Les Troyens
Metropolitan Opera • New-York • 14/02/2003
Orchestre et Choeurs du Metropolitan Opera
James Levine (dm) Francesca Zambello (ms) Doug Varone (chg) Maria Bjørnson (d) Anita Yavich (c) James F. Ingalls (l) |
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Cette nouvelle production des Troyens donne de l'ouvrage une vision bien plus mûre et exaltante que la production inaugurale de l'Opéra Bastille en 1990, déjà rendue bancale par sa division en deux soirées. La seconde partie est en effet beaucoup plus séduisante que la première, qui ne peut guère être intéressante que par contraste, ce que Francesca Zambello a parfaitement réalisé.
Les costumes ternes font ainsi écho à l'état de siège et à la musique bruyamment militaire et parfois maladroite des actes I et II. Les actes III à V sont par contre magnifiquement homogènes et fluides et regorgent de mélodies somptueuses et d'atmosphères suaves. Leur subtile écriture orchestrale offre de luxueux tapis sonores aux chanteurs. à l'exception de la mise en place et des déplacements répétés d'éléments de décors semi-circulaires par des techniciens, la mise en scène et les décors traduisent parfaitement les beautés de cette seconde partie, de même que les très agréables chorégraphies.
Le choeur est incompréhensible au début, surtout parce qu'il n'est pas encore chauffé vocalement, puis son français s'améliore, avec juste un léger accent.
Deborah Voigt doit lutter contre l'orchestre très sonore de la première partie, où les cuivres et percussions ressortent bruyamment et où James Levine ne fait pas dans la dentelle. Le legato n'est pas excellent, le vibrato est trop large, le français est donc assez haché et moyennement compréhensible. La voix n'est pas vraiment belle mais le plus gênant est que l'on ne sent pas non plus le personnage de Cassandre.
Peter Volpe démontre lui aussi, mais positivement, la nécessité d'un bon legato pour la bonne compréhension du français.
Lorraine Hunt est absolument fabuleuse. Son français, son style, sa musicalité et son legato sont parfaits. Sa voix coule et emplit l'espace en donnant la même impression de facilité que si elle chantait les Nuits d'Été.
Certes, ses faibles ouvertures de bouche, son corps, son cou souvent assez tendu et la constance de son volume sonore quelque soit son placement sur scène rendent difficile à admettre qu'elle ne soit pas sonorisée. Si elle l'est, le tonnerre d'applaudissements qu'elle reçoit à la fin est un peu injuste par rapport à Deborah Voigt et Ben Heppner, qui n'ont pas été aussi convaincants auprès des ingénieurs du son. Si elle ne l'est pas, on peut admirer le fait que son legato et l'excellente accomodation de ses voyelles suffisent à faire mieux passer sa voix que celle de Deborah Voigt, qui quoiqu'a priori plus ample souffre d'inégalités de timbre comme de soutien.
Elena Zaremba sonne un peu laryngée au début mais est globalement excellente. Elle aussi semble être sonorisée, peut-être du fait qu'elle chante souvent avec ou à côté de Lorraine Hunt.
La voix de Robert Lloyd est d'abord très empâtée mais se libère ensuite et acquiert davantage de legato dans son air.
Jossie Pérez, une sorte de Karine Deshayes locale, est très bonne.
Matthew Polenzani est excellent, son français aussi. Sa voix est bien sonnante, claire mais pas trop ouverte. (Elle sonnait par contre beaucoup moins bien lors de la diffusion radiophonique d'une représentation ultérieure.)
Je n'ai pas reconnu tout de suite Ben Heppner, qui n'était encore ce soir-là que l'ombre de lui-même, après un régime qui l'a fait fondre physiquement comme vocalement. Sa voix a toujours été nasale, mais pas coincée dans le nez. Ce soir, elle est trop tassée entre la gorge et la bouche, manquant à la fois du "haut" en tête et du support "bas" et sonnant ainsi beaucoup plus "barytonnant" qu'avant.
Par moments au cours de la seconde partie, il retrouve un peu de son legato et de son timbre, mais il a terriblement perdu en harmoniques "de tête", en capacité de mezza-voce et d'aigus "flottants", en qualité de ligne et en rayonnement.
Son duo "nocturne" avec Didon est affreusement haché, même Lorraine Hunt n'arrive plus à vraiment chanter à côté de lui, alors que Ben Heppner avait naguère vraiment la voix pour rendre justice à ce duo. Les aigus de son air "Inutiles regrets" sont forcés et ne "passent" pas. Le visage de Ben Heppner traduit bien souvent les tensions qu'il éprouve et les difficultés qu'il rencontre. Souhaitons qu'il les surmonte au cours des prochains mois !
Alain Zürcher