Juliette ou la Clé des Songes
Palais Garnier • Paris • 06/11/2002
Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Marc Albrecht (dm) Richard Jones (ms) Antony McDonald (dc) Matthew Richardson (l) |
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Cette nouvelle production constitue une très agréable découverte.
La mise en scène en est intelligente dans de beaux décors, l'époque années 30 étant respectée. Le rêve est rapidement évoqué au départ par le rideau de scène mais laisse ensuite la place à une représentation neutre (quoique poétique) du livret, qui laisse le spectateur libre d'interpréter à sa guise. Peut-être juste la fin est-elle un peu décevante, avec la séquence où Michel "dort debout", esthétiquement et métaphoriquement remarquable mais qui donne à penser qu'il est rentré chez lui et que sa femme va surgir d'un instant à l'autre avec le plateau du petit déjeuner, le nouveau départ dans le rêve n'étant pas très compréhensible ni réussi et le tableau final paraissant gratuit.
Si le premier acte paraît plus poétique (évoquant Cocteau, Pierre Prévert ou Jacques Tati), le second est plus surréaliste et symboliste (Maeterlinck apparaît encore plus nettement) et le troisième, plus dramatique, permet enfin de citer l'inévitable Kafka.
Si l'ouvrage peut faire penser esthétiquement ou visuellement au Pauvre Matelot de Darius Milhaud ou aux Mamelles de Tirésias de Poulenc, c'est Pelléas et Mélisande de Debussy qui en constitue le fil conducteur. Non seulement les citations musicales en sont innombrables, mais le livret en paraphrase des répliques, tandis que des correspondances évidentes se tissent entre les personnages : Michel/Pelléas, Juliette/Mélisande, le chiromancien/Geneviève, les vieillards sont des Arkel et même le Petit Arabe pourrait être un Yniold ! Seul Golaud manque à l'appel. Dès le début, il est question d'un navire, et le thème correspondant de Debussy apparaît. Puis c'est au tour de la forêt, de la fontaine... Et comment ne pas penser à la chanson que Mélisande chante de sa tour quand Juliette chante sa romance de sa fenêtre? Les deux premiers actes pourraient ainsi être vus comme une variation déstructurée sur Pelléas, ou pourquoi pas un rêve de Debussy pendant sa composition !
En une seule soirée, nous pouvons entendre un large échantillon de chanteurs irréprochables, presque tous français. L'Américain William Burden, dans le personnage de Michel, présent sur scène d'un bout à l'autre, est excellent. L'acoustique et la proximité de la scène du Palais Garnier ajoutent encore au plaisir !
L'orchestre est séduisant. On peut juste regretter que tant l'écriture orchestrale que l'exécution soient un peu tonitruantes pendant plusieurs interventions de Juliette. Alexia Cousin a certes une voix puissante, mais il ne faut pas abuser des bonnes choses !
Alain Zürcher