Le propre du chant staccato est d'être constitué d'une cellule reproductible - c'est-à-dire d'une cellule, mais aussi du fait qu'elle soit reproductible : son état de sortie doit être identique à son état d'entrée, ce qui permet l'enchaînement immédiat d'une nouvelle cellule.
La cellule peut être constituée d'une ou de plusieurs notes, la reprise de souffle n'intervenant qu'avant le début de chaque cellule.
Au cours d'une cellule de plusieurs notes, tout en envoyant une impulsion sur chaque note, on ne reviendra pas strictement à une position d'équilibre, puisque l'absence de respiration intercalaire va peu à peu nous "dégonfler".
A la fin de chaque cellule, au contraire, on est prêt à en enchaîner une autre absolument identique. Un staccato correctement effectué peut donc être prolongé indéfiniment, ainsi qu'un mouvement perpétuel.
(Si l'on voulait également définir le chant legato en termes de cellule reproductible, il faudrait considérer comme cellule la phrase musicale à l'issue de laquelle le chanteur revient à une position de repos complet, ce qui rendrait le concept inopérant, puisqu'un air entier peut très bien ne comporter aucun moment de repos complet, mais seulement des reprises de souffle partielles, qui portent le chanteur d'un état dramatique à un autre, dans une progression et non dans une duplication cellulaire.)
La condition de reproductibilité n'est pas remplie si la note staccato n'est pas soutenue.
Il peut sembler paradoxal de parler de soutien d'une note staccato. Pourtant, toute note non soutenue, fût-elle isolée, est expirée. Elle exige donc une inversion complète du mécanisme respiratoire pour permettre la reprise de souffle : entre chaque note, il faut inspirer, de manière active, ce qui empêche toute répétition rapide de cette note staccato.
Dans un staccato soutenu, au contraire, l'inspiration est incluse dans le retour à l'équilibre suivant l'impulsion d'émission de la note. La respiration est donc "passive" et instantanée.
Il n'existe pas plus de staccato non soutenu que de legato non soutenu : il s'agit alors de voix parlée, et non chantée. Ce n'est pas parce que l'on sépare des sons par des silences que l'on chante staccato !
Bien sûr, on peut "chanter" en voix parlée : c'est-à-dire qu'on peut émettre des notes de hauteurs différentes. On parlera alors de voix de variété.
On peut placer la voix parlée plus ou moins sur le souffle, donc la soutenir plus ou moins, et non se contenter de l'expirer. La différence avec la voix chantée peut alors être presque supprimée. On pourra parfois alors parler de Sprechgesang.
La cage thoracique est ouverte, et l'inspiration a été pleinement effectuée, comme pour chanter une phrase legato.
Des impulsions sont alors envoyées, à partir de la zone épigastro-ombilicale, sur les cordes vocales. (Les "mauvaises" ou "bonnes" impulsions sont détaillées plus bas !).
Le chanteur a vaguement conscience de la propagation d'une pression, mais comme elle part d'assez bas, qu'elle ne provoque aucun flux d'air, que le corps reste parfaitement stable et revient à chaque fois à sa position d'équilibre, il reste détendu.
En chantant staccato, il arrive souvent que le son se place tout seul - peut-être parce que le chanteur est concentré sur son activité abdominale et laisse alors sa bouche détendue? Il est également certain que le mécanisme du staccato invite à ouvrir largement l'arrière de la bouche, à soulever le voile du palais et à laisser le larynx "flotter" librement. Il supprime de même la tentation d'une ouverture buccale antérieure excessive (d'une ouverture a priori).
Placer sa voix sur le staccato n'est pourtant pas une simplification miraculeuse ! Comme dans le cas de la bouche fermée, on peut reproduire en staccato tous les défauts du legato.
(Voir l'article sur l'Apport du staccato au legato.)
On peut émettre une note staccato :
Il est spectaculaire et troublant de constater que, dans le médium de la voix, une note staccato de même qualité acoustique peut être émise :
Dans un tempo lent, le staccato peut être émis :
Pour choisir le staccato le plus efficace, il faut alors se fonder sur :
Une note aiguë, pour s'épanouir correctement sans stridences, doit disposer d'un espace bucco-pharyngé plus grand.
Il est plus facile de créer cet espace avec un abdomen souplement dilaté que rentré. Si l'on rentre le ventre pour émettre la note, la tendance naturelle sera de serrer l'espace bucco-pharyngé (pour empêcher la "fuite" de l'air), donc la note aiguë elle-même.
D'autre part, la pression sous-glottique doit être supérieure. Là aussi, un abdomen souplement dilaté permet l'établissement d'une contre-pression diaphragmatique qui rend le chant plus confortable.
L'exigence de pouvoir soutenir un tempo rapide va dans le même sens : si le ventre doit être violemment rentré pour lancer une note staccato aiguë, il n'aura pas le temps de retrouver sa position de détente pour l'émission de la note suivante.
Il ne s'agit cependant pas de pousser le ventre en avant, ou les viscères vers le bas, sur chaque note !
En effet, cette poussée entraîne une décompression du volume thoracique. Un son ne pouvant être émis au contraire que par une compression, une compression surcompensant cette décompression intervient forcément, probablement au niveau thoracique.
Or la cage thoracique oppose à l'activité musculaire une inertie incompatible avec l'émission staccato rapide, alors que la zone épigastro-ombilicale possède, elle, l'élasticité requise. C'est donc à partir de cette dernière que le staccato doit être émis.
L'obligation de pouvoir soutenir un tempo rapide impose également le choix de l'attaque par le souffle (voir l'article Attaque glottique ou soufflée).
On ne doit bien sûr pas penser que l'on expire de l'air, mais la glotte doit rester ouverte en permanence (hors bien sûr des phases de fermeture nécessaires à la formation des sons !) pour permettre l'émission de sons staccato en rafale : en effet, la fermeture complète de la glotte entre chaque note ne permet pas de soutenir un tempo rapide, et oblige à des contractions musculaires moins souples, qui réduisent paradoxalement la durée de la tenue respiratoire par rapport à un staccato attaqué avec le souffle.
(Ceci n'est pas étonnant si l'on considère qu'attaquer avec le souffle ne consiste pas à souffler de l'air, mais simplement à attaquer glotte ouverte, ce qui permet non seulement des prises d'air ultra-rapides, mais aussi une certaine oxygénation par échange moléculaire sans circulation d'air à proprement parler.)
Il s'agit d'attaquer la note :
Cette secousse :
En fait, l'émission de notes staccato successives est plutôt guidée par l'inspiration, par la reprise de souffle, que par l'expiration. La note à émettre étant très brève, le simple relâchement du diaphragme suffit parfois à donner la force expiratrice nécessaire, si l'inspiration a été correctement diaphragmatique. L'implication des muscles abdominaux n'est nécessaire qu'en fonction de la hauteur et de l'intensité recherchées, et seulement si le tempo n'est pas trop rapide. Dans un mouvement vraiment rapide, on ne sait plus trop si c'est la rentrée ou le retour à l'équilibre qui "émet" le son : c'est toujours la rentrée, mais on en perd la conscience, et c'est très bien comme ça !
(Si c'était le retour à l'équilibre qui émettait le son, nous serions ramenés au cas de "décompression" traité plus haut, in Exigences liées à un tempo rapide.)
Quelles images peuvent donner l'idée de cette secousse?
D'autres images n'ont de sens que si le corps a déjà été centré autour du bassin :
Certains professeurs pensent pouvoir donner ou faire retrouver une émission "naturelle" à leurs élèves en les faisant partir d'un cri, d'un appel, d'une exclamation de surprise ou d'un rire.
Si l'activité musculaire suscitée par ces modes d'expression supposés spontanés (en fait largement culturels) présente une analogie certaine avec l'activité musculaire requise par le staccato, la production vocale accompagnant ces expériences ne constitue pas forcément un modèle sonore pour l'élève.
L'exigence de reproductibilité à l'identique de la cellule, même dans un tempo rapide, invite naturellement au "rebond" le plus souple possible.
Il ne sert à rien de réduire à son minimum l'amplitude de la contraction musculaire, si cette réduction a pour effet de durcir le mouvement, et donc de retarder ou d'empêcher le retour à la position de départ.
Réciproquement, l'amplitude de la contraction ne doit pas excéder ce qu'impose l'obligation de souplesse du mouvement.
Il est très simple de vérifier que l'on revient bien à la position de départ : l'émission de notes staccato isolées, entrecoupées d'autant de reprises de souffle ultra-rapides, doit pouvoir être poursuivie indéfiniment ! C'est un excellent exercice non seulement de placement de voix, mais aussi de relaxation.
Certes, le renouvellement de l'air pulmonaire n'est pas complet, car chaque reprise de souffle est trop rapide et superficielle. Il est donc nécessaire, au bout de quelques minutes, de vider l'air vicié restant dans les poumons et de reprendre une inspiration complète. Avec un peu d'entraînement, ce cycle respiratoire complet peut lui-même être effectué dans le tempo des notes staccato.
En cas de difficultés, un seul conseil : la détente ! Ne pas chercher à faire plus, mais moins. Relâchez une tension inutile plutôt que d'ajouter une tension compensatoire.
Si le minimalisme de cet exercice suscite en vous un stress intellectuel excessif, variez-le en ne respirant que toutes les 2, 3 ou 4 notes, et tournez autour d'une note ou chantez des arpèges au lieu d'une note unique.
L'impulsion épigastrique ferait respirer le débutant soit trop haut (au-dessus), soit trop bas (en-dessous).
L'impulsion ombilicale, au contraire, en libérant la zone épigastrique pour la respiration, lui permet d'apprendre à "installer" ("asseoir") peu à peu son souffle plus bas.
Chaque individu doit découvrir ses propres équilibres musculaires.
La nature nous offre heureusement la possibilité de nous concentrer sur une autre zone, dont les réactions sont plus universelles et donc souvent présentes chez un chanteur débutant. Il s'agit de la zone située, de chaque côté du corps, entre le bas de la cage thoracique et la hanche.
Les images silencieuses et sonores mentionnées plus haut déclenchent la dilatation de cette zone. En effet, lors de l'émission d'un son, cette zone se dilate ! (Elle se dilate bien sûr dans la mesure où d'autres se contractent, comme vu tout au long de ce chapitre.)
Cette dilatation peut facilement être sentie en plaçant les mains au-dessus des hanches.
La concentration sur cette zone permet d'établir une respiration plus spontanément basse et "passive", pour peu que la cage thoracique ne soit jamais affaissée !
Le staccato peut aider à placer le médium, mais c'est le legato qui aidera à placer le grave et l'aigu. Il est en effet très difficile, en chantant staccato, de ne pas écraser le grave et de ne pas serrer l'aigu !
Les débutants ne sortiront donc pas des limites de leur médium.
Pour un chanteur déjà avancé dans sa formation, repartir à l'occasion du staccato pour placer le grave peut être bénéfique.
En effet, une fois le médium correctement construit (notamment par le staccato soutenu), des exercices staccato peuvent permettre de relier le grave au médium, afin de réaliser le délicat équilibre que constitue le soutien du grave.
Le staccato aide alors à penser le grave "en avant", "devant soi", à le "projeter" en plaçant, imaginairement, chaque note plus grave plus en avant sur une courbe descendante convexe qui aurait son origine au niveau des lèvres.
Une telle image et de tels exercices peuvent éviter de lâcher, de détimbrer, d'avaler, d'engorger le grave.
Pour un chanteur expérimenté, chanter staccato dans les extrêmes de sa tessiture ne peut guère constituer un entraînement valable, mais plutôt un test de sa capacité à réaliser instantanément les ajustements requis par ces extrêmes.
Voir l'article sur l'Apport du staccato au legato.