La voix chantée

Après avoir étudié, dans l'article précédent Chant et parole, chanter et parler, ce qui différencie le chant et la parole, nous allons chercher :

Y a-t-il une voix parlée et une voix chantée ?

Il est commode de distinguer :

Selon sa culture, chacun reconnaît une certaine émission comme voix parlée ou comme voix chantée.

La voix parlée spontanée de chacun est très différente.

La voix chantée est une extension de la voix parlée en fonction des exigences :

La voix n'est donc pas déterminée par l'acte. Si le style, l'ambitus et les conditions d'exécution l'autorisent, on peut :

Y a-t-il une voix lyrique et une voix de variété ?

Au-delà de cette distinction grossière, il existe de multiples styles de chant classiques comme non classiques, très différents par leurs idéaux esthétiques. Le choix d'un style induit des choix d'émission vocale.
Il est douteux que l'on puisse apprendre le chant selon les canons de l'école vériste, puis s'adapter aux demandes de la musique ancienne. Il est encore plus douteux que l'on puisse apprendre le chant lyrique puis s'adapter aux demandes des musiques actuelles amplifiées.
Le fonctionnement du corps du chanteur (qui est son instrument) est globalement le même et les concepts abordés ici gardent leur sens pour tous. Mais ce qui est défaut pour l'un peut être qualité pour l'autre. L'oreille est éduquée différemment, les idéaux sont différents, le moyen de les atteindre donc aussi. La "programmation neuro-musculaire" est différente. Les tentatives de cross-over sont généralement pitoyables, même quand elles sont nourries par une passion sincère et non seulement une motivation commerciale.

La distinction entre chant classique et chant de variété est cependant attestée par :

L'opérette et la comédie musicale font souvent le lien entre les deux mondes. De manière significative, ces répertoires obligent aussi le chanteur à faire le lien entre sa voix parlée et sa voix chantée !

Mais fondamentalement, c'est la rupture introduite par l'utilisation du microphone et des moyens d'amplification qui a éloigné de plus en plus les chanteurs populaires des chanteurs classiques. Elle a aussi imposé des lieux différents de pratique et souvent d'écoute.

Y a-t-il une voix non amplifiée et une voix amplifiée ?

Nous avons vu que les conditions d'exécution influent sur la voix "chantable", c'est à dire sur l'émission vocale utilisable pour chanter. La première condition d'une communication vocale est en effet d'être audible !

Avant l'invention de l'enregistrement et de l'amplification, il fallait combiner :

  1. un instrument vocal adapté,
  2. une technique vocale adaptée,
  3. un lieu adapté.

Non seulement les chanteurs d'opéra, mais les chanteurs de tout style devaient donc :

  1. posséder un instrument vocal au potentiel suffisant,
  2. le développer et l'améliorer par un entraînement adapté,
  3. l'utiliser de la manière la plus efficace possible.

Depuis l'invention de l'enregistrement et de l'amplification, et son utilisation bien plus tardive en concert depuis Jean Sablon en 1936, toutes ces conditions ont disparu, sauf pour le chant lyrique et les pratiques collectives bénéficiant d'acoustiques favorables (lire à ce sujet cet article de La Croix).

Il en résulte :

Certes, les carrières météoriques ont toujours existé. Mais avec l'amplification, combinée avec le marketing et la médiatisation, un bref succès peut suffire à la réussite au moins financière d'une vie. Il est même plus facile de fonder ce succès sur des défauts vocaux que sur des qualités : les défauts sont en effet plus personnels, humains et attachants, tandis que les qualités tendent vers une perfection froide et interchangeable !

Mais l'enregistrement n'est-il pas aussi dommageable que l'amplification ?

Non, si le chanteur habituellement non amplifié ne modifie pas son émission lors de l'enregistrement.

Certes, l'écoute en direct, dans une salle, d'un chanteur non amplifié est toujours préférable. Même du simple point de vue sonore, elle est toujours plus riche et plus subtile. Mais écouter un enregistrement chez soi est préférable à l'écoute sur place d'un concert amplifié. Et un enregistrement en direct est toujours plus excitant qu'un enregistrement de studio.

Même le chant classique non amplifié a cependant souffert de l'enregistrement.
L'écoute d'enregistrements par les apprentis chanteurs leur a en effet offert des modèles trop parfaits, à la fois trop lisses, trop standardisés et non immédiatement inatteignables. Après guerre, elle a fait tomber deux générations de chanteurs dans les pièges de l'imitation et de la visée directe d'un résultat sonore.
La voix enregistrée étant si accessible et immédiate, ces chanteurs l'ont eue en tête et dans l'oreille à la place des sensations très différentes que cette voix donne à son émetteur. Au lieu d'un grand vide peuplé peu à peu de leurs propres repères, leur cerveau et leur mémoire étaient peuplés de ces réalisations déjà abouties, que l'enregistrement leur offrait "clés en mains". Une génération d'imitateurs de Callas ou de Fischer-Dieskau a ainsi tenté d'affronter les planches avec des émissions vocales loin de l'optimum qu'ils auraient peut-être atteint sans l'omniprésence de la voix enregistrée.

Quelles sont les qualités d'une voix non amplifiée ?

Une voix non amplifiée n'est pas forcément lyrique. Elle doit par contre être sonore. Il y a deux possibilités pour y arriver :

  1. forcer sa voix, crier et se fatiguer,
  2. chanter de manière saine et efficace.

Sur la durée, la seconde solution est préférable.

Être efficace veut dire dépenser le moins d'énergie possible pour un résultat donné. Cela ne veut pas dire que l'on se repose ou que l'on chante en-deça de ses moyens. Cela veut dire que comme le résultat doit être le meilleur possible, on ne peut l'atteindre, comme tout athlète, qu'en utilisant au mieux son énergie.

Le chant le plus efficace est aussi le plus sain. Il permet :

Cette efficacité porte sur 3 points principaux :

  1. la gestion du souffle, pour plusieurs raisons :
    • Un son mêlé de souffle est :
      1. acoustiquement inefficace : la résonance n'en sera pas optimale,
      2. énergétiquement inefficace : tout souffle qui ne sert pas à produire des ondes sonores est perdu pour le son.
    • Un souffle appuyé sur les consonnes compromet la résonance pure des voyelles et l'intelligibilité des paroles.

    • Il est préférable de consommer le moins de souffle possible pour un résultat donné, afin de pouvoir chanter de manière liée et sans difficulté les phrases les plus longues possibles.

  2. l'intelligibilité des paroles :

    Dans le domaine de la musique vocale, on ne saurait bien sûr considérer comme efficace une émission vocale qui ne permettrait pas de comprendre les paroles. Les consonnes doivent donc être articulées et les voyelles formées non pas le plus possible, mais de la manière la plus efficace possible.

  3. la richesse de la résonance :

    Une fois posé le respect de la définition des voyelles, le reste du spectre harmonique doit être le plus riche possible, surtout dans les plages de fréquences où l'oreille est plus sensible. Non pas pour flatter l'oreille de l'auditeur ou la vanité du chanteur, mais simplement pour se faire entendre.

Peut-on amplifier une voix optimisée pour ne pas l'être ?

Toutes les exigences du chant non amplifié restent des qualités pour le chant amplifié.

Lors d'une séance d'enregistrement ou s'il est amplifié, un chanteur classique peut se permettre de détimbrer sa voix, de chuchoter ou utiliser une nuance inaudible sans amplification. Il a cependant tout intérêt à ne le faire que ponctuellement, en conservant par ailleurs l'efficacité de son émission vocale, pour des raisons de santé tant physique que mentale : gérer une voix est suffisamment complexe pour ne pas souhaiter avoir à en gérer deux !

Non soumis à l'idéal esthétique du chant classique, un chanteur de variété peut prendre d'autant plus de libertés. Son idéal de timbre étant différent, son rapport à la résonance et à la registration le sera aussi. Il a par contre intérêt à savoir gérer son souffle et être intelligible, à ne pas se fatiguer ni s'abîmer la voix.
Et si un chanteur non amplifié doit savoir faire entendre sa voix jusqu'au fond de la salle même dans une nuance piano, cette capacité lui permet aussi de mieux gérer ses nuances face à un micro.

Un professeur de chant classique a l'habitude d'apporter ces bases de chant classique à des chanteurs non classiques. Pouvoir être audible sans amplification est la garantie d'une émission vocale saine et efficace. Cela n'oblige pas à adopter tel ou timbre, à chanter fort, à grossir sa voix ou à transformer les paroles en bouillie ! Aucun chanteur, classique ou non, n'en a envie, et le public non plus !

Et maintenant, quelle voix va-t-on travailler ?

Il est certes intellectuellement passionnant de tenter de poser les bases de ce qu'on se propose d'enseigner. On pourrait malheureusement y passer sa vie. Il va donc falloir réduire radicalement le champ de notre étude !

À partir de maintenant :