Philippe Jaroussky C
Théâtre des Champs-Élysées • Paris • 11/03/2006
Le Concert d'Astrée
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Philippe Jaroussky a donné un récital bien construit au public enthousiaste du théâtre des Champs-Élysées, comble pour l'occasion. En alternance avec ses airs, le Concert d'Astrée a offert des pièces instrumentales et concertantes. Le flûtiste Alexis Kossenko a séduit par la liberté et le naturel de son phrasé et de ses cadences, en parfait écho avec le phrasé toujours long et souple de Philippe Jaroussky. Les deux artistes dialoguaient à merveille dans l'air d'Aci "Qui l'augel", redonné en dernier bis avec une morbidezza encore plus séduisante.
Le programme proposé est un hommage au castrat Carestini. Philippe Jaroussky a-t-il été attiré par la transition effectuée par son aîné, en cours de carrière, entre le registre de soprano et celui d'alto? Le programme de ce soir traduit une grande diversité de tessiture et de style. Pour Philippe Jaroussky, il s'agit d'une transition vers des rôles plus dramatiques, donc aussi plus corsés et plus graves. Les airs de La Clemenza di Tito de Hasse, en particulier, requièrent de nombreux passages en voix de poitrine. Mais c'est dans Arianna in Creta de Haendel que Philippe Jaroussky négocie le mieux ses graves, encore un peu légers mais prometteurs. Dans l'aigu par contre, on remarque toujours une tendance fréquente à lâcher ses fins de phrase ascendantes ou ses ornements, ce qui prive alors sa voix du "corps" nécessaire et la fait blanchir. Un meilleur ancrage physique serait parallèlement utile à certains phrasés musicalement superbes, où la voix "décroche" quand le corps "décolle".
Les deux premiers airs de Philippe Jaroussky sont admirablement rendus, dans leurs qualités très contrastées. "Tu che d'ardir m'accendi" est brillamment vocalisé, avec la version "rock" du jeu de scène du contre-ténor : mouvements vifs de la tête, jeu de jambes... "Ciel nemico" de Capelli lui permet de manifester ses qualités élégiaques, avec de beaux messa di voce. L'air de rage de Leo "Se mi dai morte" le met pour l'instant moins en valeur. Manquant un peu d'ancrage et de profondeur, il compense par des appuis dans le timbre. Dans "Vo disperato" de Hasse, le tempo choisi est peut-être un peu lent pour la légèreté actuelle de sa voix.
En deuxième partie, "Scherza infida" d'Ariodante de Haendel pourrait être encore mieux suspendu et nourri, à la voix comme à l'orchestre. L'air d'Aci qui suit convient idéalement à la vocalité de Philippe Jaroussky. Le valeureux et unique basson d'Ariodante sera encore mis à contribution, en virtuose, dans le deuxième bis très réussi "Venti turbini" de Rinaldo, bien vocalisant et au tempo bien tenu, après un "Verdi prati" d'Alcina simple et beau.
Le Concert d'Astrée, malgré l'absence d'Emmanuelle Haïm, retenue par un "heureux événement", a offert un concerto grosso de Corelli très bien construit, alternant suspensions et épanchements dans les mouvement lents et vivacité sans états d'âme dans les mouvements rapides. Dans le concerto pour violon de Vivaldi, Stéphanie-Marie Degand ne semble pas totalement libérée du jeu physique de son instrument. Sans parfaite régularité dans le tempo ni parfaite justesse, son jeu sonne un peu stressé et contraint. Peut-être la pression d'assurer la direction de l'ensemble en l'absence d'Emmanuelle Haïm?
À écouter sur France-Musique le 25/03 à 9h.
Alain Zürcher