Cindy M
Palais des Congrès • Paris • 26/11/2002
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Spectacle affligeant à tous points de vue, sur lequel tout a déjà dû être écrit. Que ce soit un bide est d'ailleurs le seul élément positif et rassurant de l'histoire !
Indépendamment de sa réalisation, tout l'univers de cette oeuvre est profondément vulgaire. Cindy elle-même, qui aurait pu être un personnage "pur", ne rêve finalement elle-même que de partager la vie d'une rock star et de rejoindre l'univers décadent dans lequel baignent tous les autres personnages. Elle ne se distingue donc guère de ses soeurs.
Ces personnages ne sont d'ailleurs que des avatars cauchemardesques des créations précédentes de Luc Plamondon, certains chanteurs ayant déjà tenu ces rôles dans Starmania ayant de plus été choisis pour les réincarner dix ans plus tard... Ce ne sont donc que stars vieillissantes, douteuses idoles, groupies, mannequins camés et autres "producteurs". Alors que Starmania était une satire brillante et juste, ces personnages-clichés ne réapparaissent plus ici que dans une imagerie complaisante dénuée de toute critique sociale.
Le seul personnage un peu comique et sympathique est un couturier habillé en rose, coiffé en Coluche et chantant (mal) en fausset (Jean Leduc). Est-il censé emporter l'adhésion du public gay, dans la vaste entreprise de récupération plamondonienne?
L'aspirateur à modes et clichés récupère la mode "celtique" avec la danse favorite du rocker charmant, recycle la "world music" et aligne les beurs et blacks de service - un copain paumé de Cindy chanté par un chanteur à la démarche forcément traînante et à la voix irrégulière et forcée, Jay, une talentueuse Kristel Adams contrainte de faire son numéro tropical ou de chanter un hallelujah de pacotille...
Le seul numéro qui aurait pu dégager un semblant d'émotion, l'air "Salaud !" chanté par Judith Bérard dans une scène rappelant La Voix Humaine de Cocteau et Poulenc, est saboté par les rimes en "ax" sur lesquelles Plamondon a cru bon de le construire. On passe ainsi tout l'air à pouffer de rire et à se dire "non, il ne va pas penser à l'Ajax, non, quand même pas l'anthrax !", et puis si, on a droit à l'Ajax et à l'anthrax ! Dans un autre air par contre, notre génial librettiste a fait preuve d'un sens de l'actualité moins aigu, puisqu'il n'a pas supprimé les "milliardaires de l'internet", censés être autant d'idoles pour les jeunes !
À la réflexion, Plamondon nous a quand même épargné le Tampax, à moins que je n'aie pas tout suivi !
La voix et le talent scénique des interprètes ne sont même pas en cause... à part que fin novembre, on sentait quand même bien que plus personne n'y croyait !
Les voix féminines correspondent aux standards actuels, avec quand même quelques incursions en voix de tête pour Cindy (Nadia Bel), assez mal connectées il est vrai avec la voix de poitrine, et par contre une excellente maîtrise des registres chez la marâtre Patsy Gallant.
Assia et Carine sont dures et froides à souhait dans leurs rôles de soeurs. L'ennui, c'est que dans cette production, tout le monde est dur et froid, à commencer par le décor, la salle... et le son agressif, contre lequel des protections auditives de -20dB linéaires ne sont pas de trop - il faudrait -40 dans les basses, mais même cela n'empêcherait pas le corps de les subir !
Musicalement, c'est une sorte de patchwork de récupération, censé être varié mais affadi par une même sauce qui délaie l'ensemble. Visuellement, il n'y a rien... Surtout beaucoup de fumée, des lumières peu inventives, et cette tour idiote qui vient présenter comme un passe-plats de cantine les éléments de décor et les personnages suspendus par les bretelles.
De nombreux numéros étant chorégraphiés, ce sont les danseurs qui permettent de supporter la longueur du spectacle en lui donnant la continuité et la fluidité dont il serait sinon dépourvu. La deuxième partie n'en est pas moins une suite de numéros indépendants, mais après tout, l'opera seria italien lui-même n'était qu'une suite de numéros visant à faire briller successivement chacune de ses vedettes !
Ces danseurs, choisis dans un gabarit "asiatique" (taille moyenne, pas maigres), qui doivent passer leur temps à se déshabiller et à se rhabiller en coulisses, diversement mais toujours un peu à la "Musidora" (cf Les Vampires de Louis Feuillade !) apportent même au spectacle sa seule note de sensualité. Comme pour certains spectacles de danse contemporaine, on est parfois si peu concerné par l'histoire que la seule question flottant à l'esprit devient "est-ce qu'elle porte une culotte sous son maillot?".
La palme de la médiocrité revient quand même à Murray Head dans le rôle du père, rôle certes immonde entre tous de beauf veule mais censé manifester une libido volage et peut-être même représenter un idéal d'homme pour on ne sait quelles conquêtes franchement paumées. Sans aucune présence scénique ni aucune voix, il anonne faux les niaiseries de son texte qui sonne tout aussi faux...
Quels modèles un tel spectacle pourrait-il offrir à un public jeune? Les bornes de l'indécence semblent tout de même franchies, et on peut se réjouir de la rapide désaffection du public, pas si demeuré que ça !
Alain Zürcher