L'Occasione fa il ladro
Opéra • Massy • 06/02/2004
Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi (dm) Dan Jemmett (ms) Denis Tisseraud et Dan Jemmett(sc) Sylvie Martin-Hyszka (c) Arnaud Jung (l) |
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Ce très agréable spectacle tourne en Île-de-France et ailleurs jusqu'en avril. C'est une production légère, au décor unique varié par de beaux éclairages et servie par une équipe de jeunes chanteurs du niveau de ceux de la production de l'Enlèvement au Sérail de cet été à Aix-en-Provence. (Dit-on "intermitée" ou "interminée" pour "interrompue par des intermittents"?)
L'oeuvre, parfaitement adaptée à ce type de production, est aussi d'un jeune compositeur, puisque Rossini l'a composée à vingt ans. Il est amusant d'y entendre déjà des thèmes du Barbier de Séville et d'y voir les procédés chers à Rossini dans un état d'ébauche : un orage, mais tout petit, presque un simple coup de vent; des crescendi qui s'excitent un peu mais s'arrêtent loin de la folie ultérieure; des ensembles bien amenés mais s'arrêtant eux aussi avant la surenchère et le délire.
Le contraste traditionnel (quoique, dans l'histoire de la musique, transitoire) entre les personnages d'opéra seria et d'opéra buffa y est dépeint de manière charmante. Don Parmenione, personnage bouffe, se lance au début dans une amorce parodique d'air à la Métastase à base de mare irato ou turbato, puis s'interrompt bien vite. Le comte Alberto, personnage serio, le remplace et va lui jusqu'au bout de sa cavatine, qui annonce déjà celle du comte du Barbier.
C'est peut-être par là que pèche par contre la distribution : Chantal Perraud et Benoît Bénichou ont en effet plus le calibre et la couleur vocale d'une Blondchen et d'un Pedrillo que des Konstanze et Belmonte que l'oeuvre requiert. D'autant plus que le couple bouffe est lui bien sonnant : Chantal Santon ne force pas ses moyens naturels, a un beau legato et semble avoir encore beaucoup de puissance en réserve; Jacques Calatayud est un baryton bouffe en pleine possession de ses moyens.
Quant à l'oncle et au serviteur, ils constituent un "troisième couple" pouvant être chanté par des chanteurs "de caractère".
Éric Trémolières a effectivement les moyens ou du moins la technique d'un ténor de caractère. Sa voix claire est peu soutenue, mais l'absence d'affectation de son émission est sympathique. Le legato comme le formant du chanteur en semblent absents, ce qui ne nuirait pas à son emploi vocal si sa diction très syllabique ne nuisait pas aussi à son italianité.
Jean-Claude Saragosse aurait sans doute des moyens plus lyriques avec une technique plus belcantiste. La résonance de ses aigus serait libérée s'il ne reculait pas sa langue et ne bouchait pas ainsi son conduit vocal. Mais tel quel, avec cette émission un peu directe et fruste, il campe un excellent serviteur et sert avec panache l'air où il décrit son maître.
Chantal Perraud a une voix agréable et bien conduite dans le médium, qui devient laryngée (comme étranglée) dans les aigus, peut-être émis larynx haut, avec une certaine constriction laryngée et une pression excessive. Ses aigus passent moins bien quand elle avance la tête que quand elle conserve un meilleur alignement. Sa voix devrait pouvoir se développer par une meilleure relation à son souffle et à son corps.
Benoît Bénichou a lui aussi un beau potentiel de ténor lyrique léger à développer par un travail corporel global plus que purement vocal. Sa voix n'est pas ample mais sa silhouette à la Ian Bostridge l'est encore moins. Vocalement, il gagnerait sans doute aussi à ne pas surarticuler et à adopter des ouvertures buccales plus raisonnables : ses ouvertures excessives par devant semblent en effet fermer sa gorge par derrière. Son émission est actuellement trop claire et ouverte. (Il aurait chanté malgré une pharyngite - cause et/ou conséquence?) Son alignement physique n'est pas optimal et sa tête est animée de mouvements saccadés qui semblent empêcher toute connexion physique profonde et constante.
Si Chantal Perraud est très à l'aise dans sa scène avec Jacques Calatayud, Benoît Bénichou sonne moins bien dans le duo qu'il chante assis avec elle.
Le décor unique de Denis Tisseraud consiste en un wagon de chemin de fer à quai, constitué de trois compartiments et d'un quatrième faisant "restaurant". Quand les personnages d'une scène sont sortis par une porte, ceux de la scène suivante entrent par une autre. Cette structure scénographique fonctionne bien et permet en outre quelques clins d'oeil, quand les personnages adoptent divers éléments d'une gestuelle "ferroviaire" et surtout quand ils soulignent le rythme d'un ensemble en mimant les secousses d'un train en marche. Plus tard, un duo est rythmé comme à cheval, et un autre en sérénade mi-vénitienne mi-sévillane. Ces scènes sont chaque fois mises en valeur dans le halo d'un projecteur.
Dan Jemmett n'a pas accumulé les audaces. Parmi ses autres clins d'oeil : pendant un ensemble, les cinq chanteurs échangent leurs couvre-chefs; les prétendants offrent des cactus à leurs belles, et l'imposteur reprend même le sien quand il veut repartir !
Les costumes de bric et de broc n'appellent aucun commentaire.
L'individualisation des timbres de l'orchestre est superbe et l'ensemble souple et agile à souhait. On attend maintenant de Jean-Christophe Spinosi qu'il se frotte à des oeuvres majeures du Rossini bouffe ou semiserio.
À voir un peu partout jusqu'en avril 2004, notamment le 29 mars au Théâtre des Champs-Élysées à Paris.
Alain Zürcher