C concert CS concert mis en scène F festival M comédie musicale OC opéra en version de concert OE opéra mis en espace O oratorio OS oratorio en version scénique R récital RS récital mis en scène Th théâtre
Une des plus excitantes distributions vocales jamais entendues à Paris, avec le trio Florez/Di Donato/Barcellona !
Après leur remarquable Amour masqué de l'an dernier, la troupe du CNSMDP s'est attaqué à une oeuvre aussi courte mais plus ambiguë. "Opéra comique", mais écrit par une chanteuse et musicienne qui n'a pas comme objectif la facilité d'interprétation ou le succès public facile. Au cours du bal, les invités chantent des airs de leur choix, prétexte à intercaler d'autres compositions et compositeurs. Mais la musique de Pauline Viardot elle-même est déjà parcourue de courants divers ! On croit parfois assister à une "soirée musicale" de Rossini, on entend passer Liszt, Fauré et pourquoi pas Messager... Son livret, plutôt que de tirer les ficelles de l'efficacité dramatique, est traversé des mêmes luttes sociales et exigences morales que le Consuelo de George Sand. Les chanteurs se sortent diversement des exigences étendues (quoique resserrées dans le temps) de la partition, qui inclut aussi des passages parlés. La scène du "menuet" est très réussie, "chorégraphiée" avec un plaisant décalage. Les costumes de Sonia Bosc sont formidables et contribuent largement à la caractérisation des personnages. Les deux soeurs habillées en enfants et accompagnées de leurs doubles-poupées sont effrayantes !
Encore une superbe rencontre de l'opéra et de la comédie, servie par une talentueuse génération d'artistes qui jouent aussi bien qu'ils ne chantent ! L'esprit de la Péniche Opéra, incarné ici par deux de ses fidèles que sont Vincent Bouchot et Paul-Alexandre Dubois, irrigue désormais des territoires plus vastes. Les troupes ne réapparaissent pas au sein des plus grandes institutions mais leur esprit en grignote les marges, les assiège quasiment !
Isabelle Druet s'est déjà imposée et fait désormais partie du paysage, à se demander comment on pouvait monter un opéra comique avant son apparition. Jeffrey Thompson joue plusieurs personnes et parle et chante donc avec plusieurs voix et beaucoup d'engagement. Paul-Alexandre Dubois est admirable de voix, de diction, de style... et de cette bonhomie qui sied à son personnage ! Vincent Bouchot comme Isabelle Druet s'en donne à coeur joie avec la gouaille paysanne de son personnage, mais endosse aussi l'habit et la distinction d'un docteur.
Hugo Reyne et sa Simphonie du Marais sont parfaitement idiomatiques et rendent justice à cette musique qui semble appâter sagement l'auditeur avant d'oser des complexités croissantes, qui étonnent et amusent d'autant plus quand il s'agit de se disputer un mouchoir ! Le livret d'Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet est plein d'un esprit qui n'a pas pris une ride.
On pourra voir ce spectacle sur scène les 11 et 12 août au festival Musiques à la Chabotterie que dirige Hugo Reyne en Vendée.
Le urlo n'est désormais plus francese mais internazionale ! Après Idomeneo, voici une deuxième production où les voix féminines choisies par Nicolas Joël posent problème. Elisabetta et Eboli beuglent comme aux arènes de Vérone, où un Graham Vick d'habitude plus inspiré nous transporte aussi : dans l'espace de Bastille, sa mise en scène est simplement ridicule.
Loin de la voix longue et souple que l'on attend, Eboli est une horrible poissonnière qui hache ses notes, sonne ampoulée à l'extrême dans sa chanson du voile (un total contresens stylistique !), chante son grave en poitrine brute et massacre son trio avec Carlo et Posa. Elisabetta aussi élargit son émission et chante bas son premier air à sa suivante, que le chef dirige très lentement. Elle se rattrape cependant miraculeusement pour un très beau Tu che le vanità, où elle trouve enfin une résonance haute et stable.
De manière amusante, les fiches distribuées portaient : "Répétition générale", et j'ai sincèrement cru, avant l'entracte, que le chef avait imposé cette mention en l'absence de répétitions préalables suffisantes !... avant de réaliser que la fiche portait aussi "Lundi 8 février" au lieu du 8 mars, et que ce spectacle avait effectivement été déjà donné depuis presque un mois ! Ce n'est pourtant que pour introduire le dernier tableau que l'orchestre trouve une cohésion et un style dignes de son niveau supposé. Jusque là, Verdi semblait quelque compositeur obscur, que seul Ludovic Tézier tentait de phraser intelligemment, sans être toujours soutenu et en étant parfois contredit par le chef. Si Ludovic Tézier sonne un rien monochrome et émet ce soir quelques aigus un peu serrés, il semble avoir écouté ses devanciers, connaît l'importance du souffle et du choix des respirations. Stefano Secco a de la vaillance et des éclats à la Shicoff, mais manque souvent de précision musicale. Son duo avec Posa ne traduit pas un ensemble excellent, pas plus que le plateau n'arrive à se caler tout à fait sur la fosse ou vice versa. Giacomo Prestia campe un Philippe II crédible et bien chanté.
Après la superbe réussite de The Sound of Music fin 2009, cette nouvelle comédie musicale déçoit à plusieurs titres. L'orchestre peut paraître somptueux pour une comédie musicale, la mise en scène intelligente, le livret spirituel et les comédiens-chanteurs corrects, mais l'ensemble ne fonctionne cependant pas. La première raison semble en être l'amplification excessive, surtout des dialogues, qui crée une rupture par rapport aux parties chantées, mais surtout empêche totalement de localiser le comédien en train de parler, autrement qu'en observant qui bouge les lèvres... jusqu'à ce qu'à la moitié du spectacle on ait mieux mémorisé le timbre de chacun. On voit donc une pantomime sur la scène, pendant que l'on entend simultanément un haut-parleur clamer des répliques. La pièce devrait être intimiste, mais les protagonistes sont répartis sur scène comme des joueurs sur un terrain de base-ball, et leurs répliques sont diffusées comme les commentaires d'un match. L'amplification ne nécessite pas le port d'atténuateurs linéaires, elle ne dépasse de loin pas le seuil de la douleur, mais elle ne se substitue tout simplement pas correctement à une bonne projection vocale... ou à défaut, à une technique de spatialisation dont il est étonnant qu'elle n'ait pas encore été inventée ou, si elle l'a été, qu'elle ne soit jamais mise en oeuvre dans les théâtres.
Au-delà de ce défaut technique évident qui empêche de rentrer dans l'oeuvre, il faut aussi souligner qu'il s'agit d'une pièce de théâtre émaillée d'airs. Que cette pièce de théâtre est elle-même tirée d'un film. Que ce film nous plonge dans une atmosphère que cette production ne réussit pas à recréer, sans doute pour la bonne raison qu'elle n'essaie pas de le faire. Mais sortis de leurs contexte, ces personnages, leurs comportements et leurs répliques sont totalement improbables. Le texte sonne d'autant plus artificiel qu'un bon pourcentage de "bons mots" a été conservé ou ajouté, ce qui crée le même effet de patchwork qu'un film des Marx Brothers et ne contribue en rien à évoquer Bergman et la richesse humaine de son film. D'un film subtil mais tout de même inscrit dans un lieu et une époque, il ne reste que la trame, sur laquelle un comique aurait plaqué des jeux de mots "spirituels". Ceux-ci sont à leur place dans un film de Billy Wilder, sonnent parfois déjà faux dans un film de Lubitsch, mais sont ici totalement décalés.
Cette impression est accentuée par le jeu toujours aussi faux de Lambert Wilson - délicieusement faux peut-être ici, en accord avec son personnage? La première scène de Leslie Caron sonne aussi terriblement faux, avant que l'huile ne commence à couler entre les rouages du spectacle. La première scène qui sonne juste est celle de l'arrivée du dragon surprenant Fredrik Egerman chez Désirée Armfeldt, et Nicholas Garrett y est le premier à chanter avec une voix suffisamment timbrée pour donner l'impression qu'un être humain chante sur la scène, et non un haut-parleur au-dessus. Francesca Jackson a aussi de l'abattage et une efficace émission de poitrine pour son air. En dehors de ces deux personnages et d'une Charlotte Malcom crédible, tous auraient pu être mieux caractérisés ou joués. Anne Egerman ne traduit en particulier jamais sa jeunesse ni son charme, et les sentiments complexes de Henrik Egerman restent purement formels et improbables.
Même l'orchestre superbe ne fait que souligner davantage l'ambitus restreint de cette musique qui tourne inlassablement dans le même verre d'eau.
Calamiteuse reprise après la défection de rien moins que Rolando Villazon, Anna Netrebko et Emmanuelle Haïm ! Idomeneo séduit habituellement par une excitante palette de voix féminines, tandis que l'on serre les dents en écoutant le rôle titre et son redoutable "Fuor del mar". Ce soir c'est l'inverse : Charles Workman, prévu en Arbace, est un Idomeneo solide et convaincant, mais les trois rôles féminins déçoivent. Tamar Iveri chante un superbe air final, mais a été parfaitement absente dramatiquement et vocalement tout le reste de la soirée. Isabel Bayrakdarian a une émission serrée. Vesselina Kasarova grossit sa voix de manière inimaginable, attaquant tous ses sons par en-dessous avec une sorte de hoquet glottique. Comble d'ennui, le parquet-plage grince à un certain endroit à chaque passage d'un chanteur ! La mise en scène qui paraissait intelligente en 2009 n'est plus incarnée de manière crédible que par Charles Workman et son remplaçant en Arbace, un Lothar Odinius à la voix très agréable. Notre disparate trio féminin plombe le tempo, peine à entrer en mesure et à chanter ensemble, mais c'est bizarrement le pauvre Philippe Hui qui se fait huer à la fin !
Face à la prudence d'une Natalie Dessay confrontée à une grande fragilité vocale, tout le talent d'Evelino Pido est ici inutile. Retenue dans l'aigu sauf sur quelques notes émises en force, Natalie Dessay subit aussi la disparition de certaines notes de son médium où ses cordes vocales ne s'accolent pas du tout, tandis que son grave sonne brut et plat, sans harmoniques. Or la production était construite autour de Natalie Dessay, et ce répertoire n'a de sens que par la liberté vocale ! L'esprit du bel canto n'a donc pas pu visiter la salle ce soir-là. Michele Pertusi est pourtant un superbe Conte Rodolfo. Javier Camarena est encore bien vert mais prometteur. Cornelia Oncioiu est, elle, incompréhensible.
Denis Chouillet tient la gageure de construire une oeuvre autour des textes de Jacques Rouxel sur les Shadoks sans jamais utiliser la représentation graphique qui a fait une bonne part de leur succès télévisé. Il prolonge ainsi l'humour et le non-sens des textes par la musique et le jeu de scène. Scéniquement aussi désopilant que sa partenaire, sa naissance un peu tardive lui a fait rater une brillante carrière de comique du cinéma muet. Musicalement, ses compositions restent dans l'esprit du bric à brac bruitiste de Robert Cohen-Solal. Main gauche sur un synthétiseur, main droite passant d'un piano à queue à un piano jouet, il a recours aussi à des passages enregistrés qui lui permettent une plus grande liberté de comédien.
Si Stripsody de Cathy Berberian se détache au milieu du programme, les autres pièces s'y fondent de manière presque imperceptible. Outre ces auteurs, Denis Chouillet se multiplie aussi en différents compositeurs affublés de noms absurdes, ce qui n'enrichit pas le spectacle mais ajoute un degré de comique potache à la lecture du programme. Peut-être pour permettre à Denis Chouillet de rivaliser vocalement avec Edwige Bourdy, les deux partenaires sont amplifiés, ce qui nuit plutôt à la facilité de compréhension des textes et au brillant de la musique. Quelques accessoires hétéroclites ajoutent à l'humour de ce court et plaisant spectacle, sans qu'il s'en dégage la poésie du premier épisode, toujours visible en alternance sur la Péniche.
À voir les 19, 22, 23 janvier à 20h30, le 20 janvier à 19h30, et dans le cadre des Petits déj' du dimanche matin les 17, 31 janvier, 14 février, 11 avril, 16, 30 mai à 12h.
Après une production munichoise la saison passée, l'opéra de Paris invite une production londonienne de ce chef d'oeuvre de l'opéra français. La mise en scène de Benoît Jacquot est lourdement pléonastique, sa direction d'acteurs se limitant à faire mimer son texte par chaque chanteur, et à faire anticiper chaque "oui" ou "non" par un signe de tête quand le livret fait attendre la réponse pendant une ou deux mesures de musique. Les décors se contentent de disposer, dans une platitude minimaliste, les quelques accessoires mentionnés au livret : lettres à gauche, "clavecin" au fond, feuilles mortes en automne, neige en hiver... La lumière est une constante pénombre, à l'exception d'un ridiculissime coup de projecteur sur le "et toi soleil" de Werther. On serait déjà déçu s'il s'agissait d'une nouvelle production, mais on est carrément étonné que cette production ait pu retenir l'attention de Nicolas Joël à Covent garden en 2004, au point qu'il souhaite l'inviter à Paris pour sa première saison, sachant en outre qu'elle succèderait à la production munichoise de la dernière saison de Gerard Mortier et serait dès lors considérée comme un manifeste de sa politique artistique. En tant que telle, elle se situe certes dans la droite ligne de Mireille.
Sous la direction de Michel Plasson, l'orchestre est totalement perdu pendant l'ouverture et l'introduction du troisième acte. Les tempi incroyablement lents et distendus mettent la musique dans un état de décomposition avancée, sans pour autant qu'il s'en dégage aucune tension morbide à la Tote Stadt de Korngold. Jonas Kaufmann dans son premier air et Sophie Koch dans l'air des lettres ont du mérite à accepter de tenir ces tempi ! Étonnamment, l'introduction orchestrale du dernier acte est tout d'un coup sublime et captivante, trouvant les couleurs et le phrasé les plus justes ! Simultanément, l'avancée de la chambrette de Werther vers les spectateurs est la seule trouvaille brillante de la scénographie. Cette production est donc géniale pendant cinq minutes et ennuyeuse pendant deux heures.
La distribution vocale est idéale sur le papier, comme naguère le Don Carlos du Châtelet, qui fonctionnait moins idéalement dans la réalité. Sans doute les chanteurs pourront-ils s'affirmer quelque peu au fil des représentations, mais ils semblent pour l'instant d'impuissantes marionnettes entre les mains du metteur en scène et du chef d'orchestre. Ludovic Tézier, vocalement superbe, joue sans conviction le bourgeois rassis. Sophie Koch est une très belle Charlotte, volontairement timorée scéniquement et un rien ampoulée vocalement. Anne-Catherine Gillet a une clarté idéale et solide, Alain Vernhes est toujours parfait et le Schmidt d'Andreas Jäggi est plus bouffe que celui de la saison dernière. Jonas Kaufmann dégage peu à peu son émission d'une couverture excessive, qui combine d'abord bâillement et soulèvement du voile du palais en "patate chaude" avec un rétrécissement tubé de ses ouvertures buccales. Il semble adopter ce soir la même technique que dans son Fidelio de 2008, donnant ainsi à son Werther une couleur caricaturalement germanique et sombre, à l'opposé de son Don José solaire et latin de la Scala, qui déployait un magnifique chiaroscuro par l'ajout de sensations de résonance "dans le masque" à des ouvertures buccales très naturelles.