Malika Bellaribi Le Moal R
Festival Onze Bouge • Paris • 07/06/2003
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Au détour du festival Onze Bouge du XIe arrondissement de Paris, on peut faire des découvertes... avec retard, car Malika Bellaribi Le Moal se produit régulièrement depuis plusieurs années dans les salles parisiennes. Mais pas sur les scènes d'opéra? Et non, pas encore... On rêverait pourtant de voir sur scène une mezzo qui ait sa chaleur vocale et humaine. Les mezzos ne courant pas les rues, où est le problème? Sans doute l'émission de Malika n'est-elle pas tout à fait orthodoxe, peut-être pas non plus tout à fait régulière et "reproductible". Sans doute son phrasé n'est-il pas toujours très "propre" et sa diction est parfois pâteuse. Mais ces défauts de surface sont vite oubliés face à l'engagement physique, vocal et musical et au charisme de l'interprète, à la chaleur du timbre et à la qualité du legato.
Ce legato est possible car la voix semble émise sans entraves, comme une coulée volcanique, à partir d'un ancrage profond et sans aucun resserrement tout au long du conduit vocal. Un chanteur ayant généralement, comme tout être humain, les défauts de ses qualités, cette conception "torrentielle" des résonateurs ne permet peut-être pas toujours les ajustements nécessaires à la précision des voyelles et des consonnes.
La recherche de profondeur se traduit aussi par une émission fortement appuyée en poitrine, jusqu'à oser la poitrine brute pour l'Amour Sorcier de De Falla, avec certes la justification de la couleur populaire espagnole. Cette ouverture vers la poitrine participe aussi de l'impression de générosité et de sincérité que dégage Malika. Mais comme ses aigus même paraissent plus pleins et faciles quand elle les connecte à des graves plus profonds, on en vient à se demander si une étape suivante ne devrait pas la faire évoluer vers un répertoire de contralto. Dans la Gioconda, dont "Stella del marinar" était au programme, on aimerait entendre la Cieca... Dalila semble quant à elle être au coeur de la tessiture de Malika, contrairement à d'autres choix. De Rossini, on aimerait entendre la Cenerentola !
Certains défauts du chant de Malika sont étranges. Si l'on a passé des heures à travailler des morceaux, des mois à les mûrir, comment peut-on ne pas accorder d'importance au fait de respirer au milieu des mots? Les reprises de souffle sont souvent bruyantes et le souffle semble court. La qualité vocale n'en souffre pourtant pas, au contraire du phrasé. L'émission vocale, malgré son engagement et son côté parfois "brut", reste étonnamment saine, sans grossissement, sans forçage, sans vibrato excessif. On n'ira cependant pas jusqu'à dire que le vibrato est toujours régulier.
En fait, Malika Bellaribi Le Moal possède et offre ce qui manque à la plupart des chanteurs actuels et achoppe sur des détails que ces mêmes chanteurs passent leur temps à peaufiner. On rêve d'une fusion possible, tout en goûtant la quasi certitude presque hallucinante d'être face à une voix dont les qualités comme les défauts se rapprochent de ceux des créatrices de ces rôles au XIXe siècle, jusqu'à cette utilisation sans complexes de la voix de poitrine, dont des enregistrements du début du XXe siècle nous ont laissé d'étonnants témoignages même chez des voix de sopranos aiguës comme Tetrazzini... Actuellement, il n'y a guère, depuis la retraite de Rita Gorr, qu'Ewa Podles pour emprunter cette voie. Mais le disque vendu à la sortie du concert confirme, s'il en était besoin, qu'une voix aussi généreuse et d'un tel impact physique et émotionnel ne peut être captée par l'enregistrement. Il faut donc aller l'écouter sur place, et peut-être aussi tomber sur un bon jour, quand son instinct la guide sur les meilleurs chemins.
Avec ces qualités, il n'est pas étonnant que Malika ait su s'entourer de deux formidables musiciens. Tous les trois offrent un rare moment de vraie musique et d'émotion.
Alain Zürcher