Étrangement, ce que ce spectacle a gagné grâce au Werther de Ludovic Tézier, il le perd en force d'ensemble. La disparition de la principale faiblesse du 12 mars fait voir toutes les faiblesses plus petites qu'elle masquait.
Est-ce la baguette de Jean-François Verdier ou la disparition des caméras de télévision? L'orchestre est devenu routinier. La structure de l'oeuvre, si intelligemment magnifiée le 12, a disparu. Les rapports si fins de tempo et d'intensité sont perdus, banalisés. Les aspects profondément niais de cet opéra ressortent davantage, comme le kitsch de la mise en scène, qui aligne les clichés.
Quand elle ne chante pas avec Tézier, Susan Graham paraît plus ampoulée que le 12. D'Adriana Kucerova, si fraîche et reposante auprès de Rolando Villazon, on n'entend plus ce soir que le phrasé haché et le français peu idiomatique. Franck Ferrari, qui remplace Tézier en Albert, n'a pas sa ligne de chant ni la noblesse de sa déclamation. Son Albert est rude et fruste, c'est dommage pour la beauté de la langue et de la musique, même si c'est une option possible pour le personnage.
Bref, toute la soirée repose sur les épaules de Ludovic Tézier, certes larges mais incapables de maintenir l'intérêt quand il n'est pas sur scène ! Son incarnation scénique est bien sûr à l'opposé de celle de Rolando Villazon. Crédible dans son genre, elle est certainement moins anachronique : son personnage semble sortir d'un roman et non d'un manga. Vocalement, sa déclamation lyrique est superbe. Tous les passages arioso sont donc magnifiques. Les airs sont par contre frustrants, car la version pour baryton ne transpose pas vers le grave la version pour ténor : elle en supprime les notes aiguës, ce qui affadit nettement la mélodie, un peu comme les Sonnets de Pétrarque de Liszt sont bien moins lyriques et excitants dans leur version pour voix grave. En particulier dans la scène du retour nocturne de Charlotte et Werther, ce dernier chante dans une tessiture grave qui lui rend difficile de passer par-dessus l'orchestre, comme ensuite sur le "réveiller" de son air. Les scènes chantées ensemble par Susan Graham et Ludovic Tézier sont par contre superbes, tant leurs deux voix et tempéraments semblent se stimuler et compléter !
Werther; Drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux (1892); Musique de Jules Massenet (1842-1912); Livret d'Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d'après Johann Wolfgang von Goethe; Production du Bayerische Staatsoper, Munich; Orchestre de l'Opéra national de Paris; Maîtrise des Hauts-de-Seine/Choeur d'enfants de l'Opéra national de Paris; Jean-François Verdier (dm); Jürgen Rose (ms,dc); Jürgen Rose et Michael Bauer (l); Werther: Ludovic Tézier; Albert: Franck Ferrari; Le Bailli: Alain Vernhes; Schmidt: Christian Jean; Johann: Christian Tréguier; Charlotte: Susan Graham; Sophie: Adriana Kucerova