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Encore une réussite aussi intelligente qu'excitante de René Jacobs, qui étend son répertoire à l'instar de ses collègues baroques. Le plateau vocal est magnifique, avec un ténor pour une fois impeccable, Lawrence Brownlee, une basse impressionnante, Federico Sacchi, une soprano à la voix assurée et restée d'une étonnante jeunesse, Rosemary Joshua, et une Bernarda Fink très présente malgré un timbre assez pauvre en harmoniques. Pour excuser l'excitation moindre du second acte, malgré ses airs superbes, on invoquera l'extrême faiblesse dramatique du livret ! France-Musiques diffusera ce concert. Le publier en CD serait une excellente idée !
Étonnant spectacle et formidable moment d'émotion ! Excellent travail de théâtre, dont le spectateur non prévenu découvre avec stupéfaction, aux saluts, qu'il était réalisé par des collégiens et des jeunes élèves de conservatoires d'arrondissement ! Totalement immergés dans cet univers dont ils rendent à la perfection les sentiments et les atmosphères, ils transmettent aux spectateurs les émotions qu'eux-mêmes ont dû ressentir à vivre l'aventure exemplaire de cette production !
Ce spectacle reprend les grands classiques lyriques "culinaires" avec la Bonne Cuisine de Bernstein, les ensembles du gril ou de l'omelette... Il leur adjoint quelques détournements d'airs, à commencer par "Votre toast..." d'Escamillo et quelques scies du répertoire de ténor. Les voix sont d'excellente tenue et les ensembles musicalement très en place. Ce spectacle n'est cependant pas la réussite fraîche et joyeuse qu'il aurait pu être - et que le désopilant et brillant Michel Frantz incarne parfaitement dans son costume de poulet, avec ses talents de comédien comme de pianiste. Passé la découverte de son numéro d'introduction, on éprouve même rapidement un certain malaise, tant ce spectacle semble dominé par la violence et la crasse. Pourquoi massacrer un vrai poulet (certes déjà mort) ou systématiquement jeter et répandre tous les ingrédients sur le plateau? Quelles étranges pulsions guident cette troupe? De quoi donner des cauchemars aux enfants innocemment amenés par leurs parents à un spectacle à l'affiche pourtant alléchante !
Cette interprétation de concert a pris vie au deuxième acte, après l'entracte. Sumi Jo déploie peu à peu ses talents vocaux, jusqu'à combiner un parfait épanouissement et une parfaite maîtrise technique. Au diapason de son chant, la direction d'abord un peu carrée de Maurizio Benini s'épanouit elle aussi et devient de plus en plus souple et belcantiste. Antonino Siragusa est un très joli ténor qui a le mérite de ne pas forcer son émission légère. Stefano Antonucci, Michele Pertusi et Riccardo Ferrari sont solides dans leurs rôles.
Difficile d'écrire une critique vocale d'un spectacle amplifié dont un seul protagoniste chante avec une technique lyrique adaptée. Hai-Ting Chinn est d'ailleurs excellente. Chant et musique sont mêlés à des extraits d'un film de science-fiction italien de série B, joués sur scène en américain, tandis que le chant en italien est surtitré en français et en flamand... Le spectacle dresse un parallèle qui n'est pas sans intérêt entre Énée et un vaisseau spatial s'écrasant sur une planète dont les habitants immatériels veulent prendre possession des corps des astronautes pour s'enfuir...
Une version orchestralement dépoussiérée, où l'ouverture, les passages les plus toniques et les choeurs sonnent avec un formidable entrain. Les cuivres ont sans doute de bonnes excuses pour être moins justes et précis que des instruments modernes. Moins d'excuses par contre pour les nombreux décalages avec le plateau et une certaine pauvreté des demies-teintes.
Côté mise en scène, une débauche naturaliste un peu lourde, pas indispensable, se dépouille peu à peu pour atteindre le magnifique plateau nu final envahi par la foule.
Surtout, un plateau vocal d'excellente tenue, magnifique de diction et de style, à commencer par les jeunes chanteurs français tenant les seconds rôles. Nikolai Schukoff, qui campe un Don José scéniquement crédible, a une émission très franche et respecte la partition. Teddy Tahu Rhodes est impressionnant à souhait. Genia Kühmeier est une Micaëla de luxe vocalement superbe, plus noble et moins plaintive que souvent. Sylvie Brunet campe une Carmen "casque d'or". Elle a tous les moyens d'une Carmen bien chantante. Il est d'autant plus dommage qu'elle chante son premier air comme une poissonnière. Heureusement, elle se rachète largement par la suite et est très impressionnante dans la scène finale, vocalement comme dramatiquement.
Intéressants premiers Lieder de Schumann et op.32 peu connu de Brahms. Liederkreis op.24 interprété avec retenue. Belle clarté perlée du piano de Christoph Eschenbach. La voix de Matthias Goerne est hélas de plus en plus pâteuse au cours de la soirée et il n'est pas à la hauteur des Quatre Chants Sérieux qui terminent son programme, où les médiums sont grossis et les aigus décrochent.
Une seconde écoute pour entendre enfin Neil Shicoff. Quoiqu'annoncé malade au deuxième entracte, il assure son rôle avec l'intensité dramatique qu'on lui connaît et tire parti d'un souffle un peu court pour chanter un "Rachel quand du Seigneur" bouleversant. Ferruccio Furlanetto offre une pâte sonore et une humanité plus riche que Robert Lloyd, mais son émission est bien pâteuse dans ce rôle. Colin Lee est excellent, avec une pureté vocale juste moins insolente que John Osborn.
Le plus étonnant dans cette soirée, c'est qu'orchestre et choeur sont moins intéressants qu'il y a trois semaines. Les tempi et phrasés semblent moins variés et le rôle de la princesse Eudoxie paraît moins brillant. L'oeuvre d'Halévy ne supporte-t-elle pas la réécoute? Anna Caterina Antonacci a elle bien mûri dans son rôle, mais malgré un Éléazar plus satisfaisant l'essai n'est hélas pas transformé.
Fabuleuse soirée dont on espère qu'elle fera l'objet d'une publication discographique. Les chanteurs sont excellents jusque dans les petits rôles. Solveig Kringelborn concentre peu à peu son énergie et sa voix d'abord un peu forcée dans le grave et un peu poussée et droite dans l'aigu. À son exception, la distribution semble directement importée de Russie. Sa présence et son impact sonore et dramatique n'ont d'égaux que ceux de l'orchestre et du choeur. On n'a jamais entendu autant de cuivres (et de décibels) au Châtelet ! Quant à la direction, avec le jeune Tugan Sokhiev, aussi à l'aise et énergique dans la fosse que gauche aux saluts finaux, la relève de Valery Gergiev semble assurée !
(Rappelons que Katerina Ismailova, créée en 1963, est la révision par Chostakovitch de sa Lady Macbeth du district de Mzensk, créée avec succès vingt-neuf ans auparavant puis interdite par Staline.)
Encore un formidable travail de troupe de la part de la compagnie Les Brigands, pour monter enfin l'oeuvre éponyme d'Offenbach. Les nouvelles recrues sont à la hauteur des exigences vocales de l'oeuvre et se fondent parfaitement dans l'ensemble. Un tonus et un abattage formidables, au service d'un livret toujours percutant. On en retiendra la fameuse maxime : « Il faut voler selon la position qu'on occupe dans la société » !
À voir à l'Athénée jusqu'au 4 mars puis en tournée.
Très inégale production d'un opéra très intéressant, très difficile à chanter... et à mettre en scène ! Superbe réussite pour le chef, l'orchestre et les choeurs, qui ont remarquablement intégré et rendu le style d'une oeuvre pourtant absente des scènes parisiennes depuis 1934. Laideur et ridicule de la réalisation scénique. Bilan contrasté du côté des chanteurs.
Le décor, d'une esthétique "début années 80", est constitué d'échafaudages métalliques formant un triangle couleur acier sur fond noir. Les chanteurs se déplacent sur des grilles métalliques qui grincent sous leurs pas, parfois éclairées par en-dessous, bien sûr en rouge pour le bûcher ! Bien que les éclairagistes ne soient plus en grève comme pour la première, les lumières du grand Jean Kalman sont pour une fois insignifiantes. La lenteur de l'action est ridiculisée par d'interminables déplacements des personnages sur les échafaudages avant ou entre leurs interventions. Les mouvements pas plus que les volumes et perspectives ne frappent par leur justesse. Le chorégraphe fait se dandiner quelques Martiens de passage.
Après un Robert le Diable de Meyerbeer assez calamiteux dans les années 80, l'opéra de Paris accueille enfin un ouvrage majeur du répertoire romantique français, très rarement monté en grande partie en raison de la difficulté à le distribuer. Cette musique surprend par sa variété et sa finesse, dans un cadre cependant convenu où elle se confond parfois avec son propre pastiche par Offenbach. Elle est redoutable vocalement mais requiert de la part des chanteurs une vraie virtuosité et une maîtrise parfaite des registres du grave à l'aigu. Impossible d'élargir son médium pour flatter l'oreille du public ou outrer le "dramatisme" de sa voix ! Cette voix doit être ample mais pouvoir vocaliser aussi bien que soutenir de longues phrases. Certes, on attend plus d'agilité de la princesse Eudoxie que du cardinal de Brogni, et le rôle de ténor aigu de Samuel/Léopold est plus vocalisant que celui plus dramatique d'Éléazar, comme il se doit.
On a plaisir à entendre enfin une vraie voix de soprano en la personne d'Annick Massis, chose paradoxalement rarissime ! On pourrait croire en effet que ce type vocal est le plus banal qui soit, mais un vrai timbre aussi pur, une voix aussi bien conduite sur toute sa tessiture sans aucun grossissement et en maintenant un bon pourcentage d'intelligibilité, avec une musicalité et un style parfaits et parfaitement français, voilà qui ne s'entend presque plus ! (À l'inverse, l'époque produit des mezzos à la pelle, catégorie jadis plus rare.)
Anna Caterina Antonacci est également remarquable mais moins à son aise. Elle bénéficie d'ailleurs de son duo avec Annick Massis et semble mieux canaliser ses moyens à partir de cette scène, pour plus d'efficacité, de justesse et de style.
Côté masculin, Robert Lloyd est toujours aussi pâle et creux mais son français s'est amélioré. Chris Merritt est programmé les 3 et 20 mars mais remplace ce soir Neil Shicoff souffrant. Il est abominable dans la scène de la Pâque. Ailleurs, il arrive parfois à concentrer un peu mieux son timbre, avec une technique cependant très déficiente et un résultat très en-dessous des exigences du rôle, ou d'ailleurs de quelque rôle que ce soit, si l'on excepte les rôles de caractère (tel le Capitaine de Wozzeck ou Hérode de Salomé ici-même) où il peut outrer à loisir la laideur de son émission. Sa prestation gâche hélas tous les ensembles où il intervient, son émission raide, ouverte et forcée étant incapable de générer le moindre harmonique susceptible de se fondre avec ceux de ses partenaires.
John Osborn est le pendant idéal d'Annick Massis. Une vraie leçon de chant pour ténors en herbe, avec une maîtrise admirable de la voix pleine de tête. On espère que les théâtres français auront l'intelligence de le retenir pour les saisons à venir, avec Annick Massis qui ne chante presque plus qu'à l'étranger, et de remettre grâce à eux au programme les Boïeldieu, Auber et Rossini trop commodément réputés "impossibles à distribuer".
Soirée très décevante en regard de ce que l'on pouvait attendre de ce "retour" de Gardiner à Rameau après ses remarquables productions du début des années 80. Cette magnifique tragédie lyrique distille ici un ennui décharné, une platitude scolaire que l'on croyait révolus depuis justement la révolution amorcée par Gardiner il y a 25 ans.
L'orchestre semble avoir vieilli sans s'être renouvelé. Gardiner donne des tempi vifs et justes mais les instrumentistes n'ont pas toujours la virtuosité nécessaire pour les suivre. Surtout au premier acte, de nombreux petits motifs sont savonnés ou décalés, dans un mouvement général qui veut avancer et laisse sur place les retardataires - en particulier et paradoxalement les bassons !
Les petits rôles, nettement sous-distribués à des chanteurs du choeur, sont vidés de toute substance, comme le bien petit "Palais de ma grandeur" de Jupiter. Les deux rôles féminins principaux miaulent. Seuls se détachent un Anders Dahlin clair et vigoureux, qui inquiète juste par quelques notes un peu platement ouvertes dans l'aigu, et le toujours attendu Laurent Naouri, que ses moyens vocaux (et intellectuels?) autorisent à oser des phrasés et des couleurs à la limite de la justesse, du détimbrage et du portamento excessif, apportant ainsi à son rôle une richesse expressive qui aurait pu inspirer ses collègues.
Voix solide de Michael König, Willard White toujours idéal dans ce rôle. Le jeu hystérique de Béatrice Uria-Monzon est une option possible quoiqu'a priori déplacée. Sobriété scénique, efficacité orchestrale.
La voix d'Olga Borodina est d'un rayonnement somptueux malgré une fin de bronchite annoncée, qui ne lui cause que quelques inégalités et fragilités vocales dans la deuxième moitié du beau cycle de Moussorgski.
L'Orchestre Philharmonique est moins à son aise ce soir que dans son programme français du 12 janvier. Mikhail Agrest semble peiner à lui transmettre la précision requise par Jeu de cartes, dont la rigoureuse mécanique est ici quelque peu émoussée. Le jeu du grand orchestrateur qu'est Stravinsky avec les timbres instrumentaux reste certes très prenant, mais sans que l'architecture et l'équilibre en soient parfaitement rendus.
Difficile ensuite, dans la version orchestrée des Chants et Danses de la Mort (ou plutôt une : laquelle? le programme ne le dit pas), de ne pas couvrir la chanteuse, fût-elle Olga Borodina, au début de la dernière mélodie. Quant à la Symphonie de Scriabine, elle est bien lourde et décevante pour ses 45 longues minutes. Une tentative pas encore totalement aboutie de "faire dans le sublime" !
Comme en écoutant René Jacobs diriger Don Giovanni, on entend une architecture réfléchie et rigoureuse, très différente du phrasé souple et instinctif des chefs français. Cette oeuvre pourtant simple y gagne un impact dramatique sans faiblesses. Orchestre et choeur suivent Harnoncourt avec une précision, un ensemble et un impact remarquables. Tous les solistes sont formidables.
Oeuvre brillante, orchestre et chef parfaitement idiomatiques, géniale mise en scène qui utilise des trucages de cinéma pour superposer en temps réel sur grand écran personnages et décors miniatures filmés. Une soirée jubilatoire !
Libuše est un opéra patriotique indissociable du Národni Divadlo où il a été créé pour son ouverture en 1881 puis sa réouverture après incendie et reconstruction en 1883. Smetana l'avait pourtant déjà composé neuf années auparavant mais le réservait pour cette occasion.
Le livret, assez naïf et mal composé, est cousu de fil blanc et offre bien des longueurs. Il tente de mêler une intrigue privée (la querelle de deux frères autour d'une femme) et le mariage de la reine Libuše, très attendu par son peuple en ces temps fondateurs quelque peu mysogines. L'opéra se conclut sur une évocation prophétique par Libuše de l'avenir de la nation tchèque jusqu'aux hussites, qui n'est pas sans rappeler l'évocation d'Hannibal par Didon dans les Troyens de Berlioz, mais dans des proportions bien plus enflées. Le thème final aurait pu servir d'hymne national tchèque !
La fanfare de cuivres de l'ouverture annonce déjà Janacek. Musique et orchestre, riche en cordes graves, bois et cuivres, ne brillent pas par leur légèreté. Face à cette masse, il faudrait des voix très solides, ce qui n'est hélas pas le cas ce soir, à l'exception du rôle-titre. Malgré quelques notes tenues poussées et droites, Eva Urbanová s'impose dans ce rôle redoutable. Daniel Hulka est raide et force sa voix. Jan Markvart chante très mal. Ludek Vele a une voix basse ronde et chaude mais déraille hélas souvent. L'oncle Miloslav Podskalský est moyen. Helena Kaupová n'a pas une belle voix.
Décors, costumes et mise en scène tradionnels conviennent bien à cette oeuvre. Sous la baguette du génial Oliver Dohnányi, l'orchestre de l'Opéra National est toujours somptueux.