Le Démon
Théâtre du Châtelet • Paris • 03/02/2003
Orchestre et Choeurs du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg
Valery Gergiev (dm) Lev Dodin (ms) David Borovsky (d) Chloé Oblensky (c) Jean Kalman (l) |
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Dès le premier accord plein et chaud de l'orchestre, on ressent avec plaisir la présence d'un véritable orchestre russe ! Tout du long de la soirée, la direction souple de Valery Gergiev collera au drame. Ce drame, certes, n'est pas d'un intérêt fabuleux, mais la qualité de l'engagement de l'orchestre comme des chanteurs emporte cependant l'adhésion, jusqu'à un troisième acte quand même assez indigeste.
L'écriture vocale d'Anton Rubinstein a une très grande beauté lyrique, pleinement traduite en particulier par Marina Mescheriakova, qui apparaît ici en grande belcantiste. L'orchestration est variée et les deux premiers actes sont parsemés de touches originales et surprenantes. Hélas, le troisième acte est surtout une longue scène entre Tamara et le Démon, plutôt monotone orchestralement et inexistante scéniquement. Dommage, parce que pendant l'entracte on ne pouvait que s'amuser du snobisme des spectateurs qui s'acharnaient à trouver des faiblesses à l'oeuvre pour montrer qu'ils avaient aussi bon goût que Renaud Machart (Le Monde du 26/01/2003).
On ne peut que s'émerveiller qu'un théâtre quasi "itinérant" depuis de longues années arrive à garder cette cohésion, et que des chanteurs de ce niveau ne se soient pas tous dispersés aux quatre coins du monde ! Du moins sont-ils capables de répondre à l'appel, d'autant que l'on constate que tous les seconds rôles ont été remplacés par rapport à la distribution annoncée en début de saison.
Visuellement, c'est du théâtre de tréteaux, comme on pourrait en monter dans une salle des fêtes de village. Si on ne voyait pas le nom du metteur en scène de Gaudeamus et de Claustrophobia à l'affiche, on ne devinerait jamais que la mise en scène, ou plus souvent "en espace", est signée Lev Dodin, ex-"enfant terrible" bien assagi depuis sa Dame de Pique de 1999 à la Bastille, où il s'était contenté de plaquer sur le livret la grille de lecture de son univers théâtral, tel qu'on avait pu le découvrir à la MC93 de Bobigny en 1992 et 1994.
Chaque chanteur tire plus ou moins bien son épingle de cette absence de direction forte. Marina Mescheriakova impose une belle présence en Tamara, Evgueny Nikitin est animé d'une bougeotte continuelle qui affaiblit son personnage de Démon, Viatecheslav Loukhanin joue le vieux serviteur et Olga Markova-Mikhaïlenko la nourrice comme s'ils avaient tenus ces emplois en troupe depuis trente ans.
Evgueny Nikitin tient brillamment le très lourd rôle titre. Guennady Bezzoubenkov manifeste une très belle qualité vocale, Ilya Levinsky a une belle émission de ténor parfois un rien trop ouverte, tandis que Viatecheslav Loukhanin témoigne d'une belle sincérité de timbre.
Bref, le spectacle fonctionne plus malgré son aspect visuel que grâce à lui. Il est surtout porté par des voix magnifiques, un orchestre et des choeurs idiomatiques.
Alain Zürcher