(Cet article fait suite à l'article Staccato.)
Viser directement l'équilibre en établissant un contact entre la paroi épigastro-ombilicale et les cordes vocales (voir le paragraphe correspondant de l'article Appoggio) revient à placer le legato sur le staccato.
Cette idée abstraite a le mérite :
Cette démarche semble donc la plus appropriée à la première formation d'un élève-chanteur.
La note staccato peut être identifiée à l'impulsion évoquée dans l'article Appoggio.
Cette impulsion peut être donnée de la même façon sur la première note d'une phrase legato. Elle sert à établir le contact.
Pour chanter les notes suivantes de la phrase legato, il suffit de garder le contact, en retrouvant sur chaque note la position de détente et d'équilibre qui aurait été celle de la même note dans une phrase staccato.
Un chanteur peut très bien satisfaire à toutes les exigences du sostenuto, sauf la première: celle de l'impulsion.
Il soutient alors une voix qui n'est pas accrochée, pas placée ou pas passée (selon la terminologie employée).
La voix va sans doute rester en arrière ou engorgée. Elle prendra parfois une couleur nasale postérieure.
Soutenir avant d'avoir lancé sa voix revient à la retenir et conduit à se bloquer progressivement.
Certains professeurs critiquent ce défaut avec des expressions comme : "manque de soutien", "vous ne respirez pas", "vous n'avez pas respiré avant l'attaque", "vous retenez le son", "il y a une attache sur votre voix", "il faut chanter pour les autres, pas pour soi-même", "vous vous écoutez chanter"... À l'élève d'analyser la critique et de trouver la solution !
Établir le contact exige une certaine impulsion volontaire, progressivement intégrée et automatisée par le chanteur. Cette impulsion se traduit par une légère rentrée du bas de l'abdomen (en-dessous du nombril) et par une certaine pression transmise aux cordes vocales, qui déclenche leur accolement.
Certains professeurs nomment cette action "passer la voix".
Une fois l'impulsion donnée, le chanteur ne doit pas continuer à exercer la même énergie. Une fois les cordes vocales accolées, il est préjudiciable de continuer à leur faire subir la même pression.
L'impulsion est de l'ordre de l'instant, non de la durée.
Le chanteur qui installe cette énergie impulsionnelle dans la durée exerce une pression excessive sur ses cordes vocales. La conséquence immédiate en est l'enrouement et la difficulté à descendre dans le grave : le grave est écrasé et l'ensemble de la voix est peu à peu tassé. Les changements de registre deviennent difficiles et se font entendre.
Une bonne partie des sensations et conceptions les plus pertinentes d'un chanteur expérimenté sont incapables d'aider un chanteur débutant à les acquérir. Transmises, recherchées ou exigées telles quelles, elles risquent au contraire de le faire tomber dans un des deux défauts évoqués ci-dessus.
Le débutant aura recours à des exercices de halètement volontairement excessifs (voir l'article Halètement), tandis que le chanteur expérimenté ne semblera même plus respirer, tant sa respiration sera profonde et son souffle comme son soutien bien répartis.
Dans le domaine du sostenuto, il importe de développer et de préserver, chez le débutant, l'élasticité abdominale. Pourtant, chez un chanteur expérimenté, cette élasticité peut prendre la forme apparente d'une dilatation constante. Une mise sous tension indiscernable remplace avantageusement, chez lui, ce qui a été décrit comme une secousse dans l'article Staccato.
Le chanteur qui a construit son corps aura l'impression d'attaquer dans la dilatation, sans aucune rentrée ni impulsion particulière. Mais le débutant doit construire son corps dans la souplesse. Il s'étoufferait et se bloquerait si on lui interdisait :
Quelle est la disposition d'esprit induite par le fait de placer le legato sur le staccato?
Principe :
La première note d'une phrase legato est placée comme une note staccato.
État d'esprit induit :
Aller du staccato vers le legato invite à penser la voix comme étant déjà là, immédiatement présente, instantanément à l'extérieur de soi.
Principe :
Chaque note suivante de la phrase legato est pensée dans le même état d'équilibre que si elle avait été émise staccato.
État d'esprit induit :
La phrase n'est plus pensée comme une sorte de grand "serpent" qui sort des tripes, avec toutes les tensions que ce type de vision dramatique engendre.
Elle se développe au contraire dans un espace d'emblée extérieur à soi, comme en apesanteur.
Cet espace serait plutôt sphérique, comme un ballon que l'on maintiendrait gonflé devant soi, un peu en hauteur. (Il ne s'agit bien sûr que d'une image subjective !)
L'un des apports les plus importants de l'ouvrage de Richard Miller, La structure du chant, réside dans l'ordre de ses chapitres :
Encore le chapitre sur "la voix chantée soutenue" consiste-t-il essentiellement en exercices de respiration et de reprises de souffle.
Le sostenuto proprement dit n'est abordé que dans le chapitre "le soutien de la voix", et ce chapitre comprend des exercices de placement du legato sur le staccato !
Bien sûr, une bonne pédagogie vocale ne peut consister qu'en allers-retours entre le staccato et le legato. Chaque aptitude particulière va voir son développement étayé et enrichi par le développement de son complémentaire.
Considérer l'ordre des chapitres d'un livre comme l'ordre d'une pédagogie idéale serait naïf. Il serait alors étrange que Miller, dans son ouvrage, fasse attaquer des sons avant d'avoir fait respirer, ou bien qu'il fasse travailler l'agilité avant d'avoir fait trouver les résonances de la voix : est-ce que l'agilité exclurait la plénitude résonante de la voix?
Cet ordre est cependant celui qui a paru le plus logique, ou le moins mauvais, à Richard Miller.
De nombreux professeurs se réclamant de Miller ou se prétendant en accord avec lui suivent pourtant la démarche pédagogique inverse : ils font chanter legato tout de suite, et laissent ensuite l'élève bricoler un staccato sur le pseudo-legato obtenu, quand vraiment l'élève en a besoin, et en ajoutant parfois que le répertoire vocal de son Fach n'exige pas de maîtriser l'agilité, sans parler des ornements !
Il est au contraire fort sage de considérer que l'agilité doit être présente même dans le legato le plus imperturbable.
Le son doit être parfait (bien placé, équilibré, rond, plein, juste...) à chaque instant, et non seulement lors de l'attaque.
Cela ne signifie pas qu'il faille tenir le son déjà émis, mais qu'il faut continuer à émettre le son pendant une tenue. Pour cela, il ne faut pas pousser de l'air, mais alimenter un équilibre.
À chaque instant, le chanteur devrait pouvoir s'interrompre, et reprendre le son exactement au même emplacement, à la même hauteur - non la hauteur de la note, mais la hauteur de la résonance, la hauteur à laquelle le son est soutenu.
Lors d'une tenue, il faut continuer à penser la hauteur de la note, et la définition de la voyelle.
Il pourra bien sûr s'agir de chanter staccato, puis legato, un même motif musical ou deux motifs différents.
À ce titre, le retour au staccato peut bien sûr permettre de replacer la voix au cours d'un morceau, et a fortiori de la placer au début d'un morceau.
Miller fait par exemple attaquer une note staccato, plusieurs fois de suite, puis fait tourner autour de cette note en chantant legato. Il fait aussi substituer une succession de notes staccato à des notes tenues, notamment finales.
On peut également chanter un arpège (accord parfait, 10ème ou 12ème dit "Grand Rossini" pour les chanteurs plus expérimentés) staccato puis legato.
Il s'agit alors de retrouver pour chaque note chantée legato la place qu'elle avait dans la phrase staccato.
Les professeurs réfractaires au staccato le considèrent généralement comme un placement léger, qui déplacerait et blanchirait la voix. Mais cette critique ne peut s'appliquer au staccato soutenu tel qu'il a été défini dans l'article Staccato.
Partir du staccato peut permettre de trouver sur chaque note un placement de voix plus pur, libre, entier et centré. Le noyau de la voix a plus de chances d'être présent sur une note considérée comme une entité séparée que noyée dans une phrase.
En effet, si l'on recherche la détente et l'équilibre dans l'acte vocal, comme le veut la mode depuis quelques années (et la raison depuis toujours), on constate qu'il est plus facile d'atteindre instantanément cet équilibre que de s'y maintenir.
Cela dit, si certains élèves se détendent plus facilement avant de chanter qu'en chantant, d'autres ne se détendent progressivement qu'au cours de l'acte vocal.
Un arpège chanté legato après avoir été chanté staccato est bien souvent plus homogène en termes de timbres registraux et moins haché en termes de legato !
Penser individuellement chaque note revient à la placer de manière absolue, et non relativement à ses voisines. Une phrase où chaque note est ainsi plus entière n'est pas moins mais plus homogène.
C'est en chantant directement legato que l'on déplace inutilement sa voix, par peur de l'aigu ou du fait d'une conception vocale erronée que l'on pas le temps de corriger dans le feu de l'action et sous la menace constante de l'asphyxie qui guette le débutant !
La phrase legato va avancer beaucoup plus facilement si le chanteur en a déjà maîtrisé chaque élément en staccato : il n'éprouve aucun besoin de contrôler, d'écouter chaque note, puisque chaque note a déjà trouvé sa place en staccato.
Le chanteur reste, enfin, beaucoup plus détendu d'un bout à l'autre de la phrase : il n'a guère de raisons de l'être moins qu'après avoir chanté chaque note isolément.
Le legato n'est ainsi plus un facteur de stress, une fixation bloquante sur la nécessité de la tenue du souffle et du soutien de la voix, mais une détente, une libération par rapport à l'exigence frustrante du staccato !
Ce qui est un exercice utile pour le débutant ne sera bien sûr plus qu'un truc occasionnel pour le chanteur expérimenté: il aura intégré à son attitude vocale les éléments exposés ici. Quoiqu'il fasse, le staccato sera présent dans son legato, dans la mesure même où il y sera indiscernable.