Otello
Théâtre antique • Orange F • 12/07/2003
Orchestre National de France
Choeurs du Capitole de Toulouse, du Grand Théâtre de Tours, de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse, ensemble vocal des Chorégies d'Orange Maîtrise de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse Evelino Pidò (dm) Nicolas Joël (ms) Franca Squarciapino (c) Vinicio Cheli (l) |
|
Le premier spectacle des Chorégies d'Orange 2003 a heureusement pu se dérouler normalement. Le désormais traditionnel petit discours des intermittents du spectacle a été alternativement applaudi et hué par le public - applaudi quand il était positif, hué quand il se disait solidaire des actions des intermittents qui ont conduit à annuler des festivals, "la mort dans l'âme" selon l'expression consacrée.
Malgré la très belle distribution réunie par Raymond Duffaut, on pouvait craindre que l'immensité du lieu ne fasse tendre cette oeuvre tardive de Verdi vers la caricature vériste et l'emphase... mais pas du tout ! Je n'ai au contraire jamais entendu Otello respirer si bien, comme si cette oeuvre dense, concentrée avait besoin de cet espace pour s'aérer et s'épanouir. Dans la magnifique acoustique du théâtre antique, aucune chance que les forte choraux et orchestraux ne plafonnent et durcissent comme souvent au Châtelet et parfois à la Bastille.
Toute l'équipe réunie à Orange contribue à présenter un Otello plus lyrique que vériste : un chef nourri de bel canto, un orchestre loin d'être pompier, un metteur en scène qui n'a pas forcé le trait, des chanteurs ayant les moyens de leurs rôles et ne forçant donc pas leurs voix.
Dans les phrasés de chacun, on pouvait entendre ce lyrisme en proportion variable : très faible chez Luigi Roni, moyenne chez Jean-Philippe Lafont (mais c'est Iago !), assez élevée chez Vladimir Galouzine, très élevée chez Yann Beuron et encore plus chez Tamar Iveri.
Le style très pur, "à l'ancienne" et sans aucun forçage de Tamar Iveri était non seulement très séduisant en bas des gradins, mais a aussi été applaudi jusqu'aux derniers rangs, où l'on m'a assuré que sa voix passait très bien, quoiqu'elle ne semble pas d'un volume considérable.
La qualité de voix comme de style de Yann Beuron s'allie parfaitement à ceux de cette chanteuse géorgienne.
Jean-Philippe Lafont arrive très bien à se rendre méchant, mais plus dans l'expression que vocalement, un peu à la manière de Gabriel Bacquier.
Vladimir Galouzine s'impose sans problème, même s'il semble une fois de plus "barytonner" un peu trop lourdement pour que les harmoniques aigus de sa voix puissent s'épanouir aussi bien que dans la Dame de Pique, où Herrmann est sans doute son meilleur rôle.
Loin de possibles excès véristes, il est d'abord presque trop noble et impassible, ce qui lui permet du moins de faire évoluer son personnage au fil de l'oeuvre.
Le décor portuaire aux teintes de métal rouillé occupe bien l'espace, même si les impressionnantes grues ne sont jamais utilisées, ni en mouvement ni même immobiles. Il sert en fait surtout à diviser le vaste plateau en trois plans inclinés et à y répartir l'action.
Au premier acte, deux containers de planches ne sont pas davantage utilisés, pas plus que les deux planisphères de métal rouillé du deuxième acte, que complètent une grande table et une chaise. Au troisième acte, les trois plans inclinés sont nus. Au quatrième acte, une partie du plan incliné central accueille un lit. En contrebas, là où arrivent Desdemona et Emilia, se trouvent un prie-Dieu et deux grands cierges.
Dans ce décor à la fois sobre et grandiose, qui structure mais rétrécit singulièrement l'espace du théâtre antique sans le rendre pour autant très oppressant, la direction d'acteurs des scènes intimistes est heureusement excellente.
Les déplacements des choeurs sont également efficaces et leur qualité vocale est excellente. On peut juste regretter une étrange sonorisation (ou un effet acoustique) quand les choeurs chantent hors scène, sauf dans leurs vivats de la fin du troisième acte, qui sonnent beaucoup plus naturels.
L'espacement des solistes sur le plateau nuit quand même à certains ensembles comme la scène du mouchoir, où les quatre voix s'équilibrent difficilement. Si Tamar Iveri n'est pas très sonore dans le grave, Vladimir Galouzine couvre un peu tout le monde. L'ensemble avec Lodovico est mieux équilibré. Le chant de Luigi Roni est cependant encore sonore mais fruste, plus surarticulé que lié, et son grave est peu timbré.
Du fait aussi peut-être des distances élevées, les tempi sont globalement lents, manquant en tout cas de nerf. Evelino Pido semble faire ce qu'il peut pour faire avancer l'orchestre, mais cet élan ne parvient pas toujours jusqu'aux chanteurs, que les distances contraindraient à presque anticiper sur la battue du chef.
La magie du moment et du lieu a heureusement transmué en un excellent spectacle des éléments qui auraient pu sembler légèrement disparates dans une salle.
Alain Zürcher