Après avoir étudié, dans l'article précédent Chant et parole, chanter et parler, ce qui différencie le chant et la parole, nous allons chercher :
Il est commode de distinguer :
Selon sa culture, chacun reconnaît une certaine émission comme voix parlée ou comme voix chantée.
La voix parlée spontanée de chacun est très différente.
La voix chantée est une extension de la voix parlée en fonction des exigences :
La voix n'est donc pas déterminée par l'acte. Si le style, l'ambitus et les conditions d'exécution l'autorisent, on peut :
chanter en voix parlée :
parler en voix chantée :
La déclamation, surtout si on lui ajoute une diction à l'ancienne, peut être perçue comme du chant, puisqu'elle joue sur la durée des sons et même sur leur hauteur. Les récitatifs libres d'un opéra sont généralement parlés avec le même timbre que les airs, alors qu'ils n'en ont pas l'ambitus et que les sons n'y sont pas tenus. Certains chanteurs lyriques conservent également leur timbre chanté en parlant, notamment quand ils donnent des interviews !
Au-delà de cette distinction grossière, il existe de multiples styles de chant classiques comme non classiques, très différents par leurs idéaux esthétiques. Le choix d'un style induit des choix d'émission vocale.
Il est douteux que l'on puisse apprendre le chant selon les canons de l'école vériste, puis s'adapter aux demandes de la musique ancienne. Il est encore plus douteux que l'on puisse apprendre le chant lyrique puis s'adapter aux demandes des musiques actuelles amplifiées.
Le fonctionnement du corps du chanteur (qui est son instrument) est globalement le même et les
concepts abordés ici gardent leur sens pour tous. Mais ce qui est défaut pour l'un peut être qualité pour l'autre. L'oreille est éduquée différemment, les idéaux sont différents, le moyen de les atteindre donc aussi. La
"programmation neuro-musculaire" est différente. Les tentatives de cross-over sont généralement pitoyables, même quand elles sont nourries par une passion sincère et non seulement une motivation commerciale.
La distinction entre chant classique et chant de variété est cependant attestée par :
L'opérette et la comédie musicale font souvent le lien entre les deux mondes. De manière significative, ces répertoires obligent aussi le chanteur à faire le lien entre sa voix parlée et sa voix chantée !
Mais fondamentalement, c'est la rupture introduite par l'utilisation du microphone et des moyens d'amplification qui a éloigné de plus en plus les chanteurs populaires des chanteurs classiques. Elle a aussi imposé des lieux différents de pratique et souvent d'écoute.
Nous avons vu que les conditions d'exécution influent sur la voix "chantable", c'est à dire sur l'émission vocale utilisable pour chanter. La première condition d'une communication vocale est en effet d'être audible !
Si vous ne chantez que pour vous, il suffit que vous vous entendiez vous-même. Facile : choisissez un lieu fermé, silencieux et de taille réduite !
Mais si vous chantez pour un public, vous devez être entendu.
Avant l'invention de l'enregistrement et de l'amplification, il fallait combiner :
Non seulement les chanteurs d'opéra, mais les chanteurs de tout style devaient donc :
Depuis l'invention de l'enregistrement et de l'amplification, et son utilisation bien plus tardive en concert depuis Jean Sablon en 1936, toutes ces conditions ont disparu, sauf pour le chant lyrique et les pratiques collectives bénéficiant d'acoustiques favorables (lire à ce sujet cet article de La Croix).
Il en résulte :
Certes, les carrières météoriques ont toujours existé. Mais avec l'amplification, combinée avec le marketing et la médiatisation, un bref succès peut suffire à la réussite au moins financière d'une vie. Il est même plus facile de fonder ce succès sur des défauts vocaux que sur des qualités : les défauts sont en effet plus personnels, humains et attachants, tandis que les qualités tendent vers une perfection froide et interchangeable !
Non, si le chanteur habituellement non amplifié ne modifie pas son émission lors de l'enregistrement.
Certes, l'écoute en direct, dans une salle, d'un chanteur non amplifié est toujours préférable. Même du simple point de vue sonore, elle est toujours plus riche et plus subtile. Mais écouter un enregistrement chez soi est préférable à l'écoute sur place d'un concert amplifié. Et un enregistrement en direct est toujours plus excitant qu'un enregistrement de studio.
Même le chant classique non amplifié a cependant souffert de l'enregistrement.
L'écoute d'enregistrements par les apprentis chanteurs leur a en effet offert des modèles trop parfaits, à la fois trop lisses, trop standardisés et non immédiatement inatteignables. Après guerre, elle a fait tomber deux générations de chanteurs dans les pièges de l'imitation et de la visée directe d'un résultat sonore.
La voix enregistrée étant si accessible et immédiate, ces chanteurs l'ont eue en tête et dans l'oreille à la place des sensations très différentes que cette voix donne à son émetteur. Au lieu d'un grand vide peuplé peu à peu de leurs propres repères, leur cerveau et leur mémoire étaient peuplés de ces réalisations déjà abouties, que l'enregistrement leur offrait "clés en mains". Une génération d'imitateurs de Callas ou de Fischer-Dieskau a ainsi tenté d'affronter les planches avec des émissions vocales loin de l'optimum qu'ils auraient peut-être atteint sans l'omniprésence de la voix enregistrée.
Une voix non amplifiée n'est pas forcément lyrique. Elle doit par contre être sonore. Il y a deux possibilités pour y arriver :
Sur la durée, la seconde solution est préférable.
Être efficace veut dire dépenser le moins d'énergie possible pour un résultat donné. Cela ne veut pas dire que l'on se repose ou que l'on chante en-deça de ses moyens. Cela veut dire que comme le résultat doit être le meilleur possible, on ne peut l'atteindre, comme tout athlète, qu'en utilisant au mieux son énergie.
Le chant le plus efficace est aussi le plus sain. Il permet :
Cette efficacité porte sur 3 points principaux :
Un souffle appuyé sur les consonnes compromet la résonance pure des voyelles et l'intelligibilité des paroles.
Il est préférable de consommer le moins de souffle possible pour un résultat donné, afin de pouvoir chanter de manière liée et sans difficulté les phrases les plus longues possibles.
Dans le domaine de la musique vocale, on ne saurait bien sûr considérer comme efficace une émission vocale qui ne permettrait pas de comprendre les paroles. Les consonnes doivent donc être articulées et les voyelles formées non pas le plus possible, mais de la manière la plus efficace possible.
Une fois posé le respect de la définition des voyelles, le reste du spectre harmonique doit être le plus riche possible, surtout dans les plages de fréquences où l'oreille est plus sensible. Non pas pour flatter l'oreille de l'auditeur ou la vanité du chanteur, mais simplement pour se faire entendre.
Toutes les exigences du chant non amplifié restent des qualités pour le chant amplifié.
Lors d'une séance d'enregistrement ou s'il est amplifié, un chanteur classique peut se permettre de détimbrer sa voix, de chuchoter ou utiliser une nuance inaudible sans amplification. Il a cependant tout intérêt à ne le faire que ponctuellement, en conservant par ailleurs l'efficacité de son émission vocale, pour des raisons de santé tant physique que mentale : gérer une voix est suffisamment complexe pour ne pas souhaiter avoir à en gérer deux !
Non soumis à l'idéal esthétique du chant classique, un chanteur de variété peut prendre d'autant plus de libertés. Son idéal de timbre étant différent, son rapport à la résonance et à la registration le sera aussi. Il a par contre intérêt à savoir gérer son souffle et être intelligible, à ne pas se fatiguer ni s'abîmer la voix.
Et si un chanteur non amplifié doit savoir faire entendre sa voix jusqu'au fond de la salle même dans une nuance piano, cette capacité lui permet aussi de mieux gérer ses nuances face à un micro.
Un professeur de chant classique a l'habitude d'apporter ces bases de chant classique à des chanteurs non classiques. Pouvoir être audible sans amplification est la garantie d'une émission vocale saine et efficace. Cela n'oblige pas à adopter tel ou timbre, à chanter fort, à grossir sa voix ou à transformer les paroles en bouillie ! Aucun chanteur, classique ou non, n'en a envie, et le public non plus !
Il est certes intellectuellement passionnant de tenter de poser les bases de ce qu'on se propose d'enseigner. On pourrait malheureusement y passer sa vie. Il va donc falloir réduire radicalement le champ de notre étude !
À partir de maintenant :
L'article suivant est donc consacré à La voix lyrique.