoggio, l'activité musculaire pelvienne se confond passablement avec celle qui nous permet de tenir debout !

    Le grand intérêt de ce type de soutien vocal consiste en la détente qu'il permet de conserver. Les reprises de souffle en sont grandement facilitées. Le chanteur ne se bloque jamais, pour peu qu'il intègre l'idée qu'il aura toujours suffisamment de souffle et que sa voix sera suffisamment soutenue sans effort supplémentaire.

    À la fin d'une phrase, ou pour un aigu, il faudra penser à s'ouvrir davantage plutôt qu'à tenir ou à donner un coup musculairement. Il faut aérer ses aigus, les lancer à partir d'un grand matelas d'air, en se concentrant, selon son niveau de développement, d'abord sur le maintien de la position d'inspiration au niveau des basses côtes, puis sur le maintien de la connexion la plus basse possible.

    Le "mouvement contraire" et l'appui sur le diaphragme, exposés par Colette Wyss avec une remarquable clarté, se rattachent à cette conception du maintien de la position d'inspiration, qu'elle décrit d'ailleurs elle-même pp.15 et 17.

    Miller défend aussi, de manière plus confuse, cette conception (p.26 sq. de La Structure du Chant).

    L'article Tao et mouvement continu peut également vous aider à assimiler ce schéma.

  5. Établir un appoggio dévié
  6. Si l'on préfère ne pas penser au diaphragme dans son rôle actif (de contre-pression inspiratrice) pendant l'expiration chantée, on peut aussi établir une relation entre les muscles expirateurs abdominaux et non pas les cordes vocales mais la cage thoracique.

    Selon cet appoggio dévié, l'air est comprimé à partir du diaphragme grâce aux muscles abdominaux, mais appuyé contre la cage thoracique, de l'intérieur vers l'extérieur, et non contre les cordes vocales. La pression sous-glottique est ainsi obtenue sans pression directe contre les cordes. (La pression de l'air se communique en effet de manière suffisante pour produire le son souhaité.)

    En fonction des exigences de soutien de la phrase chantée, cet appui du souffle pourra être déplacé entre la région claviculaire (pour une mélodie chantée dans un salon) et le bas des côtes (pour un aigu d'opéra). Cela revient à délimiter la partie du thorax du va rester en "position d'inspiration", partie d'autant plus grande que les exigences du chant sont élevées. Cette vision de l'appoggio ne contredit donc pas les deux précédentes.

    Un chanteur d'opéra peut ainsi à la fois expirer à partir de très bas et élargir au maximum sa cage thoracique à l'approche d'un aigu, afin de soulager ses cordes vocales en détournant la pression latéralement, au niveau des basses-côtes mais aussi, en d'autres termes, en restant en position d'inspiration plus bas et en déclenchant une expiration d'autant plus basse.
    Il élargit ainsi son diaphragme et améliore la connexion de son souffle avec la musculature abdominale. Le souffle est réparti au mieux tout en étant maintenu le plus bas possible. Son écoulement est parfaitement contrôlé, et le larynx reste libre.

    Selon certains auteurs, l'expression "aigu de poitrine" désigne cette technique.
    C'est également le sens d'appoggio pour Luisa Tetrazzini, si l'on en croit la retranscription de ses propos dans Caruso and Tetrazzini on the Art of Singing. Cet appoggio semble avoir été bien adapté au port du corset.

  7. Établir un contact entre la paroi épigastro-ombilicale et les cordes vocales
  8. Faut-il vraiment avoir conscience de pousser ou retenir quoi que ce soit? Ne peut-on pas penser directement l'équilibre lui-même?

    Cette conception élimine toute référence à une pression sous-glottique pour préférer parler de contact, et d'impulsion nécessaire à l'établissement de ce contact.

    Le volume d'air thoracique est alors pensé comme un espace "neutre", simple milieu de propagation d'une sorte d'"onde de pression".

    Le chanteur établit sur sa paroi épigastro-ombilicale une tension musculaire, en elle-même presque équilibrée. Si déséquilibre il y a, ce doit être dans le sens d'une expansion latérale : le ventre ne doit être ni rentré ni sorti. Tout au plus peut-on constater, mais sans avoir cherché à la provoquer, une légère rentrée de la zone ombilicale, contrebalancée par une légère sortie de la zone épigastrique.
    (Cette impulsion musculaire est également décrite dans l'article sur le Staccato.)

    Cette impulsion musculaire se communique à travers le thorax pour s'exercer, quasi-instantanément, sur les cordes vocales. Elle ne se communique pas en surface mais à l'intérieur, non musculairement mais par la compression exercée sur les viscères puis, par l'intermédiaire du diaphragme, sur l'air contenu dans les poumons.

    Dans le même ordre d'idées, Vennard recommande une légère prise d'air supplémentaire juste avant d'attaquer le son, afin d'assouplir cette attaque et de reconnecter le souffle aux muscles inspirateurs.

    Le corps reste ainsi complètement détendu, tandis que la pression requise par chaque note est successivement établie sous les cordes vocales, sans que le chanteur soit obligé de penser cette pression comme comprimant tout son volume thoracique. Le chanteur inspire, puis met le contact, tout simplement !
    Vision un peu idyllique... C'est pourtant le principe d'un staccato soutenu !

  9. Écarteler la voix entre le haut et le bas
  10. Plutôt que de chercher à réduire les tensions et l'effort musculaire global, on peut chercher à compenser les tensions les unes par les autres, dans un schéma cependant plus dynamique qu'exposé plus haut in Comprimer l'air dans le bas des poumons.
    Cette conception convient au chant à grande puissance. Elle donne à la voix un métal parfois esthétiquement discutable, mais qui permet à la voix de "passer l'orchestre", grâce au formant du chanteur.

    La voix est ici à la fois :

    Ce schéma de production vocale semble se rapprocher de l'idéal défendu par Vennard, notamment §799 sq., ainsi que par Blivet.

  11. Ne rien faire
  12. Voici, sous forme de boutade, comment l'on peut décrire l'appoggio idéal, tel qu'on le découvre très rapidement si l'on a une "voix naturelle" (une coordination naturelle), ou sinon après quelques longues années.

    Effectivement, on ne fait plus rien de particulier, rien de plus, mais on doit cependant :

    Comme on le voit, cette description est absolument impuissante à aider un débutant (ou un chanteur expérimenté temporairement déstabilisé).
    Elle peut cependant être utile au chanteur qui découvre cet appoggio et s'étonne de ne "rien" faire, de ne "rien" ressentir de précis (de localisé), et de sentir sa voix pleine bien qu'émise avec une pression si faible et sans aucune tension musculaire : c'est normal ! (et ça fait tellement de bien !)

Le problème crucial de la connexion de la voix et du souffle lors de l'attaque sera traité dans un futur article.