Tamerlano OC
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 14/10/2004
|
Jeanine Roze présente cette version de concert au Théâtre des Champs-Élysées à l'issue de représentations données aux opéras de Caen, Bordeaux et Lille. L'intimité ainsi acquise avec l'oeuvre tant par les musiciens que par les chanteurs se ressent très positivement ce soir. Les chanteurs chantent par coeur dans un excellent italien, incarnent de bout en bout leurs personnages et interagissent bien pendant leurs récitatifs. Le travail scénique effectué avec Sandrine Anglade a sans doute porté ses fruits.
Du côté de l'orchestre, les tempi choisis par Emmanuelle Haïm sont d'une grande justesse dramatique, tout en se tenant à l'écart des extrêmes affectionnés par certains chefs. La musique avance toujours avec un grand naturel et suffisamment de vigueur. Le Concert d'Astrée, malgré un effectif relativement réduit, offre une belle couleur orchestrale, avec des lignes et des timbres clairement individualisés.
Malgré sa qualité d'acte d'exposition, le premier acte est d'emblée très prenant. Contrairement à d'autres productions, un certain relâchement est plutôt perceptible vers la fin de l'oeuvre - faute peut-être de l'avoir étudiée et répétée autant que le début? Il est vrai qu'on est un peu lassé par Tamerlano, personnage qui répète sans cesse sa colère sans jamais agir en conséquence - heureusement certes pour permettre un "quasi lieto fine", seul Bajazet se donnant lui-même la mort. L'énergie semble un peu plafonner, rester un rien sage quand il faudrait parfois ouvrir les vannes. Pour l'air "Empio, per farti guerra" de Carlo Allemano, l'orchestre se déchaîne enfin !
La distribution vocale réunie est superbe. Seul Carlo Allemano finit par lasser avec son émission un peu forcée. Dommage car Bajazet est un des rares rôles de premier plan offerts à un ténor par Haendel. Son premier air est beau et efficace, quoiqu'il pousse déjà un rien ses aigus en mécanisme lourd pas du tout mixé et juste assez couvert. Physiquement, il est dommage qu'il ne profite pas de sa belle carrure et fasse fonctionner son torse presque à l'inverse de ce que la logique et l'efficacité commanderaient. Tassant un peu la tête dans les épaules, il soulève puis affaisse sa cage thoracique à chaque inspiration et pousse son ventre en avant, notamment quand il force son haut-médium et donc sa zone de passage. Au cours du second acte, il aboie un peu dans sa barbe et va parfois jusqu'à détonner, tout en se fatiguant sans doute plus que nécessaire. Ce chanteur au très beau matériau a beaucoup mieux à offrir.
Bejun Mehta, toujours expressif de visage, a bien mûri depuis ses premiers rôles scéniques sous la direction de Christophe Rousset en 2000 (Tamerlano déjà, ainsi que Farnace de Mitridate). La voix est ronde, bien vocalisante et le grave est bien conduit. Son "Dammi pace" est bien orné en reprise. Au second acte, il joue très bien l'étonnante ironie de l'air où il annonce ses noces. L'orchestre qui l'introduit et l'accompagne est pompeusement moqueur - ou l'inverse. Au troisième, c'est le bel air de rage "A dispetto d'un volto ingrato" qui lui permet de démontrer ses qualités vocalisantes.
Marina De Liso met une belle technique au service d'une voix bien équilibrée aux beaux graves jamais grossis et aux aigus également purs. Son phrasé est dès lors agréablement souple. Son long air de clôture du premier acte pourrait être rendu plus expressif pour justifier sa mise en valeur à cette position. Elle se sort très correctement de son air plus brillant du deuxième acte, "Più d'una tigra".
L'émission de Carolyn Sampson est bien en rapport avec les sentiments de son personnage. Elle est physiquement bien ancrée, même si ses respirations sont souvent un peu hautes et bruyantes. Son air "Cor di padre", à la fois calme mais animé d'une tension tragique, conclut le deuxième acte en beauté.
Karine Deshayes chante son récit d'entrée comme une poissonnière. On croirait Bonnemine d'Astérix. Irene est certes outragée ! Dans l'air qui suit, elle conserve des accents excessifs qui brisent sa ligne de chant et créent des stridences dans son timbre habituellement plus rond. Elle se sort cependant bien de ses aigus comme de ses passages en poitrine. C'est plutôt son médium qui est plus projeté dans l'articulation que physiquement connecté. Ce rôle requerrait-il une vraie soprano? Au deuxième acte, dans son très bel air "Par che mi nasca in seno", sa voix est plus ronde et posée.
Paul Gay chante au deuxième acte le bel air "Amor da guerra e pace" et au troisième le bel air vocalisant "Nel mondo". Maintenant plus basse que baryton, il sonne plus solide qu'à sa sortie du conservatoire. Il est vrai qu'il est sagement allé faire son apprentissage en Allemagne. Malgré des aigus un peu durs (pas du tout mixtes), c'est une basse vocalisante bien adaptée à Haendel et Rossini.
Cette oeuvre recèle aussi plusieurs ensembles, chose rare chez Haendel. Si le duo final entre Tamerlano et Irene est un peu ennuyeux, celui entre Asteria et Andronico est superbe, comme le quatuor qui clôt l'ouvrage.
Diffusion ultérieure sur France-Musiques.
Alain Zürcher