Écoutes de Spectacles

Perelà

Paris Opéra Bastille 24/02/2003 et 04/03/2003
Orchestre de l'Opéra National de Paris
Choeur de chambre Accentus, dirigé par Laurence Equilbey
James Conlon (dm)
Peter Mussbach (ms)
Erich Wonder (d)
Andrea Schmidt-Futterer (c)
Alexander Koppelmann (l)
Perelà  :  John Graham-Hall
Une pauvre vieille  :  Martine Mahé
La Marquise Oliva di Bellonda  :  Nora Gubisch
Le premier garde du roi, Le philosophe Pilone  :  Gregory Reinhart
Le deuxième garde du roi, Le banquier Rodella  :  Nicolas Courjal
Le chambellan, Le ministre  :  Jaco Huijpen
Le valet, Alloro, Le président du tribunal  :  Scott Wilde
La reine  :  Youngok Shin
La fille d'Alloro  :  Chantal Perraud
Le Perroquet  :  Daniel Gundlach
L'Archevêque  :  Dominique Visse

photo © Opéra de Paris
photo © Opéra de Paris

La création mondiale de la quatrième oeuvre lyrique de Pascal Dusapin a été un grand succès public, comme cela avait déjà été le cas pour Salammbô (Philippe Fénelon, 1998) et de K... (Philippe Manoury, 2001). Ces créations ont en commun d'être très soignées visuellement. Cependant, si Salammbô en rajoutait dans l'effet et le paroxysme un peu simpliste et si K... était surtout une bonne mise en scène de théâtre accessoirement musical (avec ses effets électroniques peu convaincants), Perelà semble davantage avoir la consistance d'un véritable opéra, ce qui constitue une heureuse évolution chez Pascal Dusapin. On est en effet surpris et heureux de ne pas passer deux heures à tenter de distinguer les silhouettes asexuées psalmodiant dans la brume colorée de l'assommant To Be Sung créé à Nanterre en 1994.

Pascal Dusapin semble avoir surtout évité des écueils - ceux de la citation, du patchwork, du minimalisme, des extrêmes de tessiture et d'intensité sonore, du grand spectacle... Mais le contenu positif de cet opéra est aussi intéressant, comme le montre une deuxième écoute le 4 mars, surtout du bas du deuxième balcon au lieu du dixième rang d'orchestre, permettant d'entendre de nombreuses subtilités supplémentaires et une plus grande richesse de timbres.

La mise en scène, les décors et les costumes accumulent par contre les références, mais en les fondant en un spectacle très séduisant. Sans doute était-il plus facile de jouer sur des références proches de l'univers de Palazzeschi que de tenter de traduire la portée véritable de ses mots. Mais les choix opérés font également bien découvrir le texte, qui ne présente après tout plus rien de révolutionnaire ou de bouleversant. De là peut-être l'impression que l'équipe scénique a davantage voulu séduire en renforçant les clichés déjà présents dans le livret. Mais n'est-il pas positif, pour l'avenir d'une création, de pouvoir imaginer une mise en scène complètement différente dès la première vision d'un opéra?
Ainsi n'est-on pas surpris que le personnage principal erre en imperméable et chapeau, valise à la main, comme Marcello Mastroianni dans un film de Fellini. Perelà n'arrive-t-il pas dans cet étrange pays un peu comme Snaporaz dans la Città delle Donne? On peut aussi penser à la silhouette et à la démarche du personnage de Monsieur Hulot de Jacques Tati. Ailleurs, les formes coniques comme les costumes évoquent Ubu, et comment ne pas y penser face à cette cour royale grotesque? Les références elles aussi "naturelles" à Kafka sont plus ténues, peut-être pour ne pas faire double emploi avec K..., qui revient à l'affiche ce printemps. Quant au très beau tableau "noir et blanc verdâtre" du chapitre 2, il peut rappeler le décor expressionniste du Metropolis de Fritz Lang, mais aussi l'univers de Folon, Bilal ou de nombreux autres créateurs.
La musique convoque aussi Nino Rota et le cirque fellinien quand une fanfare apparaît sur scène pour le bal du chapitre 4.
Bien sûr, on a déjà vu ailleurs ces costumes rembourrés, mais faire jouer tous les personnages sauf Perelà derrière (ou plutôt dans) des masques apporte une force visuelle et dramatique certaine, tout en facilitant les alternances de distribution et les reprises !

Les chanteurs solistes manquent pour une fois plutôt de graves que d'aigus ! Les voix sont souvent à découvert et l'orchestre n'est pas gratuitement tonitruant, ce qui fait de Perelà un opéra vocalement "sain". Seul le rôle de la fille d'Alloro paraît tendu, manifestement pour traduire l'hystérie du personnage.
Pascal Dusapin n'évite par contre pas toujours l'écueil de l'insignifiance mélodique. La dictature boulezienne appartenant maintenant au passé, serait-il si ringard d'écrire des mélodies vraiment lyriques?

Le rôle de Perelà est valeureusement tenu par John Graham-Hall mais on peut l'imaginer chanté très différemment, malgré la forte contrainte introduite par l'alternance d'aigus en pleine voix de tête de ténor et en fausset. Le 4 mars, John Graham-Hall a chanté avec moins de tensions et plus de continuité entre la voix pleine et le fausset. Son émission n'avait plus ce côté "comédie musicale" du soir de la première. Si ce timbre était peut-être intéressant pour faire de Perelà un "homme ordinaire", il ne semblait pas indispensable.

Nora Gubisch incarne un très beau rôle avec sa superbe habituelle, d'autant plus qu'elle semble avoir maintenant le corps de sa voix. Son timbre était plus plein et son phrasé mieux soutenu le 4 mars.

Les autres rôles sont correctement tenus mais on aimerait entendre au moins une vraie basse sur les huit ou neuf rôles distribués à cette voix si l'on en croit le programme !

L'action n'est pas palpitante mais le sujet présente un bon mélange d'universalité et d'étrangeté, propre à maintenir la concentration du spectateur au long des 2h10 du spectacle, une bonne durée. Si la réalisation scénique est esthétiquement séduisante, elle ne manque pas non plus de qualités dramatiques, qui viennent appuyer celles du livret. Le public du 4 mars a été presque aussi enthousiaste que celui de la première.