Béatrice et Bénédict OC
Théâtre du Châtelet • Paris • 16/03/2004
Ensemble Orchestral de Paris
Choeur du Théâtre du Châtelet John Nelson (dm) Jean-Claude Carrière (textes parlés) |
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Il est réjouissant de constater que l'on peut maintenant faire salle comble en programmant une oeuvre mineure de Berlioz ! Espérons que cela se vérifie encore après la fin des célébrations du bicentenaire de sa naissance. Béatrice et Bénédict n'en paraît pas pour autant plus convaincante, après une énième tentative de réécriture de la partie parlée et de "mise en espace" !
Malgré le remplacement d'Anne Sofie Von Otter dans le rôle titre, on attendait de plus en plus de cette production au fil des interviews distillées par Le Monde et France-Musiques. La déception n'en est que plus grande, car aucun élément n'a finalement convaincu isolément ni contribué à un ensemble harmonieux. Beaucoup de bruit pour rien?
On retiendra quand même le truculent Somarone de François Le Roux. Mais sa mise en espace? S'il n'en avait pas parlé sur les ondes et n'en était pas crédité sur le programme, on n'aurait guère imaginé que les entrées et sorties des personnages et leur jeu de scène aient été réglées autrement que spontanément au cours d'une répétition par les chanteurs eux-mêmes. La seule option forte, celle de faire jouer toute la scène "à boire" dans les coulisses, la transforme en bouillie musicale. Certes, on finit par comprendre qu'il est question du "vin de Syracuse" et que les paroles se limitent à peu près à cela, mais quelle occasion perdue pour un second "numéro" de Somarone, qui aurait sans doute été sur le plateau aussi efficace que le premier. L'articulation entre les différents niveaux de cette oeuvre bâtarde n'en est rendue que plus confuse et déséquilibrée.
John Nelson est-il vraiment un chef berliozien, comme il le revendique? C'est alors l'Ensemble Orchestral de Paris qui n'est pas un orchestre berliozien ! Le choix de gonfler cet ensemble pour interpréter Berlioz est en lui-même discutable, quand tant d'autres orchestres sembleraient plus naturellement à même de s'en charger. Le son de l'EOP évoque ce soir l'écoute d'une symphonie sur un radio-cassettes, avec des cordes criardes et des vents sans caractère. Un son générique, sans couleurs, ne peut convenir à Berlioz.
Le 15 mai 2002 à l'Opéra Comique, l'Orchestre de Paris, sous la baguette de Marc Soustrot, rendait au moins très bien les passages élégiaques comme le superbe duo nocturne entre Héro et Ursule. Il faisait par contre sonner les passages plus comiques de manière aussi clinquante qu'une fanfare de Mahler avec sa gaieté forcée et sinistre, et couvrait alors les voix. Rien de tel ici, pas de contrastes excessifs mais pas de fusion non plus.
Les commentaires additionnels de Jean-Claude Carrière tirent l'oeuvre encore un peu plus loin de Shakespeare et plus près du théâtre de boulevard. Carole Bouquet les dit de manière détachée, d'une voix un peu rauque mais avec un bon micro. L'amplification la met encore plus à distance, en dehors de la salle, du plateau vocal comme de l'oeuvre, et rend encore plus confus, par contraste, le son et la diction du choeur.
Choeur "de solistes" pourtant, comme on dit maintenant ou comme le marché actuel du chant y autorise (ou y oblige). On reconnaît en effet nombre de chanteurs fraîchement diplômés du Conservatoire, mais on aurait préféré un "choeur de choristes" bien entraîné.
La prestation d'Inva Mula non plus n'aurait pas été gâtée par des surtitres. Même en faisant abstraction des paroles, son émission est un peu laryngée et va parfois vers le cri. Elle manque d'impédance et n'a pas toute la rondeur dont elle a pourtant le potentiel. Son articulation casse le legato comme la continuité de la résonance de sa voix.
Paul Groves est comme Isabelle Cals bien compréhensible, mais s'étrangle un peu dans l'aigu. La respiration haute d'Isabelle Cals contribue peut-être à lui faire atteindre ses limites dans ce rôle. Son maquillage lui donne la froideur apparente de Béatrice, mais son côté piquant et adolescent lui fait défaut, alors que Karine Deshayes le traduisait à merveille en 2002, et que Paul Groves l'incarne ici très bien, grâce à une "bouille" il est vrai naturelle.
Marie-Nicole Lemieux séduit dans ses répliques solistes, mais sa voix ne s'allie pas bien avec celle d'Inva Mula dans leurs duos, qui auraient pourtant dû être le clou musical de la soirée ! On est au contraire frustré de n'avoir eu plaisir ce soir à entendre que de vagues réminiscences éparses des Troyens, et non une oeuvre originale avec ses qualités propres... mais décidément élusives !
À voir les 18 et 21 mars 2004 au Théâtre du Châtelet.
Alain Zürcher