Concerto Köln
Choeur du Théâtre des Champs-Élysées René Jacobs (dm) Jean-Louis Martinoty (ms) Cooky Chiapalone (chg) Hans Schavernoch (d) Sylvie de Segonzac (c) Jean Kalman (l) |
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Cette production est une reprise, avec une distribution largement renouvelée, de celle d'octobre 2001. On peut
en écouter une autre variante au disque.
Il était assez difficile de la juger d'après la deuxième représentation du 17 juin, qui n'avait réellement
fonctionné qu'après l'entracte. La première partie avait en effet été largement perturbée par l'arrivée au
deuxième balcon, pendant l'ouverture, d'une classe entière (?), qui était restée particulièrement bruyante
pendant tout le premier acte avant de s'éclipser. Une expérience ratée de démocratisation de l'opéra?
La dernière, le 25 juin, a heureusement permis d'assister à une première partie plus concentrée. Avec l'habitude
(? !), les tempi choisis paraissent naturels, et la noblesse de Figaro et de Susanna ne choque plus. Tout au plus
la pièce en paraît-elle plus abstraite, comme si la mise en scène reproduisait une représentation de l'époque
plus qu'une réalité de l'époque.
Dès l'ouverture, René Jacobs impose sa vision très dramatique et contrastée. Les contrastes de tempo abondent par la suite, bousculant les habitudes dans le sens de la lenteur mais bien sûr surtout de la rapidité. Une telle conception requiert cependant un travail d'équipe approfondi et un tonus partagé par tous, ce qui n'a hélas pas été le cas le 17 avant l'entracte. De nombreux décalages en ont résulté, non seulement entre la fosse et le plateau mais aussi entre chanteurs dans les ensembles et même entre musiciens. La conception de René Jacobs serait sans doute mieux réalisée par une vraie troupe cohérente de jeunes chanteurs, pourquoi pas dans le cadre d'une école ou d'un opéra de chambre. Lors de la dernière, cette cohésion était atteinte.
Sur le plan de la réalisation musicale et vocale, cette production est très intéressante de bout en bout, grâce aux reprises ornées de nombreux airs. Le 17, un certain manque de cohésion transformait encore souvent les contrastes de couleurs orchestrales en cacophonie, et même au quatrième acte avec l'air de Barberina, les moments de poésie de l'oeuvre n'ont jamais été bien rendus. à force de vouloir tout accentuer et souligner, plus rien ne ressortait souvent d'une soupe assez bruyante et brouillonne. Ce n'est qu'après l'entracte que l'orchestre s'était souvent fait oublier, preuve qu'il était à l'unisson de l'action dramatique. Le 25, la fusion s'est mieux opérée dès le départ.
La mise en scène de Jean-Louis Martinoty est classique avec quelques petites idées amusantes, comme de faire chanter derrière un paravent la scène ou Suzanne déguise Chérubin, les "Madama qui non è" de Susanna étant alors adressées à la Comtesse pour contenir sa curiosité, et non à Chérubin pour contenir la sienne. Bonne idée aussi que de faire mimer par la Comtesse déguisée en Susanna, avec une gestuelle traditionnelle outrée, l'air que celle-ci chante cachée derrière un tableau faisant office de paravent semi transparent. Toute cette scène du jardin, avec son efficace et centrale brouette (!), est d'ailleurs une merveille.
Les décors de Hans Schavernoch sont
constitués de toiles peintes disposées sur différents plans, dans une sorte d'intermédiaire entre l'atelier
d'artiste et le cabinet de collectionneur (également évoqué au troisième acte par quelques "vanités"). Ils sont
certainement signifiants si l'on prend le temps d'analyser le sens de chaque tableau choisi par rapport à
l'action, mais n'apportent rien à celle-ci au premier degré et constituent un espace de jeu assez médiocre. Les
scènes d'ensemble sont d'ailleurs toutes assez pitoyables le 17, mais mieux réussies le 25. Acoustiquement, le
plateau très incliné ne semble pas favoriser les voix, d'ordinaire mieux servies par le plateau et la cage de
scène naturelle du théâtre.
Le 25, on a enfin pu apprécier les lumières de Jean
Kalman. Le 17, leur intensité variait souvent sans raison autre que l'enregistrement vidéo de
la représentation.
On est également surpris de ce que certaines traditions de jeu, peut-être convenues mais efficaces, ne soient
pas ici respectées, non plus que les rapports d'âge entre les personnages. (En fait, c'est surtout le couple
Marcellina-Bartolo qui est bien jeune pour avoir enfanté Figaro, mais cela peut ajouter au comique de la
situation !)
Le Figaro de Luca Pisaroni a une attitude,
des gestes et un ton aussi nobles que le Comte et n'affiche pas son habituelle bonhomie un peu lourde. Son air
plus lyrique "Aprite un pò quegl'occhi" lui réussit d'ailleurs bien mieux, le 17, que les plus
lourdauds "Se vuol ballare" et "Non più andrai". Le 25, il trouve une émission plus solide et
ancrée pour ces premiers airs.
La voix corsée et les ports de voix d'Annette
Dasch donnent à la Comtesse une féminité plus terrienne qu'à l'habitude. Le 25, une tendance au
surtimbrage rend certaines notes approximatives.
Susanna n'a rien d'une soubrette mais est plutôt une dame de compagnie. Le "Deh vieni, non tardar" de
Rosemary Joshua est superbe, mais son
timbre et son émission traduisaient mal, le 17, la jeunesse et la finesse habituelles de Susanna. Bizarrement,
lors de la dernière, elle semble avoir retrouvé plus de fraîcheur !
Le Cherubino d'Angelika
Kirchschlager avait le 17 une gestuelle étrange, ni masculine ou féminine. Le 25, son jeu
convainc bien davantage. Ses airs sont toujours très bien chantés.
le 17, la Barberina de Paulette Courtin
était délurée en paroles plus qu'en attitudes, ce qui ne choquait plus le 25.
Les costumes de Sylvie de Segonzac ne
différencient pas davantage les maîtres et les valets.
Seuls les petits rôles d'Antonio, Bartolo, Don Curzio ou Marcellina affichent les caractères traditionnels de
leurs personnages.
Le Comte est également magistralement incarné et chanté par Pietro Spagnoli.
Le 17, l'orchestre a trouvé une meilleure cohésion après l'entracte. Tant le 17 que le 25, aucun air n'a été
réellement excitant ni applaudi avant l'entracte, mais plusieurs l'ont été ensuite.
L'air de Marcellina, d'ordinaire ennuyeux quand il n'est pas coupé, est ici transformé en feu d'artifice vocal
par l'irrésistible Sophie Pondjiclis
qui, si elle n'a pas l'âge du rôle, en a idéalement le type physique et le jeu.
On a aussi droit à l'air "In quegli anni" de Basilio, très correctement rendu par Enrico Facini.
Cette production riche en éléments intéressants a enfin été bien rodée pour sa dernière représentation !
À voir les 19, 21, 23 et 25 juin 2004 au Théâtre des Champs-Élysées et le 21 juin 2004 à 19h45 sur Arte. à écouter le 21 juin 2004 à 19h45 sur France-Musiques.
Alain Zürcher