Après avoir étudié, dans l'article précédent sur La voix chantée, ce qui différencie la voix chantée de la voix parlée et quelles sont les qualités nécessaires à une voix non amplifiée, nous allons définir ce qui caractérise plus particulièrement la voix lyrique.
La voix lyrique est le produit d'exigences pratiques et esthétiques :
L'exigence d'efficacité et de santé vocale ayant été traitée dans l'article précédent sur La voix chantée, nous allons examiner ci-dessous les qualités esthétiques recherchées.
Ne pas forcer sa voix est une exigence de santé. Mais pour l'amateur éclairé de chant lyrique, l'effort visible ou audible est également un défaut esthétique ! Cela semble aller de soi ? Non, puisque ce n'est pas le cas d'un chanteur de rock !
L'idéal du chanteur lyrique, comme sans doute du danseur ou de l'athlète, est au contraire de donner une impression de facilité. Il a une telle maîtrise de son instrument, il est si bien coordonné, si bien entraîné, si concentré et détendu à la fois qu'il a l'impression de ne rien faire, autre expression récurrente chez les chanteurs ! (Quand un élève chante vraiment bien, il commence généralement par s'étonner de ne plus rien faire !)
Dans la même logique, comme un athlète, il est légitime de souhaiter développer sa voix au maximum de ses possibilités et non de s'arrêter volontairement en-deça. La concurrence des autres chanteurs mais aussi les compositeurs et le public incitent en permanence le chanteur lyrique à repousser ses limites et à utiliser sa voix complète (en italien voce completa).
Le premier accomplissement du chanteur lyrique est de développer toute l'étendue de sa voix, vers le grave mais surtout vers l'aigu. L'extension vers l'aigu dépend en effet de la technique du chanteur, de son acceptation culturelle des changements de registres et de sa maîtrise de ces derniers, tandis que ses limites graves sont plus naturelles et moins dépassables.
(On découvrira les paradoxes de l'utilisation ou non de ces registres dans l'article Registres et mécanismes vocaux : un choix culturel.)
Rappelons aussi que l'oreille humaine est plus sensible aux fréquences aiguës, qui passent donc mieux la rampe et permettent de dominer ses partenaires et accompagnateurs. Mais, nous le verrons plus loin, il importe surtout que ces fréquences soient présentes dans les harmoniques des notes que vous chantez, et non dans leurs fréquences fondamentales ! Chanter aigu n'est donc bien sûr pas obligatoire, mais avoir des harmoniques aiguës même dans ses notes graves l'est !
La voix lyrique doit être non seulement étendue mais homogène !
On pense surtout à l'homogénéité entre les registres : même si des passages physiologiques ou acoustiques ont lieu entre ces registres, le chanteur lyrique souhaite généralement qu'ils ne soient pas audibles - sauf si le compositeur ou l'interprète tire justement parti de ces passages dans un but expressif !
L'homogénéité entre voyelles est une question plus discutable : certes, on ne veut pas entendre une succession de voyelles trop ouvertes ou trop fermées, serrées, criardes puis étouffées, ampoulées... Mais il ne s'agit pas non plus de former toutes ses voyelles dans le même "moule", comme certains le recherchaient et l'enseignaient naguère ! Une voix "complète" et intelligible exige une riche palette de voyelles bien définies sinon "pures" - autre fantasme douteux et excessif !
La voix dite lyrique se caractérise par la présence d'harmoniques plus aigus et plus puissants. Ces harmoniques lui permettent de se faire entendre sans amplification et par-dessus un orchestre !
Au-dessus des formants vocaliques qui définissent les voyelles, la présence constante du formant du chanteur est essentielle. Elle permet à l'auditeur de "suivre" la ligne vocale et le texte grâce à la présence constante d'harmoniques dans cette plage de fréquences, quelles que soient les paroles prononcées.
(Des notions de base sur les harmoniques et les formants sont exposées dans l'article sur La résonance de la voix.)
Le formant du chanteur répond à l'exigence d'efficacité d'une voix non amplifiée, traitée dans l'article précédent sur La voix chantée. Il constitue une signature esthétique de la voix lyrique.
Au-delà de la présence de ces harmoniques, un timbre particulier est-il exigé d'un chanteur lyrique ? Non, cela me semble une conception erronée, superficielle, non nécessaire, extérieure à la nature même du chant lyrique. Poser le timbre comme une condition, et donc comme un objectif pédagogique, revient à inverser toute la logique de l'émission lyrique.
On demande à un athlète d'être efficace et non d'avoir a priori telle morphologie. Bien sûr, tel timbre sera jugé plus séduisant qu'un autre, de même que tel athlète battra un record de manière plus élégante qu'un autre. Chaque chanteur doit découvrir et développer son timbre naturel. Il ne pourra pas le faire s'il vise a priori un timbre particulier. Et la palette des timbres possibles est aussi large que celle des rôles et des oeuvres vocales.
Le legato est une qualité essentielle, car au confluent de plusieurs accomplissements. En effet, il n'est possible que si :
On peut distinguer et travailler spécifiquement chaque type de legato : legato de souffle, legato de voyelles, legato de consonnes... Le legato idéal en est une combinaison équilibrée, qui ne sacrifie aucun paramètre aux autres. Escamoter les consonnes pour ne pas interrompre le souffle ou perturber la résonance des voyelles est par exemple une très fausse bonne idée. Il faut au contraire réussir à chanter avec le texte et jamais malgré ou contre lui. Cela sera développé dans l'article Consonnes et voyelles.
Le legato fonde la possibilité de construire des lignes vocales et de phraser, donc de tenir un discours musical.
La possibilité de tenir le son ouvre aussi la porte à tous les effets de crescendo et de diminuendo.
Le chanteur lyrique doit disposer de la palette la plus large de nuances, utilisable sur toute sa tessiture sinon sur toute l'étendue de sa voix.
Ceci n'est pas possible avec une émission fixe, rigide. La souplesse est donc une qualité essentielle de la voix lyrique.
Elle ouvre la porte à l'expressivité et à l'émotion, qui ne sont pas des exigences spécifiques au chant lyrique, mais sans lesquelles le chant lyrique aurait peu d'intérêt !
La souplesse permet l'agilité, voire la virtuosité. La maîtrise du legato améliore celle du staccato, et inversement. Tous deux tirent leur expressivité de leur opposition même.
On oppose souvent l'agilité des voix plus légères au sostenuto et à la puissances des voix plus amples, mais jusqu'à un certain point, agilité et puissance se complètent et se renforcent l'une l'autre. Ce point est essentiel pendant la formation vocale.
(Voir les exercices alternant staccato et legato...)
Le vibrato est la conséquence naturelle d'une coordination phono-résonantielle efficace en chant lyrique.
Le vibrato sera idéalement contenu dans une plage de fréquences en dehors de laquelle il sera considéré comme trop rapide (trémolo) ou trop lent (oscillation, wobble en anglais).
Un chant d'esthétique classique sans vibrato est cependant possible. L'instrument ne sera simplement pas pleinement libre, donc pas pleinement efficace.
La voix lyrique est naturelle puisqu'elle est :
Elle peut par contre être considérée comme artificielle dans la mesure où :
Si les premiers arguments sont tout à fait recevables, les deux derniers ne le sont plus :
Les candidats chanteurs bien formés étant plus nombreux que jamais, il y en a heureusement suffisamment qui satisfont aux deux critères. Et si un certain embonpoint peut favoriser une certaine qualité vocale, l'acceptation sociale croissante de l'obésité permet aussi de profiter de ces voix !
Ces voix pouvaient rechercher sur scène la puissance du son aux dépens des paroles, ou au contraire être phonogéniques, flattées par l'enregistrement.
Le renouveau de la musique ancienne a joué un grand rôle pour les démoder. La recherche d'une interprétation plus authentique ou du moins informée impliquait en effet un plus grand respect du texte. Ce mouvement, snobé par l'establishment musical, a aussi nécessité l'émergence d'une nouvelle génération d'interprètes, non issus de la tradition faussée de l'opéra, parvenue à l'époque à bout de course. La longévité vocale comparée des "petites voix" baroques et de certaines "grandes voix" météoriques ont depuis fait réfléchir. Le succès croissant de l'opérette et de la comédie musicale ont fini d'achever ces émissions.
(Voir à ce sujet la vidéo Aigus masculins couverts ou plus brillants.)
De même que l'on exige désormais qu'un chanteur lyrique soit beau et mince, qu'il sache bouger, jouer voire danser, on exige aussi qu'il soit compréhensible ! En France, le contraste est encore plus saisissant, puisque les rôles naguère tenus presque uniquement par des chanteurs étrangers sont maintenant brillament interprétés par une nouvelle génération de chanteurs de langue française. /p>La perception de ce qui est naturel ou pas est bien sûr éminemment culturelle. La langue maternelle, avec son accent et sa musicalité, a une grande influence. La voix naturelle d'une personne peut aussi découler de ses propres moyens vocaux.
Tel chantera naturellement avec une voix lyrique et devra se forcer pour chanter en voix de variété, tandis que pour tel autre ce sera l'inverse. La morphologie comme l'éducation précoce de l'oreille peuvent expliquer que le timbre de l'un soit naturellement plus riche en harmoniques et se rapproche davantage de l'idéal du bel canto, même avant toute étude.
Par voix naturelle, on désigne généralement une voix spontanément bien émise, bien "placée", une coordination musculaire sans doute acquise et non innée mais qui semble spontanée, n'ayant pas requis de long apprentissage. Cela implique aussi que le matériau de départ, le potentiel étaient déjà là, et qu'aucun défaut ou problème n'entravait son épanouissement.
Même si vous avez la chance d'avoir une voix naturelle, il vaut mieux étudier suffisamment pour en comprendre le fonctionnement, afin d'être capable de le retrouver en cas de problème, s'il cesse d'être spontané !
Comme nous l'avons vu plus haut, la présence d'harmoniques aigus peut être considéré comme le premier critère de la voix lyrique. Afin d'apprendre à les repérer et favoriser, il est conseillé de lire l'article sur La résonance de la voix.