Théâtre Graslin - 12/12/2004 - Critique par l'Atelier du Chanteur"> Le Nez - Nantes - <A href="http://www.angers-nantes-opera.com/">Théâtre Graslin</A> - 12/12/2004

Écoutes de Spectacles

Le Nez

 • Nantes • 12/12/2004
Orchestre National des Pays de la Loire
Choeur d'Angers Nantes Opéra
Chef de Choeur : Xavier Ribes
Nicolas Chalvin (dm)
Patrice Caurier et Moshe Leiser (ms)
Christian Fenouillat (d)
Agostino Cavalca (c)
Christophe Forey (l)
Kovaliov  :  Andrew Schroeder
le barbier...  :  Vladimir Matorin
le sergent de ville...  :  Alexandre Kravetz
Praskovia Ossipovna...  :  Jennifer Smith
le valet...  :  Ivan Matiakh
le nez...  :  Ludovít Ludha
l'employé aux annonces...  :  Brian Bannatyne-Scott
Madame Podtotchine...  :  Linda Ormiston
la fille Podtotchine...  :  Virginie Pochon
et aussi...  :  György Mozsar, Frédéric Caton,
Alexandre Diakoff,
Michael Hart-Davis, Jean-Louis Meunier,
Michel Eumont, Stuart Patterson,
Dimitri Tikhonov, Fabienne Rispal...

Il va être difficile, ces prochaines années ou même décennies, de monter le Nez de Chostakovitch en égalant la perfection de cette production. Créée à Lausanne en 2001, elle a été remontée à l'invitation d'Angers Nantes Opéra. Excellente initiative qui permet de retrouver une bonne partie de l'équipe de la création, complétée de quelques solistes extérieurs ou issus du choeur d'Angers Nantes Opéra.
Assistant d'Armin Jordan en 2001, Nicolas Chalvin assure aujourd'hui brillamment la direction de cette reprise, pour la réussite de laquelle toute l'équipe s'est engagée comme pour une véritable création. Chose rare, même les metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser ont été chaleureusement ovationnés par la salle comble et ravie !

En sortant de ce spectacle, on peut se demander pourquoi ce Nez ne se montre pas plus souvent. Il n'aurait été monté en France qu'à Tourcoing en 1979 (en français) et donné en russe en version de concert à Paris en 1981, et pourtant il a la richesse et le tonus de L'Enfant et les Sortilèges de Ravel ou des Mamelles de Tirésias de Poulenc, et est sans doute plus intéressant que Parade de Satie. Une sorte de Wozzeck comique? Ne manque-t-on pas de spectacles aussi brillants, légers et profonds à la fois? Il faut remercier Patrice Caurier et Moshe Leiser de ne pas nous en avoir imposé une lecture univoque et décalée, mais de restituer ce Nez en quelque sorte "dans son jus", avec ses ellipses, ses pirouettes, son absurdité et sa justesse. Personnages comme situations sont poussés à la caricature, comme y incite la musique, et tous sont bien sûr affublés de... faux nez !

Le Nez est une suite de saynètes, d'abord très courtes, plus développées vers la fin. Les changements rapides sont permis par le décor "cubiste" de Christian Fenouillat. Certains de ses panneaux légèrement inclinés se meuvent grâce à un plateau tournant, qui entraîne parfois les personnages dans sa ronde. Ce décor mobile, en perpétuelle recomposition, est magnifiquement éclairé par Christophe Forey, qui crée des ambiances variées d'inspiration expressionniste, comme sorties d'un film de Fritz Lang non pas noir et blanc mais jaunâtre, aux découpes et aux ombres fortes sur un fond plutôt glauque et charbonneux. Les costumes d'Agostino Cavalca contribuent eux aussi à l'adéquation parfaite entre l'oeuvre et la production.

Génie de Chostakovitch, de l'équipe de Lausanne ou sans doute des deux, Le Nez ne semble jamais décousu ni anecdotique, mais se déroule avec une force dramatique implacable. L'orchestre est un bouillonnement de sons étranges qui ailleurs ne seraient que des bruits, mais que Chostakovitch allie et rythme avec un instinct d'autant plus stupéfiant qu'on ne connaît rien d'approchant ni avant ni après la création de ce premier opéra d'un compositeur de 21 ans. Gogol n'était guère plus âgé quand il a écrit sa nouvelle près d'un siècle auparavant.

photo © Vincent Jacques

Sous la baguette de Nicolas Chalvin, l'Orchestre National des Pays de la Loire sonne avec une précision et une efficacité parfaites, sans doute stimulé par la difficulté même de l'oeuvre ! Les percussions et les vents, particulièrement sollicités, maintiennent tout au long du spectacle un niveau d'énergie et un sens du rythme remarquables. Le choeur d'Angers Nantes Opéra joue aussi bien qu'il chante.

Aucune fausse note non plus du côté des solistes. Andrew Schroeder émet avec facilité sa voix pleine et équilibrée. Vladimir Matorin est la basse russe que l'on attend. Alexandre Kravetz est un brillant ténor aigu qui effectue très bien la liaison avec un fausset soutenu et sonore. Ivan Matiakh et Ludovít Ludha (déjà entendu dans Francesca da Rimini) chantent très bien. Même Jennifer Smith tire un excellent parti de ses moyens vocaux actuels.

Chaque acteur joue bien sûr plusieurs personnages, l'oeuvre en comptant près d'une centaine ! Spectacle courageux et ambitieux pour Angers Nantes Opéra, ce Nez est cependant parfaitement adapté à la taille des deux théâtres. à Nantes, il est donné dans le magnifique Théâtre Graslin, réouvert la saison passée après sa rénovation.

À voir à Nantes les 14, 16, 18 et 21 décembre 2004, puis à Angers le 31 décembre et les 2 et 4 janvier 2005.
La production de l'opéra de Lausanne vient également de sortir en disque.