Carmen
Opéra • Massy • 07/11/2003
Orchestre de Massy
Maîtrise des Hauts de Seine Choeurs de l'Opéra de Dijon Dominique Rouits (dm) Henri Lazarini (ms) Claude Stephan (d) Xavier Lazarini (l) |
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Cette production a certainement satisfait le nombreux public venu y assister et permis à de nombreux scolaires de découvrir l'opéra. Même si elle n'était pas destinée à un public élitiste et parisien, on peut cependant en critiquer certaines options.
La principale tient au choix de la version avec récitatifs de Guiraud et non de la version originale avec dialogues parlés. Pourquoi ce choix, alors que la distribution est francophone et affiche des voix d'opéra-comique plus que de grand opéra? Aucune voix trop lourde n'aurait mis en bouillie les dialogues, et la salle comme le public n'appelaient-ils pas la version "opéra-comique"? à moins qu'il ait fallu offrir à ce public un spectacle "comme à l'opéra de Paris", aussi ronflant et flatteur, quitte à en délayer la concision musicale et l'impact scénique?
Deux autres défauts de ce spectacle auraient peut-être pu être évités par la version originale :
- Des voix intrinsèquement légères adoptent des émissions vocales trop lourdes et manquent dès lors de nuances.
- La mise en scène manque absolument de nerf et ne remplit pas un instant le cahier de charges qu'Henri Lazarini s'est fixé à lui-même : «Il m'a semblé intéressant d'oublier Bizet - pour un temps - et de me tourner vers Mérimée. (...) Dans cette mise en scène, je me suis donc attaché au caractère satanique, maléfique de Carmen. Ma Carmen sera soeur de Circé, de Médée.»
Or que voit-on? Une mise en scène des plus convenues, non aidée par la taille du plateau ni par les éclairages plats et les décors pâlichons. Quoi de plus facile pourtant, si l'on voulait une Carmen "tragique", que d'éclairer violemment un vrai mur blanc, de le faire contraster avec des noirs, des rouges vifs et les ors du torero, et de resserrer l'action grâce à la lumière ou à des éléments de décors? L'intensité dramatique n'était-elle pas au rendez-vous naguère au théâtre du Tambour Royal, avec encore infiniment moins de moyens?
On regrette aussi qu'une oeuvre aussi connue du patrimoine soit montée un peu comme une création internationale, avec des interprètes jeunes mais sans aucun esprit de troupe, sans familiarité avec l'ouvrage et sans qu'aucune aisance individuelle pallie le manque d'inspiration de la direction d'acteurs.
Si encore Henri Lazarini s'était contenté de régler une mise en scène très classique... Mais il éprouve le besoin de faire preuve d'"originalité" en intercalant ici et là des mouvements grotesques : caricature de marche militaire par deux soldats, hommes se roulant par terre aux pieds de Carmen, soldats tournant le dos au public pour retenir/enlacer des cigarières, fuite de Carmen...
L'orchestre a montré son brio à l'occasion de l'ouverture fraîche et vive et des introductions de chaque acte, sans rendre ailleurs toujours parfaitement justice à la subtilité de l'orchestration de Bizet.
Carlo Guido a une émission italienne souvent forcée, à la manière de Marcello Giordani. Ses cordes vocales, peut-être déjà dans une condition pathologique, résistent à peine à la pression et laissent passer un peu d'air. Il soulève sa cage thoracique en inspirant, mais semble l'affaisser dès l'attaque du son. Quand il la maintient ouverte, cela semble être au prix d'un effort excessif et contre-productif. Le risque est pour lui de se laisser entraîner dans l'engrenage infernal où face à une faiblesse vocale ou un stress, il forcerait davantage pour que ça "passe" quand même...
Patricia Fernandez a un chant peu lyrique, plus articulé syllabe par syllabe que rayonnant. Elle devrait lier ses mélismes sur "métallique" et "musique" au lieu de les truffer de "h", ce qui l'obligerait à soutenir ses phrases !
L'air de Micaëla est joliment rendu par Guylaine Girard, mais son émission est elle aussi un peu forcée, sans la marge de sécurité qui lui permettrait souplesse et nuances.
Patrice Berger est un bon Escamillo à l'entrée étonnamment hiératique - genre "nuit des morts-vivants".
L'émission claironnante de Philippe Fourcade convient à son rôle.
Christine Labadens et Caroline Mutel sont d'excellentes Frasquita et Mercedes, entre lesquelles on sent en outre une complicité qui manque au reste de la distribution.
La scène des cartes est d'ailleurs la plus réussie de tout le spectacle, vocalement et scéniquement, du moins jusqu'au ridicule geste final où Carmen prend la pose de la gitane des paquets de cigarettes.
Si les machinistes installaient un peu moins bruyamment le décor du quatrième acte et si les artistes étaient ensuite un peu plus silencieux en coulisses, on apprécierait encore mieux ce très beau dernier acte. Les lumières sont enfin utilisées efficacement, métamorphosant grâce à un ciel rouge le décor du premier acte.
S'il serait prétentieux de vouloir refuser à son public les "Carmen" qu'il réclame, il est certainement possible de lui en offrir une version plus satisfaisante sans être plus coûteuse.
Alain Zürcher