La Fiancée du Tsar
Théâtre du Châtelet • Paris • 27/06/2003
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Choeur de l'Opéra National de Bordeaux Chef de choeur : Jacques Blanc Hans Graf (dm) Temur Tchkeidze (ms) Georgi Alexi-Meskhishvili (dc) Nicolas Simonin (l) |
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Encore un superbe opéra, dont on espère qu'il puisse enrichir durablement le répertoire des théâtres !
Sans être instantanément fredonnables, les mélodies sont belles. L'orchestration est riche. Les thèmes populaires ponctuent, comme autant de respirations confiées aux choristes ou aux solistes, une trame dramatique prenante.
Les décors sont beaux, simples, poétiques, efficaces et bien éclairés. Les costumes "d'époque" sont magnifiques.
La mise en scène est traditionnelle sans aucune lourdeur. Chaque chanteur trouve le ton juste de son personnage, qu'il incarne d'une manière typée que renforce encore le maquillage. Cette caractérisation permet d'introduire dès le premier acte une tension dramatique d'ailleurs très présente dans le texte.
Cette tension se maintient jusqu'à l'étonnante explosion du quatrième et dernier acte, où les confessions successives des personnages nous changent agréablement des stéréotypes comportementaux italiens. La partie la plus faible est peut-être la "folie" finale de Marfa, de fade convention à moins peut-être d'être incarnée par une actrice géniale.
L'excellente distribution vocale est dominée par Ludovic Tézier. à côté de lui, toutes les autres voix paraissent serrées et étriquées ! Le timbre est beau, d'une homogénéité parfaite, avec une remarquable constance du formant du chanteur. Le legato est tout aussi parfait, la diction est excellente et la voix ne manque pas non plus de grave, de "coffre". Bref, c'est l'équilibre idéal du chiaroscuro, soutenu par une coordination physique jamais prise en défaut. Un des meilleurs exemples à recommander pour les jeunes chanteurs !
Elena Manistina a aussi une voix ample. Elle a la voix de son physique et sonne parfois un peu empâtée, "dans les joues" diraient certains, peut-être dans les médiums à faible intensité? Elle aborde au cours de l'opéra des tessitures proches de manière très contrastée, parfois très en poitrine, parfois très en tête, avec un égal bonheur.
Olga Trifonova a aussi la voix de son physique, très différent de celui d'Elena Manistina ! Ce serait plutôt une voix de poupée un peu étranglée, serrée, laryngée. Les tensions de son long cou témoignent parfois de la connexion imparfaite avec son corps. Au quatrième acte cependant, partant du mezza-voce, elle arrive à chanter avec un meilleur ancrage physique.
Mikhaïl Davidoff pousse d'abord sa voix mais trouve ensuite un meilleur équilibre.
Albert Schagidullin sonne juste assez vilain pour son rôle, qu'il joue très bien.
Denis Sedov est le grand point d'interrogation de la soirée. Erreur flagrante de distribution, méforme complète qui aurait dû faire l'objet d'une annonce? Non seulement il chante de manière calamiteuse, sans aucun soutien ni legato, sombrant trop ses graves et éclaircissant trop ses aigus qui sonnent du coup faux, mais en plus il gesticule de manière grotesque, un peu comme si au lieu d'un chanteur on avait cru bon d'engager un mime ou un comédien de Commedia dell'Arte pour mettre un peu d'animation. S'est-il laissé emporter par un fantasme d'incarnation de son personnage, au point d'oublier totalement sa voix? Sa posture catastrophique, voûtée avec la nuque cassée, n'aide en rien son instrument vocal !
Le choeur a pu paraître un peu faible à son entrée et à la table des boyards, mais il s'est vite chauffé et repris. La division en un choeur de boyards et un choeur du peuple ne lui facilitait pas la tâche, mais a fourni l'occasion d'intéressants contrastes, bien soulignés par la mise en scène.
Le public, désespérément apathique jusque là dans ses applaudissements, s'est tout d'un coup réveillé quand Ludovic Tézier est venu saluer, comme quoi il est encore possible d'obtenir un triomphe en chantant à merveille, sans faire de concessions ni de pirouettes superflues, et sans être une star étrangère !
Alain Zürcher