Orlando furioso OC
Abbatiale • Ambronay F • 04/10/2003
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Le festival d'Ambronay, consacré cette année à Vivaldi, a offert à son public une superbe production de l'opéra "Orlando furioso" en version de concert. Certainement le plus connu de Vivaldi grâce à l'enregistrement de Claudio Scimone dirigeant Marilyn Horne dans le rôle titre en 1977, cet opéra tient un peu la place de Giulio Cesare dans la rediffusion de l'oeuvre de Haendel.
Grâce à une ambitieuse coproduction, ce spectacle, qui sera également donné en tournée et enregistré par Naïve /Opus 111, a pu réunir une distribution exceptionnelle, dans la lignée de celle de La Verità in Cimento. Même les modifications qu'a connues la distribution depuis sa première ébauche se sont révélées parfaitement judicieuses.
La distribution est d'autant plus remarquable qu'il s'agit d'un "opéra de mezzos". Même Veronica Cangemi, étrangement présentée comme soprano, chante en voix de poitrine une bonne partie du rôle d'Angelica, que l'on ne saurait qualifier d'aigu ! On peut même se demander si le diapason choisi n'est pas nettement plus bas que celui de la création, tant il est étonnant que toutes les voix soient confinées dans des tessitures graves.
Le problème était dès lors de réunir des voix graves aux timbres suffisamment contrastés, et que ces chanteuses soient disponibles en même temps !
Cette brillante distribution est magnifiquement entraînée et soutenue par l'ensemble Matheus, composé d'excellents instrumentistes menés avec tonicité et souplesse par Jean-Christophe Spinosi, qui semble avoir repris le flambeau de la direction bondissante de Marc Minkowski. Les cordes sont suffisamment étoffées, et ni la précision ni la tendresse des mouvements lents ne sont sacrifiées sur l'autel de la virtuosité. La cohésion du groupe et le plaisir à jouer ensemble ne semblent jamais empêcher chaque musicien de s'exprimer et de donner le meilleur de lui-même.
Si le cadre de l'abbatiale n'est pas idéalement adapté à une telle oeuvre, la chaleureuse ambiance du festival compense cet inconvénient et le public a généreusement manifesté son enthousiasme à la fin du concert. L'acoustique de l'abbatiale est meilleure et moins réverbérante que d'autres comme Beaune, où les productions lyriques du festival de Beaune sont transférées en cas de mauvais temps. Certes, la réverbération ramollit quelque peu l'interprétation, mais elle flatte par contre les voix.
Marie-Nicole Lemieux, lauréate du concours Reine Élisabeth de Belgique en 2000, "explose" littéralement dans ce rôle, où elle manifeste une énergie et une folie (à peine !) contrôlées. Peut-être lui reste-t-il à peaufiner l'homogénéité de ses registres et de sa ligne vocale. Les contrastes sont naturellement bienvenus dans ce répertoire, mais certaines notes sonnent un peu creux, tandis que du souffle s'échappe parfois dans les passages d'agilité, souvent émis trop larges. La voix est par contre spontanément belle et pleine dans les passages lents et sur les valeurs longues.
Marianna Pizzolato possède une voix d'un beau métal, soutenue par une technique solide.
Jennifer Larmore, que l'on aurait attendue en Orlando en tant qu'héritière de Marilyn Horne, est une excellente et sonore Alcina, qui pourrait sans doute encore donner plus de variété d'accents à son personnage.
La voix de Philippe Jaroussky semble avoir enfin acquis un peu de corps. Le merveilleux flûtiste (Jean-Marc Goujon) qui accompagne son air de la fin du premier acte ajoute encore au plaisir de sa musicalité et l'acoustique le met bien en valeur.
Lorenzo Regazzo serait un idéal Emireno d'Ottone de Haendel, avec son timbre sombre sans trop d'artifices (malgré ses mimiques très expressives !) et ses vocalises implacables.
Veronica Cangemi a une voix très séduisante mais qui semble se chercher un peu, en direction de graves qu'elle ne possède peut-être pas intrinsèquement. Dans son rôle d'Angelica mais plus encore dans son récital du lendemain soir (motets et airs de Vivaldi accompagnés par l'ensemble Matheus), elle abuse de sons trop ouverts, notamment en finales et dans le grave sur des voyelles ouvertes. Ses ouvertures buccales sont alors excessives et trop en "pavillon". L'ouverture de la mâchoire est encore accentuée par la tête qu'elle penche simultanément en arrière. Elle émet ainsi de nombreux sons graves en poitrine brute, de telle sorte qu'ils semblent en-dehors de sa voix et presque non chantés. Sans doute gagnerait-elle à maintenir une certaine impédance à son émission, grâce à un ajustement phono-résonantiel plus efficace, ou autrement dit une certaine rondeur de timbre et un équilibre de ses harmoniques.
Le seul défaut de cette production est finalement l'absence de mise en scène, que l'on regrette d'autant plus que Marie-Nicole Lemieux a un tempérament scénique indéniable ! Les récitatifs ont du coup été largement amputés, ce qui améliore peut-être la densité musicale de l'ensemble mais rend les situations encore plus difficiles à comprendre. L'absence de mise en scène aurait peut-être rendu les récitatifs ennuyeux pour une partie du public, mais elle les rendait aussi d'autant plus nécessaires pour donner au public le temps de rentrer dans chaque situation et de se préparer au traitement musical de chaque affect. Un enchaînement trop rapide des airs risque de traduire une certaine gratuité et superficialité. Espérons que ces récitatifs seront rétablis dans la version discographique à venir.
Alain Zürcher