Le Nozze di Figaro
Jardin du Luxembourg • Paris • 28/06/2003
Orchestre Bel'Arte
Choeur Mille e tre Jérôme Pillement (dm) Alain Sachs (ms) Guy-Claude François (d) Pascale Bordet (c) Antonio de Carvalho (l) |
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Les représentations devant le Sénat à Paris inaugurent une tournée judicieusement nommée "Opéra en plein air", qui se déroulera pendant l'été devant plusieurs châteaux de France et de Belgique. Les promoteurs de cette manifestation semblent très doués pour les relations publiques, sachant trouver les arguments pour toucher un élu, un sponsor... ou un propriétaire de château ! Alliance de la musique et du patrimoine, développement du tourisme, promotion de jeunes chanteurs, sans oublier l'inévitable "rendre l'opéra accessible au plus grand nombre", hors du cadre supposé intimidant des théâtres d'opéra.
Le "plus grand nombre" doit quand même débourser, en région parisienne, de 44 à 64 euros. Pour le même prix, il peut assister à une représentation de l'opéra de Massy en première catégorie, ou de l'opéra de Paris dans une bonne moitié des catégories de places. Dans ces salles, il entendra un véritable opéra et non un opéra... amplifié, comme rien ne l'annonce dans la documentation fournie par "Opéra en plein air".
L'ingénieur du son n'est d'ailleurs pas non plus mentionné, comme si amplifier un spectacle classique était une opération technique neutre, ne requérant aucune compétence artistique ! Il est dès lors peu étonnant que le résultat soit lamentable, tant sur le plan du matériel utilisé, de la disposition des enceintes que du réglage des potentiomètres !
Les spectateurs privilégiés qui ont acquitté 200 € pour bénéficier d'un cocktail et des "meilleures places" se voient d'ailleurs confinés à proximité immédiate des enceintes. Encore ont-ils de la chance quand ils ont été placés au centre : les enceintes n'étant disposées qu'à droite et à gauche, seul un quart des places peut-être bénéficie d'un équilibre "stéréophonique". Dans tout le parterre, le niveau sonore est outrageusement élevé et dépasse le seuil de douleur sur certains éclats de voix masculins. Les enceintes de piètre qualité font ronfler les graves et durcissent les aigus, tandis que la disposition des micros et le réglage de leur amplification permettent de capter bien des bruits parasites. Le niveau sonore a-t-il été réglé pour être correct au niveau de la régie située tout en haut des gradins, sachant que les enceintes sont uniquement disposées au bord de la scène? Ou bien l'ingénieur du son est-il un habitué des concerts de rock?
À partir du bas des gradins, le niveau sonore est supportable, surtout dans les deux derniers actes où il semble avoir été globalement diminué, à moins que je ne sois devenu légèrement sourd sous l'assaut des décibels. Pour peu que l'on soit assis exactement au centre sur les gradins, on peut donc imaginer que les silhouettes qui bougent sur la scène ont un rapport avec les voix qui nous parviennent des enceintes. Et surtout, on peut prêter attention et non se contracter sur son siège dans un vain réflexe de défense face à l'agression sonore, qui rend bien sûr impossible tout plaisir musical.
Il est très difficile, dans ces conditions, de juger des prestations vocales de la distribution. Le casting semble avoir été correctement réalisé, comme si ces chanteurs devaient faire porter leurs vraies voix sans amplification. Ils sont effectivement jeunes et, pour certains, encore un peu immatures, tant dans leur phrasé que dans leur présence scénique et dans la caractérisation de leur personnage.
Kee Chang Song a une voix sonore mais ne fait pas trop dans la nuance et n'a que de vagues notions de style mozartien. Il campe un comte tonique et agressif, ne chante pas toujours les notes de la partition et recourt de temps en temps au parlando ou plutôt au urlando d'essence vériste. Ses tentatives de piani sont brusquement détimbrées. Sans doute est-il également perturbé par l'amplification !
Annemarie Kremer semble conjuguer belle voix et bonne technique.
Ingrid Perruche a une émission légère très efficace et une bonne aisance scénique. L'amplification la dessert beaucoup moins que les voix masculines, dont le formant du chanteur, les formants vocaliques et les attaques sont durcis à l'extrême.
Frank Dolphin Wong a comme il se doit une voix plus "brute" que celle du comte. L'émission de son personnage peut être plus "naturelle" et moins travaillée que celle de son employeur, mais exige quand même une technique un peu plus affinée dans l'aigu et un certain legato.
Anneleen Bijnen a une émission à la fois un peu grossie et pointue, dure. C'est surtout scéniquement qu'elle ne fait guère croire à son personnage.
Henrike Jacob et Jean-Marie Lenaerts sont surtout amusants par le fort accent belge qu'on a cru devoir donner à leurs rôles de paysans.
Guy-Claude François est dit "scénographe", peut-être parce qu'il n'a pas vraiment conçu un décor, la façade du Sénat en faisant office, mais un dispositif ingénieux qui "enterre" l'orchestre au centre du plateau, entre une avant-scène surélevée et une large passerelle de fond qui le couvre en partie, avec un escalier de chaque côté. Des images de portes sont projetées sur des rideaux accrochés à des portants, qui peuvent être d'un bel effet si le vent n'est pas trop fort. Des projections sur la façade du Sénat devaient sans doute permettre de comprendre qu'on changeait de lieu, entre appartements et jardins, mais pourraient être utilisées avec plus d'intelligence et de sens esthétique.
On aurait cru les costumes récupérés ici et là, mais une costumière figure parmi l'équipe de production.
Quant à la mise en scène d'Alain Sachs, elle égale celle de certaines productions de fin d'année de conservatoires municipaux. La scène des "retrouvailles" entre Figaro et ses parents est cependant réussie, et l'idée de faire se lutiner Susanna et Figaro pendant l'air du comte ne peut qu'exciter et justifier la jalousie de ce dernier. Dans la scène du jardin, on ne comprend par contre pas grand chose.
On notera que le fait de donner cet opéra dans un jardin et devant un château n'est jamais utilisé par la mise en scène. Pire, celle-ci ne renforce jamais le plaisir d'être en plein air dans un lieu superbe par une belle soirée d'été, comme pouvait le faire par exemple celle de A Midsummer Night's Dream de Britten par Robert Carsen à Aix-en-Provence en 1991 ou même la mise en scène de Cosi fan tutte par John Eliot Gardiner en 1992 au... Châtelet, donc dans une salle !
Alain Zürcher